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dans Politique

« L’obscurantisme fait que la parole de la science est de plus en plus inaudible »

ParEdouard Brézin
4 décembre 2019
« L’obscurantisme fait que la parole de la science est de plus en plus inaudible »

Depuis 1978, le Comité de défense des scientifiques agit face aux nombreuses violations des droits de l’homme dont sont victimes, à travers le monde, les femmes et hommes de science. Dans une interview qu’il nous a accordée, Édouard Brézin, co-président du Codhos, revient sur le concept de droits de l’homme, évoque sa remise en cause, y compris par les sociétés qui les respectent, et s’inquiète de la montée de nouvelles formes d’obscurantisme fondées sur le rejet du progrès.

Revue Politique et Parlementaire – Comment s’intègre aujourd’hui la politique des droits de l’homme dans le milieu scientifique ?

Édouard Brézin – Avant d’en venir aux hommes de science et à la situation présente, il convient de situer le contexte historique. Le concept des droits de l’homme est né au XVIIIe siècle. Des philosophes français, anglais et américains vont dégager une notion qui sera immédiatement très controversée. La Déclaration d’indépendance des États-Unis en 1776 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Révolution française de 1789 affirment que tout être humain à sa naissance possède des droits du simple fait d’exister. Ce concept  s’oppose frontalement à l’arbitraire, l’absolutisme, l’esclavage, la servitude. On voit bien les problèmes que cela posera, par exemple aux Américains avec la guerre de Sécession un demi-siècle plus tard. Mais c’est aussi affirmer un principe nouveau qui ne va pas de soi. Deux ans après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le pape Pie VI dans une encyclique condamne cette initiative qui lui paraît contraire à la religion. Pour l’Église, il n’y a de droit que divin et cette affirmation d’un droit humain indépendamment du contexte religieux lui semble incompatible avec la doctrine.

Plus tard, ce sont les marxistes qui vont s’opposer au concept de droits de l’hom­me affirmant que pour les prolétaires, les miséreux, ces droits sont illusoires, formels, qu’ils n’ont aucun droit réel tant qu’ils ne sont pas sortis de la pauvreté. Mais plutôt que de dire il faut lutter contre la pauvreté et imposer des droits, ils retournent l’argument en affirmant que seule compte la lutte contre la misère. Et ce discours se prolonge encore aujourd’hui.  

Avançons maintenant jusqu’à la période moderne qui démarre avec la très belle Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies en 1948. Il faut la relire car elle contient des éléments essentiels. Outre des droits élémentaires, il y est affirmé que tout citoyen a le droit à une éducation élémentaire gratuite, que toute personne a le droit de choisir son conjoint librement, de choisir sa religion librement, qu’aucun pays n’a le droit  de s’opposer à la mobilité d’une personne qui voudrait quitter son sol, des notions qui ont été, on le voit bien, si souvent contrebattues. Il est très intéressant de regarder qui a voté la déclaration de 1948. Sur les 58 pays faisant partie à l’époque des Nations unies, aucun n’a voté contre, mais il y a eu 8 abstentions très significatives. L’Afrique du Sud, en plein apartheid, refuse cette égalité entre les hommes ; l’Arabie saoudite affirme que, si les hommes et les femmes sont égaux en dignité, ils ne le sont pas en droit, l’Union soviétique et ses satellites de l’époque considèrent qu’il s’agit de droits formels bourgeois et qu’il n’existe pas de droits des exploités sans combat contre les exploitants. Et cette opposition perdure aujourd’hui. À la dernière réunion internationale des réseaux des académies des sciences à laquelle j’ai participé à Séoul, un représentant chinois nous a fait un exposé très bien mené sur la lutte contre la pauvreté en Chine. C’était la contribution de ce pays aux droits de l’homme et, dans ces conditions, il était inutile de parler des droits des minorités en Chine, tels ceux des Ouïghours. 

RPP – Cela veut-il dire qu’il y a une permanence d’un certain nombre de pays dans la critique du concept de droits de l’homme ?

Édouard Brézin – Oui fondamentalement. En 1990, 57 ministres des Affaires étrangères ont adopté au Caire  la Déclaration des droits de l’homme en terre d’Islam, un texte qui reconnaît la prééminence de la charia et refuse l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Dans les sociétés occidentales, c’est une notion qui a été, au cours des périodes récentes, terriblement discutée sous des noms variés. Le conflit entre universalisme et communautarisme en est un exemple.

Autrement dit, cette notion telle que l’affirmait la Déclaration universelle des Nations unies se heurte en France à des mouvements estimant que la Constitution et la loi de 1905 ne reflètent plus la réalité de notre société aujourd’hui.

À l’échelle du monde, la conception communautariste anglo-saxonne s’oppose assez fondamentalement à la conception française avec la loi de 1905 qui assure aussi bien le droit d’avoir que de ne pas avoir de religion. Ce mouvement est très contrebattu par tous les bords politiques. Pour l’extrême droite, c’est son fonds de commerce. Pour l’extrême gauche, la défense des immigrés passe très souvent par la volonté de mettre en avant les spécificités culturelles de ces communautés. Cela s’oppose à l’universalisme. 

Puis vous avez un mouvement qui est celui de la realpolitik. Chaque fois qu’un homme d’État français se rend dans un pays qui ne reconnaît pas les droits humains, comme la Russie ou la Chine, on assiste à un conflit avec les tenants de la realpolitik qui affirment que les droits de l’homme sont inopérants et qu’il faut donc négocier sur une autre base. Je ne demande pas au chef de l’État de rompre les relations avec les pays qui ne respectent pas les droits de l’homme, mais cette façon de dire que c’est inopérant, de se moquer d’un soi-disant droit-de-l’hommisme, est préoccupante. 

RPP – Cela veut-il dire qu’il y a une relativisation du concept des droits de l’homme y compris dans les sociétés qui les respectent ?

Édouard Brézin – Oui tout à fait, ou en tous les cas qui ne mettent plus les droits de l’homme en avant. Vous avez un nombre  important de sociétés qui ne veulent pas les reconnaître comme la Chine qui poursuit pénalement les personnes qui se réclament des droits de l’homme et on ne sait pas très bien où en est la Russie de Poutine, etc. 

RPP – Pourquoi avoir décidé de défendre des femmes et hommes de science plutôt que des écrivains, des musiciens, des boulangers, etc. ?

Édouard Brézin – Je dirais que ce sont peut-être pour des raisons historiques. Il y a d’abord le contexte professionnel, les scientifiques évoluent dans un milieu très international et travaillent avec des collègues du monde entier. C’est davantage vrai dans les sciences de la nature que dans les sciences humaines qui sont plus liées à un référentiel, à une langue. Nous sommes très conscients et informés des  cas de collègues persécutés et il y en a beaucoup. 

Les premiers comités de défense des scientifiques sont nés à l’époque des Refuzniks en Union soviétique. Le Codhos a été créé en 1978. Il était animé par François Jacob, très éminent biologiste (et aussi Compagnon de la Libération). Rapidement, sous l’impulsion des Américains et de François Jacob, le Committee on Human Rights en commun avec la National Academy of Sciences (CHR) voit le jour. Les membres du comité considèrent que leur mission n’est pas de lutter contre l’Union soviétique, mais d’aider leurs collègues qui perdent leur emploi ou envoyés dans un camp pour avoir demandé à émigrer en Israël. Le comité s’est surtout consacré aux Refuzniks, mais aussi aux dissidents scientifiques persécutés comme Sakharov ; il s’agissait  en effet de cas bien identifiés, il connaissait les personnes qu’il défendait, ce qu’on leur reprochait, ce qu’elles avaient fait ou pas fait. 

RPP – Disposez-vous d’une cartographie vous permettant aujourd’hui de savoir quelles sont les personnes qui sont en danger ?

Édouard Brézin – Nous n’avons pas de cartographie. Les cas nous sont signalés. Mais dans le monde scientifique au sens large, qui inclut les médecins, les ingénieurs, etc., nous avons des relais qui nous permettent d’avoir connaissance d’un nombre important de cas pour lesquels nous essayons d’intervenir. Mais avant toute action nous devons nous assurer que nous ne mettons en danger ni les scientifiques concernés, ni leurs familles. Je dois être franc, nos succès sont limités car il est rare qu’un dictateur, dont ce monde est friand, nous disent « vous avez raison, je vais libérer immédiatement tel ou tel scientifique ». Cependant, il est vrai que certains pays n’aiment pas la mauvaise publicité qui leur et faite et alors nous obtenons que des peines soient écourtées, voire annulées. Mais ce qui est important c’est de maintenir un lien avec les personnes incarcérées afin qu’elles sachent qu’on ne les oublie pas. C’est ce que nous faisons de manière privée.

Parfois nous essayons d’avoir des relais avec les autorités gouvernementales, mais elles ont leur propre logique.

RPP – Combien de scientifiques sont aujourd’hui véritablement en danger dans le monde ?

Édouard Brézin – Comment répondre quantitativement à la question que vous posez ? Je n’en sais rien. Mais dans certains pays le nombre est massif. En 2016 en Turquie un peu plus de 1 000 universitaires ont signé une pétition demandant au gouvernement turc de cesser les opérations militaires violentes dans l’Est de la Turquie. Le pouvoir a considéré qu’il s’agissait d’un appui aux Kurdes. Les procès des signataires de cette pétition ont commencé en 2018. De nombreux universitaires ont perdu leur travail. Beaucoup ont été condamnés à des peines de prison. Les autorités turques leur ont proposé de renoncer à leur droit de faire appel et ainsi de ne pas effectuer leur peine. Ceux qui refusent de négocier sont emprisonnés. Il y a donc ainsi aujourd’hui en Turquie plus de 1 000 personnes menacées. 

En Iran les droits à l’éducation de la communauté Baha’ie sont complètement bafoués par le pouvoir iranien. Lorsqu’un jeune Baha’i est reçu à un concours d’entrée à l’université, il est immédiatement renvoyé. Notre comité est intervenu à plusieurs reprises car des professeurs sont persécutés voire condamnés parce qu’ils considèrent qu’enseigner à ces jeunes est un devoir essentiel. Ainsi un couple s’est vu condamner à cinq ans d’emprisonnement pour l’homme et trois ans pour la femme pour avoir essayé de faire cours à des Baha’is. Il est difficile de répondre à votre question car dans ce cas précis, qui faut-il considérer ? Les quelques enseignants persécutés ? Les milliers de jeunes à qui on refuse le droit à l’éducation ? Nous ne sommes pas intervenus pour le droit à l’éducation car nous n’étions pas en mesure de vérifier que nous n’allions pas mettre en danger ces jeunes gens et ces jeunes filles. En revanche nous avons agi pour les enseignants. 

Actuellement en Chine les incertitudes sur les Ouïghours sont considérables. On parle de millions d’internés, de jeunes enfants enlevés à leur famille pour leur donner une éducation conforme à la doctrine actuelle du pouvoir chinois. Nous avons également beaucoup de cas de personnes persécutées dans les pays du Moyen-Orient comme à Bahreïn ou au Koweït. Des médecins qui soignent des manifestants ont été battus par la police et internés. 

RPP – Tout cela ne traduit-il pas la remise en cause de l’autonomie du scientifique, principe de base des métiers scientifiques ?

Édouard Brézin – Stricto sensu je n’ai pas souvenir dans la période récente de cas liés au fait que l’activité scientifique était remise en cause. Historiquement cela a existé : le nazisme s’est évidemment illustré sinistrement en ce domaine. Il suffit aussi  de remonter à la période de l’Union soviétique et de l’offensive au nom du lyssenkisme contre les biologistes, renvoyés de leur institut, emprisonnés ou même déportés en Sibérie. De la même façon le pouvoir soviétique a lutté, pendant un certain temps, contre la mécanique quantique jugée science bourgeoise. Historiquement cela a donc existé. 

Aujourd’hui il est certain que beaucoup de pays ne pardonnent pas à la science la théorie de l’évolution.

Il y a plus de vingt ans, un luxueux ouvrage démontrant la gloire de Dieu et la vacuité de la vision darwinienne a été publié à grands frais dans toutes les langues par les pays islamiques. Aux USA et en France nous sommes dans quelque chose de plus délicat : la limite de la liberté de chercher par rapport aux concepts philosophiques. Nos lois sur la bioéthique sont une espèce de marche en équilibre sur une corde tendue dont on ne sait pas de quel côté il ne faut pas tomber. Nous sommes là dans les droits de l’homme stricto sensu. Les Britanniques sont, dans ce domaine, beaucoup plus audacieux que nous, par exemple en matière de recherche sur les cellules embryonnaires, sur les OGM, etc. 

Je suis par ailleurs très inquiet par la remise en cause, très répandue dans l’opinion publique française, des acquis de base de la science. Nous sommes le pays le plus sceptique au monde face aux vaccins. 

RPP – Vous faites partie du Conseil scientifique de PAUSE. De quoi s’agit-il ?

Édouard Brézin – Le Programme d’aide  à l’Accueil en Urgence des Scientifiques en Exil (PAUSE) a été lancé en 2016 par Thierry Mandon, alors secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. L’objectif de PAUSE est de favoriser l’accueil en France des chercheurs et scientifiques qui sont en danger ou persécutés dans leur pays. Ce programme permet d’assurer la continuité de leurs travaux et de protéger leurs familles. Ainsi, les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche publics qui le souhaitent peuvent accueillir des chercheurs étrangers en situation d’urgence et les accompagner dans leurs démarches d’insertion aussi bien professionnelle que personnelle. 

En 2017 et en 2018, PAUSE a soutenu cent personnes par an. En 2017 la majorité d’entre elles étaient des Syriens qui très souvent avaient effectué leur thèse en France et reprenaient contact avec leur laboratoire d’origine. En 2018, nous avons accueilli beaucoup de Turcs pour des raisons évidentes. Aujourd’hui, ce sont en priorité des Afghans, des Vénézuéliens et des Irakiens.

Il s’agit d’un programme généreux qui, je l’espère, permettra à beaucoup de scientifiques de se réinsérer.

RPP – Jean-Pierre Bourguignon m’a récemment fait part de son inquiétude quant à la situation de la recherche en Hongrie qui connaitrait une offensive de son gouvernement pour la fermeture d’un certain nombre de centres de recherche. Pouvez-vous intervenir sur ce type de sujet ?

Édouard Brézin – Le Codhos intervient sur des cas individuels, identifiés et argumentés. Or, là, il s’agit pour moi d’un sujet politique.

Ce n’est pas le rôle stricto sensu du Codhos d’intervenir auprès de M. Orban, c’est celui du gouvernement français s’il le souhaite.

Mais, c’est un vrai sujet et nous avons néanmoins protesté de la mise sous contrôle du pouvoir hongrois des instituts de recherche gérés jusqu’à présent par leur Académie des Sciences. 

RPP – Il y a des cas individuels de scientifiques menacés par des pouvoirs oppressifs, mais il y a également la remise en cause par des États d’un certain nombre de principes qui sont au fonctionnement même du champ scientifique. Cela relève-t-il pour vous du domaine des droits de l’homme ?

Édouard Brézin – Oui absolument. Mais dans ces cas, nous ne faisons pas intervenir le Codhos, mais les accords académiques. Le président de l’Académie va adresser à son collègue de l’Académie étrangère concernée une lettre lui faisant part de notre soutien. Par exemple en 2011, M. Erdogan avait décidé que l’Académie des sciences de Turquie devait changer de statut. Dans ce nouveau statut le président de l’Académie ainsi que les deux tiers de ses membres étaient nommés par le pouvoir et non plus élus par leurs pairs. Nous avons écrit au nom de l’Académie pour indiquer que cette procédure n’était pas conforme aux principes d’une véritable Académie des sciences. Suite à cela un certain nombre de nos collègues turcs ont démissionné et créé une nouvelle académie indépendante que nous avons immédiatement soutenue et qui a été reconnue au sein des instances internationales. Nous ne pouvions pas faire renoncer le pouvoir, en revanche nous lui avons fait comprendre que ce qu’il faisait n’était pas passé inaperçu et dans certain cas cela peut le déranger.

RPP – Mobilisez-vous parfois les pouvoirs publics, le ministère de la Recherche ?

Édouard Brézin – Il nous est arrivé d’informer le ministère des Affaires étrangères de certaines situations, mais en général il n’accuse pas réception de nos courriers. Jean-Yves Le Drian  nous a répondu une fois. Quant au ministère de la Recherche, il n’intervient absolument pas. Vous avez au sein de l’Institut de France cinq académies. Il y a plusieurs années nous avons écrit au secrétaire perpétuel de chacune d’entre elles pour leur demander de nous rejoindre. Nos courriers n’ont eu aucun effet à l’exception de l’Académie des inscriptions et belles-lettres qui nous a rejoints. Pourquoi seuls les scientifiques se mobilisent ? Je ne le sais pas.

RPP – Avez-vous des actions de concertation avec les académies étrangères ?

Édouard Brézin – Oui grâce au Committee on Human Rights nous sommes en liaison constante. Je fais partie de son comité exécutif qui décide et intervient sur des cas d’urgence. Avec ses membres prestigieux, dont plusieurs prix Nobel, nous essayons de faire pression et nous connaissons parfois quelques succès. Mais nous ne pouvons pas être comparés à Amnesty International qui arrive à mobiliser des dizaines de milliers de personnes à travers le monde. Certes nous n’avons pas cherché de relais politiques, mais ils ne nous ont pas approchés non plus. On pourrait imaginer qu’avant de se rendre dans un pays étranger, un ministre ou un chef d’État pourrait nous interroger sur les relations scientifiques que nous entretenons avec ce pays et les cas problématiques dont nous avons connaissance. Je n’ai pas vraiment de souvenir en ce sens. 

RPP – Quels sont pour vous les principales menaces qui pèsent sur l’homme de science en ce début de XXIe siècle ? 

Édouard Brézin – Pour moi la principale menace vient de l’obscurantisme qui fait que la parole de la science est de plus en plus inaudible.

Lorsque je regarde mon  journal du soir je suis effaré d’y voir combien d’éventuels conflits d’intérêt sont montés en épingle, et  entretiennent ainsi un doute sur l’intégrité scientifique.

Si je vous dis que je ne crois pas que les antennes de téléphonie mobile soient un danger majeur pour la santé, je suis immédiatement inaudible et suspecté d’être le complice de je ne sais quels intérêts. La lutte contre les effets anthropiques sur le climat est essentielle et je pense que si la France émet deux fois moins de CO2 que les Allemands c’est grâce au nucléaire. Mais si je dis cela on va me soupçonner, simplement parce que je suis  physicien, de défendre un lobby. 

RPP – Voulez-vous dire qu’il y a aujourd’hui une logique du soupçon qui plane sur la parole du scientifique ?

Édouard Brézin – Oui tout-à-fait. C’est vrai pour les OGM, pour un certain nombre de possibilités aujourd’hui aussi bien en génétique humaine qu’en génétique des plantes, il y a un soupçon immédiat.

RPP – Qu’en est–il de l’utilisation de la science par des régimes autoritaires ou totalitaires ? Ce n’est pas un sujet nouveau, mais il est réel et engage les scientifiques, à un moment donné, dans une espèce de relation quasi organique entre le pouvoir et la recherche ?

Édouard Brézin – L’exemple emblématique est le projet Manhattan pendant la Seconde Guerre mondiale qui a mobilisé  tous les scientifiques américains mais également de nombreux étrangers. Je me suis souvent interrogé pour savoir ce que j’aurais fait si j’avais été en âge de participer à ce projet. Face à l’Allemagne nazie et à son programme nucléaire allemand, c’était une décision difficile.  

Au cours de la période récente nous avons connu des cas où des scientifiques ont été mobilisés par le pouvoir quelquefois de force. Avant le traité avec l’Iran sur les armes nucléaires, qui maintenant a été malheureusement dénoncé par Trump, il était clair que les Iraniens cherchaient à enrôler de force tous les scientifiques quels qu’ils soient pour accélérer leur programme militaire nucléaire. Nous sommes intervenus sur le cas d’un Iranien qui avait obtenu une bourse d’une université américaine pour effectuer sa thèse. De retour en Iran, pour visiter sa famille pendant les vacances, il a été immédiatement emprisonné. C’était un moyen de faire pression sur lui pour travailler sur le programme nucléaire iranien alors qu’il s’y refusait. Voici un exemple de pression qui existe. Dans les démocraties occidentales actuelles, je n’ai pas connaissance d’interférences.

RPP – Mais il peut y avoir des pratiques scientifiques qui sont contraires au respect des droits de l’homme ?

Édouard Brézin – Le cas de cet abominable généticien chinois qui a fait naître des jumelles à partir d’embryons génétiquement modifiés grâce à la technique CRISPR-Cas9 a indigné le monde entier y compris le pouvoir chinois. Et je pense que ce chercheur va avoir des ennuis. 

Après le projet Manhattan s’est créé le mouvement Pugwash opposé à l’utilisation de la science à des fins militaires. Il est arrivé également que des moratoires scientifiques temporaires approfondissent l’examen des risques des techniques nouvelles avant de décider si l’on peut poursuivre les recherches. 

RPP – En conclusion ?

Édouard Brézin – Les atteintes aux droits humains me semblent loin d’être en régression et j’aimerais que les combattre suscite autant d’intérêt que la protection de la planète.

Édouard BRÉZIN
Membre de l’Académie des sciences
Co-Président du Comité de défense des scientifiques – Codhos
 (Propos recueillis par Arnaud Benedetti)

Edouard Brézin

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