En octobre 2014, les troubles graves de la ZAD de Sivens et le décès d’un jeune homme ont conduit la représentation nationale à s’interroger sur la manière dont le maintien et le rétablissement de l’ordre public sont conduits en France.
La commission d’enquête qui en a été chargée ne s’est pas préoccupée d’enquêter sur le drame de Sivens dont une information judiciaire établira les responsabilités, mais de traiter du système de maintien de l’ordre français dans son intégralité, ouvrant ainsi un débat fondamental et ô combien “nécessaire à notre temps”. Je considère comme de mon devoir de contribuer à ce débat. Du maintien de l’ordre je pense pouvoir dire en effet que j’ai une expérience essentielle : ma réflexion sur cette fonction et cette réalité fondamentales s’est développée d’abord lors de mon service au sein du Bureau défense de la DGGN, mais surtout durant tout le temps pendant lequel j’ai commandé le Centre national d’entraînement des forces de Saint-Astier, et dans la foulée la région de Gendarmerie de Picardie. L’expertise de ce domaine que l’on veut bien généralement me reconnaître du fait de mon expérience tant opérationnelle que doctrinale et pédagogique m’a valu, dès le lendemain de ces évènements dramatiques, d’être sollicité par de nombreux media, puis d’être auditionné par la commission. Je puis aujourd’hui croiser mon parcours militaire avec mon nouvel engagement de chef d’entreprise qui me permet de commencer à appréhender in vivo un environnement que la haute fonction publique ne peut concevoir parce qu’elle n’en est pas. J’ai également, et là est peut-être ma plus grande légitimité, celle qui s’offre à tous dans notre système démocratique, le devoir d’exprimer ce que ma conscience de citoyen libre peut tirer de l’observation attentive des choses.
Or justement, l’enquête sur le drame de Sivens n’a pas concerné seulement la gendarmerie, mais tout le système de maintien de l’ordre français1, et on peut dire que le débat qu’elle a ouvert concerne finalement le système politique français dans son entier.
En effet, le débat sur le maintien de l’ordre doit être analysé comme fondamentalement politique2, c’est-à-dire qu’il renvoie à des choix fondamentaux pour notre société et pour notre État ; ces choix sont des choix de sens, dans la mesure où ils doivent s’appuyer sur l’affirmation ou la réaffirmation des valeurs essentielles qui fondent la problématique même de l’ordre public (c’est-à-dire politique) français. En effet, seules ces valeurs peuvent constituer le cadre de sens nécessaire pour produire la politique de maintien de l’ordre (et notamment une politique d’utilisation de la force) nécessaire face aux graves périls auxquels est confronté notre pays. Mais ce débat si fondamental sur les valeurs est tellement difficile et tellement sensible qu’il est souvent noyé dans des querelles sémantiques, notamment sur la question de la définition de l’ordre public.
Tout d’abord et en préliminaire, la question n’est pas technique.
Il ne s’agit pas en effet de se prononcer sur les caractéristiques ni sur la pertinence de l’outil dont dispose l’État pour assurer en même temps la libre expression démocratique et le respect de l’ordre public républicain, et ceci conformément à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et les compagnies républicaines de sécurité (CRS) sont des unités professionnelles parfaitement formées et encadrées qui remplissent tactiquement et techniquement leur mission avec un grand sens républicain et un respect pour la dignité humaine incontestable, comme l’ont rappelé les membres de la commission lors de leur visite au Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie. La France est probablement le pays au monde qui a poussé la science du maintien de l’ordre à son plus haut niveau avec une synergie parfaite entre unités territoriales et forces mobiles dans une approche tactique intégrée comme le démontre la Direction de l’ordre public et de la circulation de la préfecture de Police à Paris et le Centre de planification et de gestion de crise pour la gendarmerie. La gradation des moyens, la traçabilité des ordres, le primat du groupe sur l’action individuelle, la préservation de l’intégrité physique de l’adversaire structurent mentalement et physiquement l’action de nos forces au maintien de l’ordre (MO) et ce dans les contextes les plus dégradés. Certes, la dissolution de 15 EGM et la dévaluation des effectifs des compagnies de CRS ont entraîné un trou capacitaire insoluble. Celui-ci a été pallié par le recours à des unités de circonstances peu ou pas formées au rétablissement de l’ordre. Ce point a fait l’objet d’une critique forte de la commission dans un environnement sécuritaire lié aux attaques terroristes ; elle plaide pour une consolidation des forces de réserve générale que sont les unités de force mobile. Le gouvernement semble avoir compris cette nécessité et vient de décider la création de 23 pelotons supplémentaires de gendarmerie mobile.
Le débat n’est donc pas de cette nature. On pourra toujours ergoter sur le bien-fondé du maintien ou non de la grenade offensive ou sur la probable remise en cause du lanceur de balles de défense de 40 mm, mais ce n’est pas le cœur du sujet.
En réalité le premier débat est celui des valeurs, mais aussi celui de la sémantique, du sens que l’on donne aux mots qui recouvrent une réalité.
Prenons donc un peu de recul. Et penchons-nous sur la signification des recommandations de la commission d’enquête3. Celles-ci démontrent à notre sens que les problèmes rencontrés ne résultent pas à titre principal de fragilités au niveau technico-tactique, soit la manœuvre opérationnelle stricto sensu.
Soyons clairs : certains atermoiements traduisent un phénomène profond mais banalisé de fragilisation de l’État de droit, de recul de la République.
Ils se manifestent notamment sous couvert du fameux concept “du désordre acceptable” ; mais doit-il annihiler toute volonté ? Ils entraînent l’absence de directives nettes (facilitée par la suppression des réquisitions), mais aussi le recul de l’autorité, et ceci au cœur de l’évènement, ainsi que le laissez-faire, alors même que des comportements graves sont aisément qualifiables d’un point de vue pénal.
Le régime et par voie de conséquence ses grands serviteurs pourraient encore évoquer comme excuses atténuantes le poids de la presse et de l’opinion publique. Or, la première, à de rares exceptions près, enkystée dans des “mythes incapacitants”, et la seconde, dans son immense majorité, animée par le bon sens et le discernement, expriment un refus croissant de la violence et de ces désordres qui constituent de nouvelles oppressions. Elles le refusent d’autant plus qu’elles pressentent que notre société est entrée dans des épreuves qui éprouveront douloureusement sa cohésion.
Revenons sur cette « acception large » du maintien de l’ordre qui nous paraît centrale et qui doit nous amener à nous interroger, bien au-delà des travaux de ladite commission, sur les véritables mesures à prendre dès à présent.
Ces mesures doivent être à l’évidence conçues comme les réponses pour prévenir ou réduire les nouvelles menaces qui touchent notre patrie. Or, peu de voix finalement s’élèvent encore aujourd’hui pour identifier ces menaces et les analyser. Quelles sont-elles ? On peut, me semble-t-il, les analyser à deux niveaux : celui de l’identité nationale française et celui de l’autorité de l’État.
Je voudrais tout d’abord revenir sur ce qui paraît être le préalable à toute chose, à savoir l’affirmation simple mais forte, sans aucune concession, de notre identité, de l’intangibilité de nos valeurs, de l’indivisibilité de la République se rapportant à sa réalité territoriale mais plus encore à sa densité spirituelle puisant dans son long cheminement historique et philosophique et codifiant notre quotidien. Densité spirituelle dans laquelle se sont fondus consciemment tant d’hommes et de femmes venus chercher un avenir meilleur en terre de France.
Jacques Julliard, interviewé il y a quelques mois à propos de la gauche socialiste et des intellectuels, a eu cette phrase intéressante : “je ne vois pas pourquoi la France serait le seul pays au monde à ne pas avoir droit à une identité”44.
Nous ne pouvons plus ignorer en la matière les avertissements lancés par certains intellectuels, parfois sur les ruines de leurs propres illusions de jeunesse : Michel Onfray, Régis Debray… Écoutons et lisons le député Malek Boutih dans le rapport qu’il vient de remettre au Premier ministre, intitulé Génération Radicale5. Écoutons et lisons Le sursaut ou le chaos6 de Thibault de Montbrial… Ou relisons L’étrange défaite de Marc-Bloch où tout est dit comme pour un cruel recommencement quand la lucidité qui est le premier courage est condamnée par la lâcheté rationalisée7.
Il faudra aussi revenir sur la nécessité première de la réhabilitation des rites que sont le respect du drapeau, l’hymne de la nation, ainsi que du culte de ceux qui ont donné leur vie pour la Patrie. Les récents et tragiques événements de novembre ont montré leur évidence, et l’attachement profond du peuple français à ces symboles fondamentaux de sa propre existence.
Car le premier combat est bien idéologique et c’est bien notre peu d’empressement à le mener, y compris et de façon encore plus déconcertante au sein du monde militaire, qui a pour conséquence le double phénomène de l’anomie générale et de l’émergence de foyers hostiles, selon une logique naturelle qui fait que la première favorise la seconde.
Alexandre de Marenches déclarait dans Le secret des princes : “Nous avons dangereusement négligé la guerre globale, celle qui, en plus de la guerre militaire, agresse les âmes, les cœurs, les esprits, les cerveaux…/… Si nous négligeons cette forme d’agression qui est la plus dangereuse, nous serons vaincus. Nous sommes déjà en passe de l’être puisque que nous ne croyons plus à grand-chose, alors qu’en face de nous, nous avons des gens déterminés…/… aujourd’hui, on ne conquiert plus le terrain, on conquiert les âmes, on conquiert le psychisme. Une fois qu’on a le psychisme, on a l’homme. Quand on a l’homme, le terrain suit”8.
“Nous sommes entrés dans l’ère de la violence globale”9. La dégradation de notre environnement régional, la multiplication d’actes terroristes dont des pratiques empruntent aux modes opératoires les plus barbares et qui confinent pour certains à de véritables actes de guerre, l’édification au cœur de nos territoires de zones très peuplées et de plus en plus structurées par la délinquance organisée et l’idéologie salafiste, mais encore les frustrations d’une France périphérique qui se sent doublement menacée, sur le plan identitaire et social… doivent nous conduire à repenser “le maintien de l’ordre”. Mais pour cela encore faut-il avoir une conscience claire de ce qu’il faut entendre par là. Aucune situation ne peut être plus délétère dans une démocratie lorsque le gouvernement, les citoyens et les forces de l’ordre ne sont pas au clair et “en phase” sur cette question fondamentale10.
Dans la France d’aujourd’hui on ne peut que s’interroger sur la notion même de maintien de l’ordre et sa traduction souvent attentiste, voire parfois démissionnaire par certaines autorités de l’État chargées dans les territoires de garantir l’application de la loi. Les phénomènes zadistes sont en droit ni plus ni moins que de la sédition, voire des phénomènes pré-insurrectionnels qui cumulent toutes les atteintes aux valeurs républicaines. On peut citer pêle-mêle : – il y a le choix – la liberté d’aller et de venir, la liberté de la presse, l’atteinte aux droits de propriété, la constitution de bandes armées qui de nuit, en réunion attaquent les représentants des forces de l’ordre avec des moyens létaux (mortier, bouteilles incendiaires…), ces derniers faits très graves pouvant relever de la Cour d’assises11.
Nous ne sommes pas dans de la contestation politique démocratique mais bien dans la déstabilisation de l’État.
Durant des semaines, voire des mois, on constate la réitération d’actes graves dont la majorité des auteurs sont identifiés, la mise en œuvre de chaînes logistiques et de sites internet de mobilisation. Se pose alors la question non seulement de l’action administrative globale, mais surtout de celle de la justice. Le rétablissement de l’ordre est donné comme relevant de la police administrative. Cessons de nous bercer de cette illusion franco-française. Le rétablissement de l’ordre participe de la police judiciaire qui vise à faire cesser les actes de délinquance, à identifier les auteurs et à les placer dans les mains de la justice. Si les deux premiers éléments sont généralement réalisés, le dernier chaînon manque fréquemment et ce défaut contribue à nouer le drame de façon inéluctable. Face aux nouvelles menaces nettement différentes des phénomènes de contestation traditionnels, le maintien de l’ordre exige une manœuvre globale combinant l’immersion territoriale, une réponse judiciaire systématique, et une intervention adaptée par son volume et ses modes d’action des forces spécialisées. Le sommet du G8 à Evian en juin 2003 est un exemple concret pour illustrer l’efficacité d’une telle démarche. En effet, un modèle opératoire de traitement judiciaire en temps réel dans une approche intégrée avait été fort pertinemment mis en œuvre à cette occasion. Il plaçait les magistrats au cœur de la réponse de l’État conciliant ainsi des impératifs de neutralisation des activistes et de lisibilité de l’État de droit.
Nous devons noter également que ces ZAD hypothèquent de manière stérile des forces dont l’utilité est avérée en cas d’attaque terroriste pour contrôler certaines zones, à l’image des opérations de janvier et de novembre 2015. La magnanimité dont font preuve certains à l’égard de ces individus est donc coupable à plus d’un titre. C’est un déni de justice, c’est une atteinte aux valeurs républicaines de cohésion sociale et enfin c’est un détournement des forces utiles à la protection de la nation en ces temps dangereux.
C’est ainsi que la transformation de la nature et de la durée des engagements a énormément complexifié la situation.
Nous en arrivons finalement au second débat, c’est-à-dire à la question majeure des défis opérationnels contemporains à l’ordre public.
La conception du maintien de l’ordre public sur laquelle s’appuient de manière générale les autorités politiques et les forces de l’ordre aujourd’hui a été élaborée à une époque de contestations essentiellement politiques et syndicales, avec l’impératif de conserver la permanence du dialogue politique, car une sortie de crise négociée était réalisable. Cette conception ne fonctionne plus qu’à la marge. En effet, les actions de rétablissement de l’ordre s’inscrivent de plus en plus dans un contexte insurrectionnel avec la négation même de la négociation. Les ZAD viennent s’ajouter aux séditions de certains quartiers sensibles aux mains de gangs mafieux et en outre-mer l’existence de zones de non droit criminels. Les dissidences anarchiste et criminelle nient par essence les valeurs républicaines et le pacte traditionnel autour de l’ordre public. Ne pas vouloir entendre cette évolution conduit à délégitimer l’autorité de l’État et contrevenir au principe d’égalité des citoyens devant la loi.
Les faits sont là. Il faut désormais pouvoir à tout moment faire face à des phénomènes de violence très aigus. Que ce soient des délinquants armés de plus en plus déterminés, ou plus encore des terroristes engagés dans des cycles de tuerie aveugle ou des objectifs sélectifs touchant des individus, des installations… L’intervention doit être rapide et relève, par nécessité, de l’engagement premier des militaires des unités territoriales, en tous cas en ce qui concerne la gendarmerie, comme l’a démontré l’accrochage avec les frères Kouachi géré par deux gendarmes départementaux. Nous retrouvons là le concept de “primo intervenants” porté par le général Favier, directeur général de la gendarmerie nationale : celui-ci marque une rupture avec le concept fondé sur la mise en place d’un dispositif d’attente (périmètre de sécurité…) et l’intervention des forces d’intervention spécialisée de type GIGN.
Cela oblige à une reconsidération de l’outil humain, dans son recrutement et dans sa formation initiale et continue. Cela oblige à des adaptations des équipements et notamment de l’armement. Une première mesure simple consisterait à reverser dans les unités les fusils d’assaut aujourd’hui stockés avec des dotations en munitions adaptées pour contrer la menace et durer dans le temps. Cela oblige à repenser les casernes de gendarmerie. Cela oblige à un affermissement de la culture militaire avec un recentrage des cœurs et des esprits sur le primat de la mission. Cependant il faut rappeler que les récentes décisions de l’Union européenne sur le temps de travail et de la Cour européenne des droits de l’homme sur le problème de la représentation des militaires constituent autant de potentialités de déstabilisation du système militaire12.
Cela oblige encore à un repositionnement de la hiérarchie de contact qui doit être une hiérarchie de décision et d’action.
Mais surtout, cela oblige à repenser la place des forces de l’ordre et notamment de la gendarmerie, dans la capacité générale d’action et de défense de la société contre un ennemi de moins en moins identifiable parce qu’il se trouve en son sein même.
Cette place doit être repensée dans un rapport nouveau aux citoyens. À cet égard, l’importance de ce que l’on peut appeler le “lien armée-nation” n’est pas qu’une vieille lune : il fait partie de la conscience que la nation a d’elle-même, de son existence et de sa force en tant que telle.
Il peut prendre plusieurs formes : il peut être un simple état de conscience, dans une société qui n’est pas confrontée à des conflits ou à des agressions majeures ; mais il peut aussi déboucher sur l’action, dans l’implication volontaire des citoyens dans la lutte contre le désordre et les agressions si celles-ci deviennent très graves. Ceci n’a rien de particulièrement extraordinaire. L’histoire de la France ou du Royaume-Uni, pour ne prendre que l’exemple des deux plus grandes puissances européennes, en est pleine. Des gardes nationales aux réservistes et aux rassemblements de citoyens inquiets aujourd’hui, aux special constables ou à la Yeomanry13, ou encore plus récemment à l’Ulster Defence Regiment14 pour le Royaume-Uni qui a une tradition beaucoup plus ancienne et constitutionnelle de l’intervention des citoyens dans le maintien de l’ordre public15, l’engagement des citoyens est une constante historique du fonctionnement de l’État et de la démocratie en Europe, on l’oublie trop souvent.
Aujourd’hui on évoque le concept de “Garde nationale”. Celle-ci existe déjà : ce sont les 30 000 réservistes opérationnels de la gendarmerie qui sont au quotidien intégrés dans les forces d’active. Mais le véritable défi est de restaurer une véritable capacité de défense opérationnelle du territoire implantée réellement dans celui-ci en s’appuyant notamment sur le maillage des groupements de gendarmerie départementale. Elle permettra non seulement de mieux tenir le territoire dans le temps et la profondeur, mais aussi de libérer les forces de manœuvre (les forces mobiles et l’armée de terre) indispensables à l’action principale. À cet effet, il convient d’évoluer vers une semi-professionnalisation du réserviste opérationnel (systématiser des contrats a minima de trente jours, seuil de compétence et de reconnaissance), ce qui démultipliera la disponibilité globale. Par ailleurs, l’efficacité doit redevenir le critère majeur en privilégiant un encadrement resserré de grande qualité (filière d’officiers et de gradés de réserve).
Les réservistes citoyens doivent également mieux trouver leur place dans la manœuvre globale contre les nouvelles menaces.
Des phénomènes de masse sont également à prendre en considération. L’histoire de notre pays démontre qu’ils furent récurrents, alors même qu’il était caractérisé par une homogénéité culturelle et ethnique. Ces phénomènes de masse pourront avoir comme origine un fait mineur qui fera office de catalyseur. Qu’ils s’appuient sur des groupes structurés aux desseins déjà identifiés, ou qu’ils soient portés par une amplification irrationnelle, ils seront nourris par les réseaux sociaux très ramifiés que permettent les nouvelles technologies.
Ils pourront prendre la forme de vagues déferlantes sur les centres urbains, ou de quartiers ou de villes entrant en sédition ouverte…
Ils appelleront des réponses très rapides et incisives, là aussi selon des processus de décision raccourcis qui obligeront les autorités locales responsables de l’ordre public et les commandants des forces de l’ordre.
Se pose ainsi la question de la montée en puissance des forces à partir d’un pré-positionnement, notamment dans la capitale et les mégapoles majeures, de leur suffisance numérique, et bien évidemment de leur préparation et leurs équipements. Ces questions touchent particulièrement la gendarmerie mobile dont il convient de repenser l’architecture générale, de renforcer les effectifs, de davantage encore militariser la formation, et de rénover les dotations en armement individuel et collectif, et en blindés. En d’autres termes, il est essentiel de restaurer la gendarmerie mobile telle que conçue sous la IIIe République (Garde républicaine mobile), comme force de maintien de l’ordre mais également comme force combattante, pivot de la défense intérieure de la nation. Le dernier rapport d’évaluation de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale rédigé par le député Hugues Fourage et le sénateur François Pillet est à cet égard riche d’enseignements. Retenons en particulier un extrait tiré de sa conclusion : “Son caractère de force armée fait incontestablement la force de la gendarmerie. Il lui permet d’accomplir avec performance ses missions, en tous lieux et en tous temps. Ses spécificités sont certainement un atout pour la France et il appartient de ne pas fragiliser ou laisser progressivement, par facilité ou par méconnaissance, se fissurer cet édifice. Le respect de cet objectif politique établi clairement par la loi du 3 août 2009, sera sans doute un point fondamental que contrôleront les rédacteurs des prochains rapports d’évaluation de la loi”.
Comme je l’avais évoqué dans un article de doctrine16 rédigé en collaboration avec Anne Mandeville, l’armée de terre jouera un rôle accru sur le territoire national. Elle le fait déjà dans une démarche de prévention. Elle aura vocation à le faire selon un engagement collectif et massif, notamment pour assurer des bouclages de secteurs qui devront être traités, dans la mesure du possible, par les forces de sécurité intérieure. Le maintien de leurs effectifs pour faire face à leurs engagements extérieurs mais désormais pour assurer leur mission à l’intérieur est une nécessité que j’ai d’ailleurs évoquée durant mon audition devant la commission d’enquête.
Le renseignement est évidemment capital pour prévenir les agressions tant individuelles que massives qui entament la résilience de la nation. Il s’appuiera qu’on, le veuille ou non, sur les évolutions technologiques et marquera un rééquilibrage entre les impératifs de la défense du corps social et les exigences des libertés publiques. La fonction renseignement devra être assumée à tous niveaux, et mieux comprise comme une architecture pyramidale dont la base est ancrée au sol, non le contraire.
Ce renseignement est de nature à permettre des réactions rapides relevant, y compris selon l’évolution et la dimension de l’évènement, d’une nécessaire centralisation de la conduite des opérations s’appuyant sur une planification et une exigence d’anticipation, comme l’ont démontré encore récemment le directeur de la gendarmerie et à son niveau le ministre de l’Intérieur.
Il y a maintenant près de dix ans nous définissions dans l’article cité plus haut “l’enjeu politique d’aujourd’hui“ comme celui de “policer un monde en désordre“17. Ceci implique de redéfinir l’ordre, non pas sur un plan juridique et technique mais sur le plan des valeurs, afin d’être à même de résoudre la question fondamentale du choix des moyens de le maintenir, celui d’un “système“ de maintien de l’ordre, et notamment du choix et de l’utilisation des instruments de force pour l’imposition du respect de cet ordre, au plan interne mais aussi au plan international. Le militaire est au centre de cette redéfinition, comme nous l’expliquions dans ce même article, car la considération du militaire est “facilitée, voire déterminée par de nouvelles réalités. L’action militaire réinvestit le champ global des interactions individuelles et collectives, intra-étatiques et interétatiques, dans un processus de reconsidération globale de la fonction de maintien de l’ordre“18.
Comme l’écrivait Charles de Gaulle, “valeur militaire, vertu des armes, peines et services des soldats, il n’y a point sans cela de pays qui se tienne ou qui se remette debout ».
Bertrand Cavallier, Général de division (2S)
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(1) Cette commission a rendu ses conclusions et ses recommandations dans un rapport enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 21 mai 2015. Elle a formalisé des propositions pertinentes, souvent inspirées de celles portées par la direction générale de la gendarmerie nationale. D’aucunes concernent la chaîne hiérarchique globale : par exemple,“clarifier les rôles respectifs de l’autorité civile et des forces mobiles“ (proposition 2) ; et “assurer la présence permanente de l’autorité civile pendant les opérations de maintien de l’ordre“ (proposition 3). D’autres relèvent du domaine judiciaire quand elles préconisent de “rappeler le dispositif actuel des interdictions judiciaires de manifester sur la voie publique (proposition 7)“.
(2) Voir Anne Mandeville, Le système de maintien de l’ordre public du Royaume-Uni : modèle européen ou exception culturelle ? (volume 1, introduction), Publibook, Paris, 2015.
(3) Dont l’une est d’ailleurs qualifiée de “rappel“.
(4) Vincent Tremolet de Villers, “Le PS s’éloigne du Peuple, les intellectuels s’en rapprochent“, Le Figaro, 5 juin 2015.
(5) Malek Boutih, Génération radicale, juin 2015. https://www.boutih.fr/wpcontent/uploads/ 2015/07/G%C3%A9n%C3%A9ration-radicale.pdf
(6) Thierry de Montbrial, Le sursaut ou le chaos, Plon, Paris, 2015.
(7) Marc Bloch, “Examen de conscience d’un Français“, in L’Etrange défaite, Société des Éditions Franc-Tireur, Paris, 1946.
(8) Alexandre de Marenches, Christine Ockrent, Dans Le secret des princes, Stock, Paris, 1986.
(9) Bertrand Cavallier, Discours de présentation du CNEFG lors de la visite du ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, à Saint-Astier, le 4 avril 2003.
(10) On peut voir sur ce sujet les réflexions toujours d’actualité de la politologue Anne Mandeville à propos de la situation en Irlande du Nord il y a quelques années in L’Armée britannique en Irlande du Nord : Contribution à une théorie du maintien de l’ordre, plus particulièrement la section 1 du chapitre 3 du titre 1, “maintenir un ordre : quel ordre ?“, Toulouse, publications du Centre d’études et de recherche sur l’Armée, 1983.
(11) Article 222-14-1 du Code pénal.
(12) Voir notamment : https://www.opex360.com/2015/07/10/comment-la-directive-europeenne-sur-le-temps-de-travail-va-t-elle-sappliquer-aux-militaires/
(13) Voir Anne Mandeville, Le système de maintien de l’ordre public du Royaume-Uni : modèle européen ou exception culturelle ? op.cit.
(14) Voir Anne Mandeville, “Format organisationnel et violence de l’État : le cas de l’Ulster Defence Regiment en Irlande du Nord“, in Philippe Braud (sous la direction de), La violence politique dans les démocraties occidentales, Éditions l’Harmattan, Paris, 1993, pp. 205-226.
(15) Voir Anne Mandeville, Le système de maintien de l’ordre public du Royaume-Uni : modèle européen ou exception culturelle ?, tome I, op.cit.
(16) Bertrand Cavallier et Anne Mandeville, “La renaissance du système militaire comme acteur essentiel de la fonction de police globale contemporaine“ Revue Inflexions n°4, octobre-novembre-décembre 2006.
(17) Ibidem, p. 47.
(18) Ibidem, p. 51.
- Cette commission a rendu ses conclusions et ses recommandations dans un rapport enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 21 mai 2015. Elle a formalisé des propositions pertinentes, souvent inspirées de celles portées par la direction générale de la gendarmerie nationale. D’aucunes concernent la chaîne hiérarchique globale : par exemple,“clarifier les rôles respectifs de l’autorité civile et des forces mobiles“ (proposition 2) ; et “assurer la présence permanente de l’autorité civile pendant les opérations de maintien de l’ordre“ (proposition 3). D’autres relèvent du domaine judiciaire quand elles préconisent de “rappeler le dispositif actuel des interdictions judiciaires de manifester sur la voie publique (proposition 7)“. ↩
- Voir Anne Mandeville, Le système de maintien de l’ordre public du Royaume-Uni : modèle européen ou exception culturelle ? (volume 1, introduction), Publibook, Paris, 2015. ↩
- Dont l’une est d’ailleurs qualifiée de “rappel“. ↩
- Vincent Tremolet de Villers, “Le PS s’éloigne du Peuple, les intellectuels s’en rapprochent“, Le Figaro, 5 juin 2015. ↩
- Malek Boutih, Génération radicale, juin 2015. https://www.boutih.fr/wpcontent/uploads/ 2015/07/G%C3%A9n%C3%A9ration-radicale.pdf ↩
- Thierry de Montbrial, Le sursaut ou le chaos, Plon, Paris, 2015. ↩
- Marc Bloch, “Examen de conscience d’un Français“, in L’Etrange défaite, Société des Éditions Franc-Tireur, Paris, 1946. ↩
- Alexandre de Marenches, Christine Ockrent, Dans Le secret des princes, Stock, Paris, 1986. ↩
- Bertrand Cavallier, Discours de présentation du CNEFG lors de la visite du ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, à Saint-Astier, le 4 avril 2003. ↩
- On peut voir sur ce sujet les réflexions toujours d’actualité de la politologue Anne Mandeville à propos de la situation en Irlande du Nord il y a quelques années in L’Armée britannique en Irlande du Nord : Contribution à une théorie du maintien de l’ordre, plus particulièrement la section 1 du chapitre 3 du titre 1, “maintenir un ordre : quel ordre ?“, Toulouse, publications du Centre d’études et de recherche sur l’Armée, 1983. ↩
- Article 222-14-1 du Code pénal. ↩
- Voir notamment : https://www.opex360.com/2015/07/10/comment-la-directive-europeenne-sur-le-temps-de-travail-va-t-elle-sappliquer-aux-militaires/ ↩
- Voir Anne Mandeville, Le système de maintien de l’ordre public du Royaume-Uni : modèle européen ou exception culturelle ? op.cit. ↩
- Voir Anne Mandeville, “Format organisationnel et violence de l’État : le cas de l’Ulster Defence Regiment en Irlande du Nord“, in Philippe Braud (sous la direction de), La violence politique dans les démocraties occidentales, Éditions l’Harmattan, Paris, 1993, pp. 205-226. ↩
- Voir Anne Mandeville, Le système de maintien de l’ordre public du Royaume-Uni : modèle européen ou exception culturelle ?, tome I, op.cit. ↩
- Bertrand Cavallier et Anne Mandeville, “La renaissance du système militaire comme acteur essentiel de la fonction de police globale contemporaine“ Revue Inflexions n°4, octobre-novembre-décembre 2006. ↩
- Ibidem, p. 47. ↩
- Ibidem, p. 51. ↩