Dans son numéro du 31 octobre dernier (2726), Le Point consacre une très intéressante et fournie analyse à « l’étrange fin de règne » de Macron. Parmi les « étrangetés », on relève celle relative à la dette française. Il est même titré : « Le Président de la dette : histoire d’une faute ». On le sait, en l’espèce, c’est durant le mandat du locataire de l’Elysée que la dette s’est creusée de façon abyssale : près de 1000 milliards. Avec Philippine Robert du Point, on est en droit de s’interroger : « Comment cet adversaire de la dette qui promettait de dézinguer tous les dogmes a-t-il été atteint par la fièvre dépensière ? » Et l’on peut rajouter plus qu’aucun autre de ses prédécesseurs ! Le successeur de F. Hollande a donc consciemment laissé filer la dette en la distribuant à tous crins. Et, pour faire bonne mesure, il a cautionné quelques manipulations afin d’« habiller » les choses. Et il a associé à cette vilénie des premiers ministres et un ministre de l’Économie. Il y a donc eu « faute » au plus haut sommet de l’État que l’on va relater. Et l’on montrera avec Joseph Joubert qu’« il est dans l’ordre qu’une peine inévitable suive une faute volontaire ».
- Les fautes
Lorsqu’on lit l’art. 68 C, on y découvre qu’en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat », le Président de la République peut être destitué.
Nous avons déjà eu l’occasion dans ces colonnes de disserter sur cette « faute » que l’on appelait avant 2007, et de façon bien plus pertinente, « haute trahison ». C’est d’ailleurs cette dernière acception que nous déciderons de retenir s’agissant de Macron. Comme le note Mme Robert, « l’histoire de ces 1000 milliards de dette, c’est celle du pari raté d’un président sur fond de crises successives ». Cette « dette Macron » c’est tout simplement une faute dans l’exercice des fonctions présidentielles. Cette faute est d’abord chronologiquement lisible, constamment rééditée (assumée ?) durant les mandats macroniens. Et elle a été relayée par des ministres qui devraient être passibles de la Cour de Justice de la République. On le verra également.
La « faute » débute en 2017 et va s’achever d’ici peu en fiasco financier annoncé. En 2017, à l’instar de son célèbre prédécesseur Mitterrand (il y a une incontestable filiation de ce point de vue) en 1981, l’ancien ministre de l’Économie de F. Hollande va réaliser un certain nombre de promesses électorales et en particulier réaliser 60 milliards d’économie pour résorber le déficit public. Redresser la barre, mais « en même temps » (la doxa lexicale nouvelle) investir et stimuler la croissance. Mais la présidence Hollande a laissé un trou de 8 milliards. Bien léger par rapport à celui que va creuser son successeur, ex-protégé. Dès lors, l’objectif d’un déficit sous les 3 % devient irréaliste (tellement résiduel par rapport aux près de 6 % actuels…).
Dès lors, sous les ordres de l’ancien cadre de Rothschild devenu président, E. Philippe et même J. Castex à Matignon, puis MM. Le Maire et Darmanin à Bercy vont s’atteler à des réformes peu sympathiques : annulation de crédits en tous genres, baisse des APL, de certaines retraites, surtaxes sur les entreprises. Certes, la dette diminue d’environ 18 milliards du 2e au 4e trimestre.
À l’automne 2018, E. Philippe, en accord avec le chef de l’État, décide de transformer l’Administration avec le plan « Action publique 2022 ». En pleine confection du budget (le premier véritable sous Macron), c’est une baisse d’impôts de 7 milliards qui est annoncée : l’ISF devient IFI, instauration du PFU de 30 %, baisse de l’impôt sur les sociétés, suppression de la taxe d’habitation pour les plus modestes. Ce coup de serpette doit cependant être compensé : gel du point d’indice et remise en place du jour de carence pour les fonctionnaires, baisse du budget du logement, fin de la prime d’embauche. On doit convenir que le déficit se stabilise alors à 2,5 % du PIB. Il en va de même de la dette. D’ailleurs, le Conseil européen salue l’effort français en juin 2018, levant la procédure de déficit excessif qui frappe la France depuis 2009. Rendons ici à César ce qui lui revient dit-on ! Il faut donc convenir que MM. Sarkozy et Hollande n’ont pas manqué de participer, pour une bonne part, au bourbier budgétaire dans lequel se débat notre pays.
Mme Robert cite un conseiller de Bercy qui remarquait à l’époque : « Nous avions également… travaillé sur la sincérisation du budget ». Selon le Larousse, « sincérisation » signifie rendre sincère. De nos quelques rudiments de Finances Publiques, nous avons en mémoire que le principe de sincérité budgétaire implique l’exhaustivité, la cohérence et l’exactitude des informations financières fournies par l’État à la représentation nationale. La sincérité budgétaire s’inscrit au sein d’un processus de transparence de la gestion publique exigé par l’intégration européenne. Avant 2018, l’insincérité régnait-elle ? Nous allons vérifier ci-après qu’elle semble être devenue l’alpha et l’oméga de la politique financière de l’ère Macron. C’est gravissime.
En cet automne 2018, une crise va enflammer la France et amener l’Élysée à impulser une nouvelle politique budgétaire : le quoi qu’il en coûte. Contrôle technique trop cher, hausse du prix des carburants, radars, prix du caddy… Tels sont les principaux thèmes qui vont déclencher la crise des « gilets jaunes ». Le pays va un peu mieux, mais les Français réclament, légitimement, leur part du gâteau ! Comme le souligne fort justement Isabelle Job-Bazille, « Macron a lui aussi, comme ses prédécesseurs, succombé à ce moment-là à l’addiction (entre autres) à la dépense publique ». Et de rajouter : « En France, on considère toujours que la réponse à un problème ou à une revendication passe par la dépense ». C’est même l’axiome référent depuis des décennies. Si le chef de l’État débute alors le tour d’une France qu’il ne connait pas vraiment, il décide devant la tournure des évènements de sortir le chéquier dès novembre : 500 millions pour prime à la conversion automobile et aide au remplacement des chaudières. Décembre arrive, Noël avec, et Macron ajoute 10 milliards (annulation de la hausse de la taxe carbone, revalorisation de la prime d’activité, suppression de la hausse de la CSG pour les petites retraites). Comme pour mieux assurer l’addiction, ce même président estime opportun au printemps 2019 de baisser les impôts sur le revenu et de réindexer les petites retraites sur l’inflation. Comme nous l’a confié un ancien sénateur de Paris, « il était impossible de l’arrêter ». Ni Matignon, ni Bercy n’y pouvaient rien. Ainsi, c’est un arrosage de près de 15 milliards qui est ainsi déclenché pour colmater l’incendie social. Dès lors, comme le veut la logique (implacable) des mathématiques, le déficit se creuse pour rejoindre les 3 %. Sur les retraites, l’exécutif veut une sorte de big-bang. Rappelons qu’en raison de l’allongement de l’espérance de vie, c’est le plus gros poste de dépenses (40 % des prestations sociales et près de 14 % du PIB). Le Président se laisse séduire par l’idée d’un système à points. Beaucoup de pays de l’UE le pratiquent plutôt avec réussite. Rappelons que ce système existe depuis 1947 pour les retraites complémentaires. En juillet 2019, l’excellent rapport Delevoye est remis à Matignon qui préconise entre autres un système de points.
Comme on pouvait s’y attendre, à l’automne la CFDT et la CGT, toujours promptes à torpiller les réformes de bon sens, sonnent le tocsin.
En cette fin d’automne 2019, l’action dilapidatrice de Macron et de son gouvernement produit son effet puisque la dette se fixe à près de 66 milliards…
La furia sociale qui s’annonçait suite au rapport Delevoye va être vite enterrée avec le surgissement du Covid. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », a-t-on alors essayé de nous faire croire. À une crise sanitaire certes sérieuse et inédite, Macron a rajouté une sorte de folie dépensière inconsidérée.
2020 : consécration officielle du « quoi qu’il en coûte ». Cette expression (« Whatever it takes » dans le texte) à laquelle tous les dirigeants se réfèrent est tirée d’un discours de Mario Draghi, le 26 juillet 2012 à Londres, en pleine crise des dettes souveraines. Le leader italien est alors Président de la BCE. C’est l’homme qui a sauvé l’euro par trois mots, dira F. Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France en 2021. E. Macron, qui est prompt à emprunter les formules des autres, va faire litière de cette expression durant la crise Covid. Mais il existe une différence énorme entre être à la tête de la fortunée BCE, qui peut ouvrir les vannes pour sauver l’euro, et celui qui préside un pays à la dérive économiquement. Macron a ruiné nos finances en trois mots, notamment car il ne possédait pas, contrairement à M. Draghi, la planche à billets. Peu importe ! Ce 12 mars 2020, le locataire de l’Élysée prend la parole à 20 h. Grave et martial à souhait. Un véritable petit chef de guerre ouvre alors la pompe à milliards. L’État prend en charge : les salaires, les chiffres d’affaires des entreprises, le fond de solidarité, le chômage partiel, les dépenses de santé… Étant donné que l’on nous a confinés comme aucun autre pays au monde (excepté peut-être la Chine), l’activité ralentit énormément. Certes, la BCE aide les États de la zone euro à s’endetter à moindre coût. Tant bien que mal, l’été se passe. Mais dès la rentrée 2020, il faut remplir le tonneau des Danaïdes qu’est devenu le budget de la France sous Macron. Et voilà un plan de 100 milliards d’euros qui est décidé par ce dernier. Seul. « De toute façon, les locataires de Bercy et de Matignon n’avaient pas le choix. » « Le président savait mieux qu’eux ce qu’il fallait mettre en œuvre », nous confiera un ancien haut fonctionnaire de Matignon.
Bilan de la grande braderie financière du COVID ? Certes, des faillites et des pertes d’emploi sont évitées. Mais À quel prix ! Un déficit qui flirte avec les 10 % et une dette publique gonflée à plus de 110 % du PIB… Et tout cela, contrairement à l’Allemagne, sans avoir provisionné le moins du monde. C’est peut-être là qu’est la plus grande « faute ».Et sans avoir vraiment contrôlé les aides distribuées. Que d’« arnaques » ont aussi eu lieu… Cela s’appelle naviguer à vue ou à court terme. Alors on dira que cette générosité macroniste a permis de sauver des têtes et de sortir plus vite de la crise. C’est un fait incontestable. Mais comme le confesse l’économiste Gilbert Cette, très en cours à l’Elysée, « le problème, c’est que nous avons débranché trop lentement ces mesures ». En cette fin 2020, la dette a augmenté de près de 280 milliards. Qui dit mieux en Europe ?
Début 2021, « quoi qu’il en coûte, c’est fini », s’exclame B. Le Maire, grand argentier de Bercy et qui a orchestré au premier chef cette politique dispendieuse. Le chef de l’État ne goûte pas trop cette déclaration de celui qu’il considère un peu comme un « père de la rigueur ». Il reste que cette gestion va engendrer un phénomène que l’on n’avait plus vu depuis longtemps : l’inflation. Comme le définit la BCE : « Dans une économie de marché, les prix des biens et des services varient. » Certains augmentent, d’autres diminuent. On parle d’inflation lorsque les prix augmentent globalement, et non uniquement les prix de quelques biens et services (https ://www.ecb.europa.eu/). À l’Élysée, on sait que la présidentielle est proche. Il faut donc aider les Français en difficulté pourvoyeurs de voix, s’il en est. Le chef de l’État décide d’un « chèque énergie » (que certains ont reçu deux fois d’ailleurs !). Puis J. Castex, arrivé à Matignon (M. Cris dit-on), annonce un « bouclier tarifaire » sur le gaz et l’électricité (qui ont augmenté). Et, qu’à cela ne tienne, une indemnité inflation est décidée pour près de 40 millions de Français. Et n’en déplaise à M. Le Maire, un nouveau quoi qu’il en coûte est arrivé et strictement aucun effort de réduction du déficit n’est décidé. « Mieux », même. On baisse certains impôts (notamment de production, y compris sur les entreprises qui vont bien). Surtout, présidentielle oblige, on augmente certains budgets à grand impact électoral : Justice, Éducation nationale, Police. Aucune mesure de soutien ni de relance. Au diable l’absence de provisions ! La dépense publique s’accroit donc de 2 %. On constate alors que, s’il y a un frémissement économique, le déficit dépasse les 6 % fin 2021. La dette augmente encore de près de 165 milliards.
Bien entendu, la France est, depuis un certain temps, dans le collimateur de l’UE pour non-respect des critères de Maastricht. Et l’on se demande comment les agences de notation lui font encore confiance. Et puis surtout, toutes les mesures qui ont été prises pour aider, mais aussi, et même surtout, creuser le déficit d’une façon inédite durant ce premier mandat, l’ont été par un seul homme : E. Macron. Dans l’exercice de ses fonctions, « le Mozart de la finance », selon J. Attali, a sciemment pris les décisions sans en mesurer toutes les conséquences financières. Plongeant ainsi le pays dans une situation catastrophique que des générations entières ne suffiront pas à combler. Il restera dans l’histoire un acquis majeur de sa présidence : avoir été le président le plus dépensier de la Ve (loin devant Mitterrand et ses nationalisations). Désolé, mais cela s’apparente ni plus ni moins à un manquement grave mentionné à l’art 68 C. C’est une haute trahison, nous y reviendrons.
Le 3 Mars 2022, Macron déclare sa candidature à la présidentielle. Faute de challenger sérieux, il l’emporte.
Le second mandat ne saurait s’expliquer sans rappeler les promesses électorales qu’il exposa notamment aux Docks de Paris le 17 mars 2022 : 50 milliards de dépenses (transition écolo, jeunesse, éducation, santé…). Et, bien entendu, car c’est son autre mantra, baisse d’impôts. Il déclare vouloir « réduire la dette à partir de 2026 et repasser le déficit sous les 3 % du PIB » (Le point ibid). Cela fait drôle à lire en cet automne 2024 ! Et d’annoncer une réforme des retraites, de l’assurance-chômage et des économies des collectivités territoriales (qui pourtant s’administrent librement selon l’art 72 C). Et puis encore (autre mantra), il faut élever la croissance. Et puis, patatras, Poutine décide d’envahir l’Ukraine. Rapidement, notamment au niveau énergétique, une flambée des prix survient. J. Castex, sur pression de l’Élysée (qui a entendu la pression des oppositions), met en place un plan de résilience de 25 milliards (remise de carburant, aides aux entreprises). Comme toujours, c’est la poche du contribuable que l’on fait ! Et puisqu’on est en campagne, c’est le Toujours plus cher à F. de Closets qui l’emporte sur toute autre considération. Celui que ses soutiens osent présenter comme « le président du pouvoir d’achat », en remet une couche avec le triplement de la prime pouvoir d’achat, la suppression de diverses redevances… Ce président a inauguré un véritable concours Lépine du pouvoir d’achat… et de la dépense !
Alors, en ce printemps 2022, Macron est réélu sans gloire (une des plus fortes abstentions depuis 1958, près de 18 %). Mais il va devoir subir la majorité relative qui est sortie des urnes et à laquelle il ne s’attendait pas. E. Borne, arrivée à Matignon, est plutôt réputée pour sa rigueur et son austérité là où elle a officié (SNCF, Eiffage). Qu’à cela ne tienne, elle va devoir suivre les directives de l’Elysée (sur lesquelles elle ne sera pas toujours d’accord, dit-on). La cohabitation avec B. Le Maire, toujours à Bercy, ne fut pas toujours aisée selon plusieurs témoins (directs). Et ce sont d’emblée 20 milliards d’euros qui sont lâchés, avec par exemple la prolongation de la remise carburant (des chèques sont toujours donnés en doublon…), la revalorisation de certaines retraites ou le relèvement du point d’indice des fonctionnaires.
Mais l’inflation grimpe en 2022 à 5,9 %. Pas bon pour le chef de l’État, car celui-ci ronge le pouvoir d’achat. Et elle risque de pousser l’État à la dépense. Mais de ce point de vue-là, ne craignons rien, Macron est un orfèvre ! Le gros problème, c’est que la BCE (présidée alors par l’experte Christine Lagarde) se voit alors dans l’obligation de relever les taux. L’année s’achève avec un déficit qui avoisine les 5 % et une dette à près de 115 %. E. Woerth, ancien ministre de Sarkozy, converti au macronisme, estime au prix d’un doux euphémisme : « Beaucoup d’argent a été dépensé et les Français ont sans doute été surprotégés ». En cette fin 2022, la foire au pouvoir d’achat a fait augmenter la dette de près de 127 %.
Au printemps 2023, l’agence de notation Fitch (la seconde plus grosse agence américaine qui évalue la capacité de remboursement des pays emprunteurs) baisse la note de la France. « Appréciation pessimiste ». « Je crois que les faits infirment l’appréciation de Fitch », ose arguer B. Le Maire. Cette agence est, on s’en doute, constituée d’économistes de très haut niveau, eux. Peu d’observateurs s’y attendaient, car la note était stable depuis 2015. Incontestablement, c’est un coup dur porté à la France et à sa crédibilité. Certes, la réforme des retraites, après avoir été assez largement détricotée, a été adoptée, qui reporte l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans. Dans le document produit, Fitch souligne « des déficits budgétaires importants et des progrès modestes » et évoque « l’impasse politique (ndlr : la majorité relative) et les mouvements sociaux (ndlr : grèves pour les retraites) ». (Le point ibid). Puis, n’en déplaise à M. Le Maire qui a mis à exécuter les choix présidentiels sans sourciller (bien qu’il ait dit le contraire après avoir quitté ses fonctions en septembre 2024), c’est à la Cour des comptes (présidée par P. Moscovici) de porter l’estocade. Dans son rapport 2024 (relatant les comptes 2023), elle parle d’une « très mauvaise année en matière de finances publiques ». Et la Cour de dénoncer « aucun effort financier d’économie en dépense ». Surtout, elle décrit ce qui peut-être la meilleure synthèse des mandats Macron en matière financière : « une progression nettement supérieure à l’inflation des dépenses publiques hors charges d’intérêts et hors mesures exceptionnelles de soutien face aux crises sanitaire et énergétique ». Et P. Moscovici lui-même soulignera publiquement : « Nous avons perdu le contrôle de nos finances. » Si nous ne faisons rien, notre dette publique passerait de 110 % du PIB aujourd’hui à 124 % en 2027. Toujours selon lui : « On pourrait atteindre les 3 800 milliards d’euros de dettes, ça veut dire que chaque année, on devrait rembourser 80 milliards d’euros et plus pour financer cette dette et les taux d’intérêt qui l’accompagnent, alors qu’« en 2021, on dépensait 25 milliards d’euros pour rembourser la dette » (20 h de France 2, 18 septembre 2024). La réalité chiffrée ainsi développée est implacable. Même si B. Le Maire a cherché à la minorer. Alors le gouvernement Attal se réfugie dans la bonne méthode Coué. La Cour exagère et n’a pas conscience des réalités qu’on entend çà et là. On va trouver des économies pour les prochaines années. Mais le temps presse vraiment. D’autant que le Trésor, à son tour, dès l’automne 2023, dépose une note à Bercy dans laquelle les recettes s’effondrent et le déficit dépasserait les 5 %. Il sera à 5,5 %. Le budget 2024 est adopté au 49-3 (Mme Borne a le record d’utilisation après Rocard) sur des bases financières plus qu’incertaines. L’année 2023 s’achève et 2024 ne se présente pas sous les meilleurs auspices.
Le 5 janvier, le Président décide de se séparer d’E. Borne. En effet, dans sa lettre de démission, elle affirme qu’elle quitte ses fonctions à la demande du Président. G. Attal lui succède.
Le 18 janvier 2024 débutent les manifestations d’agriculteurs qui entraînent des blocages routiers significatifs. Macron se met habilement en retrait (sauf un accueil tendu au Salon de l’Agriculture) et laisse Attal manœuvrer. Là encore, c’est le chéquier qui est utilisé : 300 millions d’euros pour les filières en difficulté, report de crédits, mesures de simplification (plateformes en ligne dans les préfectures), report d’augmentation du gazole non routier, diverses mesures au niveau européen (jachères). Cette colère des agriculteurs est approuvée par la grande majorité des Français qui partagent d’ailleurs un grand nombre des revendications. Le pays va très mal et il n’est guère étonnant que lors des Européennes du 9 juin 2024, le mécontentement s’y soit traduit. La candidate du Président ainsi que ses colistiers connaissent un revers historique.
Les législatives des 29 juin et 8 juillet 2024 débouchent sur une défaite cuisante pour le camp présidentiel. Deux déroutes électorales en à peine plus d’un mois. Malgré tous les « cadeaux » faits, c’est la personne du président qui est rejetée, ainsi que le montrent divers sondages.
Alors le pays va vivre une situation totalement inédite. En effet, c’est un gouvernement intérimaire (voire fantôme pour certains ministres) qui gouverne la France. On expédie çà et là les affaires courantes et, comme nous l’a confié un ancien conseiller ministériel, « les ministres signent les parafeurs et préparent l’après ! » Mais après tout, comme l’a décrété le Président de la République, c’est « la trêve olympique ». Le pays va vivre de pain et de jeux ! La situation financière ? On verra ça plus tard. Le coût des Jeux ? De trois à cinq milliards d’euros : voilà la fourchette avancée, fin mars, par le président de la Cour des Comptes. Quatre mois avant le début des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris, Pierre Moscovici anticipait ainsi le coût de l’événement de l’été 2024 pour les finances publiques. De son côté, l’IFRAP évoque 6, 9 ou 11 milliards d’euros. On ne pourra savoir exactement cela que d’ici quelques mois. Selon un rapport publié en annexe du projet de loi des finances 2025, la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques aurait coûté « environ 100 millions d’euros » (plus d’un million pour rendre la Seine baignable qui ne l’est plus depuis…).
Le 5 septembre 2024, c’est la nomination du gouvernement Barnier après une sorte de pathétique bal des prétendants. En ce mois d’octobre 2024, le député T. Cazenave (ministre des Comptes publics jusqu’à septembre), marconiste convaincu, étudie comment le déficit (auquel il a participé !) a pu se creuser en quelques mois de 4,4 à plus de 6 %. La Commission des Finances de l’AN a décidé, face à cette situation ahurissante, d’enquêter. L’ex-ministre sait qu’il sera auditionné. Comme Mme Borne, MM Le Maire et Attal. Ils étaient au cœur du réacteur d’où s’échappe la fumée toxique… M. Cazenave se justifie en précisant, tel l’écolier et son « c’est pas moi, c’est lui », « les cabinets ministériels ne font pas les prévisions de recettes ». Peut-être, mais en estimant les déficits, ils doivent au moins en avoir une idée pour tendre vers un (inaccessible) équilibre. Comme le relate encore Le Point, une seconde note interne a alerté B. Le Maire. Le déficit va friser les 6 % (5,7). En réponse, le ministre, tel Gérard Majax à sa belle époque, annule 10 milliards de crédits. Le gouvernement, par le biais de G. Attal, revoit sa prévision de déficit à 5 %. Puis deux gros problèmes s’enchaînent : l’agence S and P (autre agence américaine de notation) dégrade la note de la France et Bruxelles lance une procédure de déficit excessif. Et puis, pris dans une totale impasse politique, Macron décide la fameuse dissolution. On sait le résultat ! Après l’échec aux Européennes, c’est un désaveu complet, on l’a dit, pour le locataire de l’Elysée. Rome n’est plus du tout temps dans Rome !
À son départ, B. Le Maire annonce un « trou » à 5,6 %. En octobre, il adresse un SMS énigmatique à France Télévision : « La vérité apparaîtra plus tard ». Il en dit trop ou pas assez. On ne peut que se rallier à G. Le Bret sur CNews : « S’il y a une vérité qui doit éclater, ça veut dire qu’il y a eu mensonge ». Là encore, tout est dit.
Fin septembre, le nouveau ministre du Budget, L. Saint-Martin, redoute que le déficit dépasse les 6 %. Raisons invoquées ? Augmentation des dépenses des collectivités territoriales (D. Lisnard, maire de Cannes, président de l’AFM est vent debout ; idem pour l’Assemblée des Départements de France) et recettes inférieures aux prévisions (vu le contexte, il ne fallait pas être grand clerc pour s’en douter). On hésite entre amateurisme, optimisme et, pire, mensonge. En tout cas, le problème se situe au plus haut niveau de l’État : l’Elysée (où « Mozart » réside), Matignon (« Méchanta » Borne et Salieri alias Attal ? !), Bercy (« Iznogoud » est un surnom de B. Le Maire). Peut-être une collusion voire une concussion des trois ?
Le premier à avoir défini clairement cette situation à tout le moins douteuse, c’est JF Husson, le rapporteur général de la Commission des Finances du Sénat. Il est allé faire une inspection sur place et sur pièces au Sénat en Mars 2024. Il a justifié ce déplacement (très rare sous la Vé) : « Si je suis allé à Bercy chercher des informations, c’est parce qu’on a besoin de comprendre » (https ://www.lasemaine.fr, 14/11/2024). Les informations données ont, un temps, été réputées comme incomplètes voire insincères. Voire mensongères.
Parmi les conclusions tirées, l’une est particulièrement significative et lourde de sous-entendu (au sens lacanien du terme) : « Il y a en tout cas eu rétention d’information ». Encore cette précision du sénateur de nos connaissances : « Nous en sommes là, car l’exécutif pensait mieux savoir et mieux réussir que tout le monde. » Et surtout que le Parlement ». Mme Robert du Point hésite entre de l’entêtement, du péché d’orgueil ou de l’aveuglement. Nous sommes intimement persuadés que ce sont les trois ! Ce qui est grave, c’est qu’en ne faisant rien ou l’inverse de ce qu’il faut faire, voire en dissimulant, ceux qui nous gouvernent ont commis des fautes caractérisées. Et nous en sommes en cet automne 2024 à 1000 milliards de dette impulsée et/ou cautionnée par Macron. Et la Commission Européenne ainsi que les marchés nous encerclent… La période critique de propagation de l’épidémie déficitaire est 2023-2024.
Bien sûr, lorsqu’ils sont passés devant la commission sénatoriale des Finances les 7, 8 et 15 novembre dernier, Mme Borne, MM. Attal et le maire ont, pour faire simple, juré au grand Dieu qu’ils n’y étaient pour rien et qu’ils avaient fait au mieux ! Nous avons remarqué toutefois que les trois protagonistes, pour justifier cette dette et les choix faits, se sont réfugiés derrière une formule énigmatique répétée au mot près : « La réponse est à demander à ceux qui ont pris l’arbitrage ». Souvenons-nous aussi de la formule du maire lâchée en octobre dernier : « La vérité apparaîtra plus tard…» Il en dit trop ou pas assez, comme dit l’adage ! ….
Il nous semble que dans la situation actuelle, si périlleuse pour la Nation, la défausse n’est pas une bonne tactique. Pis que çà, elle est une trahison. Redisons cette formule de Robespierre : « Il ne suffit pas d’annoncer que des têtes vont tomber, il faut dire lesquelles et le dire rapidement. » Et le faire.
- Les sanctions
Selon Hegel, « la punition est un droit par rapport au criminel lui-même ». Il résulte de tout ce que l’on a essayé de démontrer ci-dessus que la situation financière catastrophique que la France connait résulte d’une série de fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions par trois niveaux de pouvoir : l’Élysée, Matignon et Bercy. Que l’on ne se méprenne pas. Nous ne visons nullement les fonctionnaires (petits, moyens ou hauts) qui ont eu à traiter administrativement ou techniquement ces dossiers. Certains d’entre eux ont même tenu la baraque durant le gouvernement intérimaire : le SGE, le SGG et les cabinets. Nous incriminons les politiques ci-dessus nommés : Mme Borne, MM. Macron, Attal et Le Maire. Ce sont eux qui ont fait les choix politiques d’être entêtés, orgueilleux ou aveugles. Donc de laisser filer un déficit devenu aujourd’hui abyssal. Ils connaissaient tout du mal qui nous gagnait et n’ont pas été capables de trouver l’antidote. Ils n’ont rien dit de spécial devant la Commission des finances, sauf, évidemment, qu’ils n’y étaient pour rien. « N’avoue jamais », disent souvent les avocats pénalistes à leur client. M. Le maire, « obsédé de l’endettement », disait-on, a tout de même été jusqu’à mettre en cause le gouvernement à peine arrivé qui aurait mal prévu ! Espérons qu’ils seront plus loquaces devant la Commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée devant laquelle ils vont défiler à partir de début décembre. Quant à Mme Borne, elle fut on ne peut plus gênée lorsqu’elle s’est vue brandir une note confidentielle d’alerte à son attention, signée des mains de deux de ses anciens ministres, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave. Quant à M. Attal, même particulièrement questionné par le rapporteur Husson, il est resté droit dans ses bottes en disant avoir pris « des décisions fortes » contre le déficit. Aggraver un déficit est effectivement une décision forte…
À notre sens, pour traiter ces présumés innocents, il existe deux sanctions possibles. Elles diffèrent selon le « grade ».
- Commençons par les ministres : Mme Borne, MM. Attal et Le Maire. À l’initiative de son président Éric Coquerel (LFI), la commission des Finances de l’Assemblée, on l’a dit, a donc demandé et obtenu pour six mois les pouvoirs d’une commission d’enquête (convocations avec obligation pour la personne de l’honorer, pouvoirs d’investigation, auditions sous serment, etc.), afin d’enquêter sur « les causes » de « la variation » et des « écarts des prévisions fiscales et budgétaires » constatées sur les années. Précisons quelques éléments. Une commission d’enquête permet à une assemblée (Assemblée nationale ou Sénat) de recueillir des éléments d’information sur des faits précis concernant :
- La gestion d’un service public ;
- La gestion d’une entreprise nationale ;
- Des questions de société.
Une commission d’enquête comprend des parlementaires de tous les groupes, dans la limite de 30 députés et de 23 sénateurs, et dure six mois au plus. Ne nous illusionnons pas non plus sur les pouvoirs d’une Commission de ce type. Elle a essentiellement des pouvoirs d’investigation selon trois axes principaux :
- Droit de citation directe : obligation pour les personnes convoquées de déférer à la convocation ;
- pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place des rapporteurs ;
- possibilité de rendre publiques leurs auditions (publication de comptes rendus)
Le non-respect de ces obligations peut donner lieu à des poursuites pénales, sur une base délictuelle et donc passible du tribunal judiciaire. Et si jamais une des personnes auditionnées dévoile des données sensibles dévoilant une « faute d’état », la commission, comme tout un chacun, usera de l’article 40 du Code de procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbes. » Le procureur de la République de Paris ferait alors ensuite son office, qui serait tout sauf une sinécure !
À défaut de l’avoir fait devant la commission des finances, Mme Borne, MM. Attal et Le Maire devront alors, nous semble-t-il, libérer leur conscience en divulguant des informations sur leur éventuel comportement fautif ou, pis que cela, celui du locataire de l’Elysée. Comme cela cadrerait avec le temps où ils étaient aux manettes, ils seraient dès lors passibles de la Cour de Justice (CJR).
Selon le Titre X de la Constitution (De la responsabilité pénale des membres du gouvernement), la CJR, composée de quinze juges (douze parlementaires et trois hauts magistrats), juge les membres du gouvernement pour les actes délictueux ou criminels commis dans l’exercice de leur fonction. Rappelons que l’art 68-2 C énonce : « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d’une commission des requêtes ».
Le dernier ministre à être passé devant la CJR est M. Dupont-Moretti en octobre 2022. La grande différence avec toutes celles et ceux (10 au total) qui y sont allés avant lui, c’est qu’elle était en fonction. Une certaine éthique aurait dû lui commander de démissionner. Et son mentor de l’Élysée aurait dû, lui, réactiver la « jurisprudence » Bérégovoy/Balladur selon laquelle un ministre mis en examen (et donc a fortiori jugé) se démet de ses fonctions. Même temporairement. Car si le ministre est mis hors de cause, il est loisible de le rappeler (ex : Tapie). J’entends déjà les puristes nous avancer la présomption d’innocence. Au risque de choquer (j’en ai l’habitude, peu m’importe !), nous redisons que, comme la femme de César, les lieutenants de celui-ci doivent être irréprochables. L’éthique politique, lorsqu’elle est au service de l’intérêt général et du bien public, est, selon nous, supérieure à certaines règles constitutionnelles, fussent-elles issues des grands textes fondateurs (Déclaration de 1789, Préambule de 1946, Charte de 2004). D’ailleurs, le temps est venu de sortir de ce que Jean-Eric Schoettl appelle « le fondamentalisme droit de l’hommiste ». Imagine-t-on le général de Gaulle garder par devers lui un ministre suspecté d’avoir fauté ? D’ailleurs, quel esprit éclairé imagine « acquitator » ministre du général !
Donc, dans notre scénario tout à fait plausible, Mme Borne, MM. Attal et Le Maire se retrouvent devant la CJR. Les motifs d’incrimination seraient, de prime abord, délictuels. Ils seraient composés de fautes plus ou moins directes sur la gestion du budget de l’État.
Rappelons qu’en matière budgétaire, le Premier Ministre a un rôle clef. D’abord, c’est le gouvernement qu’il dirige qui est chargé de préparer le budget. La préparation de ce dernier pour l’année N commence en tenant compte du programme triennal de stabilité, remis à la Commission Européenne, et de la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Ensuite, le Premier ministre adresse aux ministres une lettre de cadrage budgétaire. C’est un document produit par les services du Premier ministre afin d’imposer aux ministres siégeant au gouvernement une limite de dépenses ainsi que l’orientation générale que doit prendre le budget de leur ministère pour l’année à venir. C’est encore au Premier ministre de procéder aux arbitrages budgétaires. Théoriquement, le chef de l’État n’a pas à s’en occuper. Puis un débat d’orientation des finances publiques (DOFP) a lieu au Parlement en juin-juillet. Sous la houlette du Premier ministre, le projet de loi de finances (PLF) est présenté au Conseil des ministres en septembre. C’est là que, parfois, le Président peut intervenir. Celui pour 2025 n’a donné lieu à aucun commentaire de ce dernier.
Le PLF et les documents annexes sont déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale au plus tard le premier mardi d’octobre. Durant les débats parlementaires sur le vote du budget, le Premier Ministre joue un rôle majeur. En cas de blocage, il peut décider d’une Commission mixte paritaire (art 45 C) et/ou user du 49-3. En matière budgétaire, il apparaît donc clairement que, tant en amont (phase administrative) qu’en aval (vote), rien ne peut échapper au locataire de Matignon. Dès lors, pour les périodes sensibles qui ont amplifié lourdement le déficit (2023-2024), il s’agira de demander des comptes, en particulier à G. Attal.
Rappelons que, selon le décret n° 2024-926 du 10 octobre 2024 relatif aux attributions du ministre auprès du Premier ministre chargé des comptes publics, ce dernier prépare et met en œuvre la politique du Gouvernement en matière de comptes publics. Il prépare et met en œuvre la politique du Gouvernement en matière d’achats et d’immobilier de l’État. Il est responsable de l’ensemble des comptes publics et de la Stratégie pluriannuelle des finances publiques. Si l’on a en tête que le Premier Ministre, selon l’art. 21 C, « dirige l’action du Gouvernement », donc qu’il en est le chef, il est doit répondre des fautes commises.
Les juges de la CJR auraient alors à se déterminer d’abord sur la culpabilité, puis sur les condamnations des prévenus sur la base de la loi pénale.
- Passons à présent au plus haut mis en cause, le Président de la République alias Emmanuel Macron. Lorsque l’on fait le bilan des présidents de la Vé (nous l’avons fait dans ces colonnes voici quelques années), on se rend assez vite compte que le plus célèbre des Amienois restera comme le plus interventionniste des présidents. Souvent intrusif et n’aimant pas trop être contredit, comme nous le confiera un ex-ministre. Il a son domaine de prédilection : les affaires financières et budgétaires. Regardons un peu sa nette prédisposition en la matière. En 2004, à l’issue de ses études à l’ENA, il intègre le corps de l’Inspection générale des Finances. En août 2007, il est nommé rapporteur adjoint de la Commission pour la libération de la croissance française (« commission Attali »). En 2010, il en devient membre par décret de N. Sarkozy. C’est en septembre 2008, sur conseils d’Alain Minc, qu’il se met en disponibilité de la fonction publique et devient banquier d’affaires chez Rothschild & C. Le futur président y œuvre bien puisqu’il devient, fin 2010, associé au sein de la Banque. En 2012, il est même nommé gérant et dirige l’une des plus grosses négociations de l’année, le rachat par Nestlé de la filiale « laits pour bébé » de Pfizer. Cette transaction, évaluée à plus de neuf milliards d’euros, lui permet de devenir millionnaire. Cependant, son talent reste parfois contesté et l’on dit qu’il a été recruté pour son carnet d’adresses (Martine Orange, Rothschild, une banque au pouvoir, Albin Michel, 2012). Ce passage lucratif dans le privé s’achève avec son arrivée à l’Élysée comme secrétaire général adjoint auprès de F. Hollande (parrainé par F. Rebsamen et quelques grands patrons). Une autre carrière s’ouvre alors. Même si elle n’existe plus officiellement, E. Macron est le chef de la cellule économique de l’Élysée. Il est aussi l’un des artisans du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et du Pacte de responsabilité et de solidarité. Il quitte ses fonctions en Juillet 2014. Mais il est rappelé par F. Hollande, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, en août d’après. Il devient le plus jeune ministre de l’Économie depuis Valéry Giscard d’Estaing. Il fait voter plusieurs lois de libération du marché (cars Macron, professions libérales, par exemple). Les dossiers industriels le passionnent et il est proche des principaux patrons du CAC 40. À l’époque où le futur président est aux Finances, reconnaissons que la dette et les dépenses publiques sont plutôt raisonnables au regard de ce que lui-même va générer pendant ces deux mandats, ainsi qu’on l’a montré plus haut.
Donc il ne fait aucun doute à notre sens que l’actuel président était, au premier chef, au courant de la dérive qui se produisait. D’autant plus qu’il en était le principal pourvoyeur par les choix, plus que généreux, qu’il fit. Il avait à coup sûr fait sienne cette phrase de de Gaulle : « C’est beau, c’est généreux, la France ! » Mais à l’époque, notre pays avait les moyens de sa générosité. Ce n’est plus le cas depuis quelques décennies.
Donc, comme nous l’avons démontré dans la première partie de notre analyse, E. Macron est le responsable en chef des quelques 1000 milliards de dette que l’on connait. Mais jusqu’à présent, bien entendu, tranquillement protégé à l’Elysée par son statut d’irresponsabilité, on ne parle pas de Macron sur le sujet, pas plus que lui ne s’exprime, bien sûr. Par le biais de cette cohabitation hybride, Il est redevenu Jupiter.
Il faut attendre, selon nous, les auditions de la Commission d’enquête parlementaire de décembre prochain. Les débats devant la commission des finances ont tout de même fait avancer les débats et surtout conforter les idées de quelques-uns. Nous songeons surtout au député Husson, rapporteur qui a mis à mal chacun des ministres auditionnés, et en particulier G. Attal. On le voit ci-dessus, un passage devant une commission d’enquête parlementaire fera peut-être délier les langues. Cette « vérité » qu’annonçait un rien menaçant B. Le Maire, viendra-t-elle enfin ? Pourquoi n’a-t-il pas encore parlé ? Par quoi (qui) est-il gêné, tenu ? Évidemment que dans son sous-entendu, il y a toute « l’histoire d’une faute ». Et cette faute, elle, a été commise par l’Élysée et lui, comme Mme Borne ou M. Attal, y ont été associés. Le Président est trop au fait de la matière budgétaire pour ne pas avoir eu conscience de la dérive et faire d’autres choix. C’est donc tout à fait consciemment qu’il a ouvert les vannes avec le « quoi qu’il en coûte » auquel personne (ni Mme Borne, ni MM Attal et le maire) n’a eu le courage de s’opposer. Par exemple, en quittant ses fonctions. Et une fois encore, la vie politique montre que JP Chevènement avait ô combien raison : « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ».
Parmi les ministres susvisés, certains ont en leur possession des documents « compromettants » sur l’état de comptes 2023-2024. C’est obligatoire : une note, un rapport, un message téléphonique, un SMS (très prisés sous Macron). M. Le maire en a dit-on. « La vérité est souvent difficile, mais toujours nécessaire », dit le proverbe.
Alors, puisque la fin de règne d’E. Macron est tout de même « étrange » et que l’heure du crépuscule a sonné, on peut envisager une mise en cause du chef de l’État. Nous l’avons déjà évoqué dans ces colonnes. Rappelons donc ici les art. 67 et 68 C. Selon le premier : le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.
Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.
Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.
Précisons que l’art 53-2 C permet de faire condamner un chef de l’État lorsqu’il a commis, pour faire simple, un crime de guerre (ex. : génocide). Quant à l’art. 68 C, citons-le à présent :
Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.
La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.
Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution. Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article.
À notre sens, par une posture à tout le moins négligente et inconsciente, le président Macron a fait des choix budgétaires qui ont conduit au plus grand dérapage financier de la Ve République depuis l’euro. Les devoirs de sa fonction devaient le conduire, certes, à faire des gestes suite aux Gilets Jaunes et à protéger la population contre la crise Covid, mais aussi à provisionner. Tenir compte, dans ses choix, de l’état des finances qu’il trouvait en 2017 (et auquel il avait participé). Or, contrairement aux principaux pays de l’UE, tous les économistes se rejoignent pour dire que la France n’a rien provisionné de sérieux. Et les décisions (souvent prises seul) par le chef de l’État, sachant invétéré, ont conduit à la situation suivante : la dette se situe à 3 228,4 milliards d’euros au deuxième trimestre 2024, selon les données de l’Insee publiées ce vendredi 27 septembre.
Si l’on n’est pas dans un manquement à ses devoirs incompatible avec l’exercice de son mandat, c’est à n’y rien comprendre… Si ce manquement est avéré, on ne voit pas comment le Président Macron échapperait à la Haute Cour. Vu sa composition, la destitution serait imparablement votée.
Un tel scénario ruinerait certes la carrière du mis en cause, mais porterait surtout atteinte de façon assez durable à la fonction présidentielle et à l’équilibre institutionnel. Mais ce serait peut-être aussi l’occasion de renouveler la Vé ?
Si « le pire n’est jamais certain », il a parfois quelques vertus !
Raphael Piastra
Maitre des conférences en droit public des universités