Dans cet article, Frédéric Saint-Clair revient sur le discours d’Emmanuel Macron donné aux Mureaux sur la question du séparatisme islamiste. Selon l’auteur, le Président de la République n’a pas saisi tous les enjeux culturels et civilisationnels qu’englobe la question.
C’est un discours structuré, argumenté, qu’a longuement déroulé ce matin Emmanuel Macron aux Mureaux. Un discours centré sur la lutte contre différentes facettes du séparatisme islamiste, au sein de l’école, des associations sportives, cultuelles, culturelles, de l’administration, etc. Et pourtant, il y avait un grand absent : le communautarisme. Un grand absent qui était pourtant à la source de ce projet, avant qu’un glissement sémantique ne l’écarte au profit du nouveau terme : « le séparatisme ». Pourquoi ?
Cette question, qui peut sembler annexe, est en réalité centrale. Elle sous-tend même toutes les critiques déjà formulées par ceux qui estiment qu’Emmanuel Macron n’est pas allé assez loin, en refusant par exemple de légiférer sur le voile lors des sorties scolaires, comme l’a souligné dans un tweet le député des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, ou en n’abordant pas la question de l’immigration. L’absence de réflexion sur la problématique communautariste laisse même entrevoir, malheureusement, les difficultés insurmontables de l’application de la loi en préparation au sein des quartiers dits « en sécession », et donc, en filigrane, de l’impuissance d’un telle loi.
Pour le dire autrement, cette loi va remuer le terreau séparatiste, sans en retirer les ferments, et donc, si en apparence la mauvaise herbe islamiste va sembler disparaître temporairement et localement, elle renaîtra inévitablement, plus vivace encore, faute d’avoir retiré les racines communautaristes.
La question n’est donc pas : Est-ce qu’Emmanuel Macron est allé assez loin ? Mais plutôt : Est-ce qu’Emmanuel Macron a correctement identifié la nature de la menace islamiste ? Et la réponse, après avoir attentivement écouté le discours de ce Président libéral multiculturaliste, qui aborde la civilité française sous l’angle exclusif de sa dimension républicaine, est : Non !
L’étude produite par l’institut Montaigne en septembre 2016 donne une représentation sociologique très claire de la différence entre séparatisme et communautarisme. Dans cette étude, l’ensemble des musulmans sont classés en 6 catégories en fonction de leurs revendications religieuses dans la vie quotidienne, depuis la catégorie 1 (ceux qui n’en ont aucune, pas de halal à la cantine, pas d’horaires aménagés dans les piscines, etc.) à la catégorie 6 (port du niqab, contestation de la laïcité, etc.). Le séparatisme, qui matérialise une sécession avec les principes républicains, concerne les catégories 4,5 et 6 de cette étude, soit 40% des musulmans (selon l’étude Ifop associée).
Le communautarisme est un séparatisme civilisationnel, il est plus large que le séparatisme républicain, et il englobe ce dernier. Il concerne donc toutes les catégories qui sont en rupture culturelle (faible ou forte) avec les traditions françaises, les mœurs, le mode de vie, le fameux « art de vivre à la française », et s’étend donc des catégories 2 à 6. L’étude montre, en effet, que la rupture culturelle commence dès la catégorie 2. Dans les catégories 2 et 3, le principe d’une supériorité de la loi de la République sur la loi religieuse est actée, il n’y a donc pas sécession républicaine, pas de séparatisme républicain.
En revanche, l’expression de la foi au travail est revendiquée, le port du voile, l’attachement à un mode de vie halal l’est également, il y a donc sécession culturelle, civilisationnelle.
Ces catégories 2 et 3 représentent 41% des musulmans de France, et elles sont totalement absentes du discours d’Emmanuel Macron. A vrai dire, il ne pouvait pas les aborder. Pourquoi ? Car aborder les problématiques soulevées par les catégories 2 et 3 reviendrait, pour Emmanuel Macron, à définir ce qu’il ne cesse de nommer « l’art de vivre à la française », bien qu’on puisse douter qu’il en comprenne l’essence et la portée ; cela reviendrait à opter délibérément pour une politique civilisationnelle, et donc remettre en cause le libéralisme qui est au fondement de son logiciel politique. Pour le dire autrement, l’islam, dans sa dimension strictement culturelle, civilisationnelle, échappe politiquement à Emmanuel Macron – et à l’ensemble des libéraux à vrai dire.
Cet islam civilisationnel les amène jusqu’aux limites de ce que leur corpus intellectuel est capable de produire, prouvant ainsi que le « choc des civilisations » n’est pas une problématique soluble dans le libéralisme. Ce grand absent qu’a été le communautarisme n’est donc pas absent pas hasard ; il n’est pas absent par renoncement politique ou par lâcheté ; il est absent par impuissance politique et intellectuelle. Emmanuel Macron a offert ce matin tout ce qu’il avait à offrir. Il faut en prendre acte, et il faudra en tirer les conséquences si d’aventure le peuple français décidait de la nécessité d’aller plus loin, pour préserver non seulement les valeurs de la République, mais aussi celles de la civilisation française.
Frédéric Saint-Clair
Analyste politique