Gabriel Vidalenc, juriste de formation et de profession vient de publier un essai intitulé « De l’État légal à l’État vassal ». Pour la Revue Politique et Parlementaire Gabriel Vidalenc adresse une tribune sur la nécessité de réviser la Constitution française par référendum afin de redonner au Parlement la souveraineté sur les questions liées à l’immigration, en limitant l’influence du Conseil constitutionnel et du droit européen, pour assurer une réponse politique efficace et restaurer l’ordre républicain.
Telle est l’alternative qui est posée à ceux que nous avons élus pour nous diriger et qui constatent l’exaspération, la consternation, voire la colère qui parcourt le pays devant la débandade de notre Etat de droit sur la question de l’immigration. Le traitement du mal relève encore et toujours d’un refus d’affronter la réalité : déni, euphémisation, procrastination, aboulie par peur de devoir prendre les difficiles décisions à la hauteur de la menace.
La décision qui vient d’être rendue par le Conseil constitutionnel souligne que la volonté d’affronter la réalité, autrement dit de gouverner, se heurte à son pouvoir sans appel : il a bien le dernier mot.
Et voilà ainsi identifiée la racine de la maladie mortelle qui se diffuse dans tout le système de gouvernement : la dévaluation de la loi française, devenue une proposition contestable puisque le sort ultime en est laissé à la discrétion d’une sorte de troisième chambre.
Dévaluation au nom de l’Etat de droit auquel nous sommes tous attachés, mais qui connait une telle extension, abandonnée au Conseil constitutionnel puis aux tribunaux, que l’on doit s’interroger sur la nécessité de lui fixer des limites : souvenons-nous de ce que disait Paracelse voilà plus de quatre siècles : « Tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison. »
La loi est en effet d’abord prise en étau par le contrôle de constitutionnalité selon les deux modalités possibles : déferrement après son vote, et recours par la question prioritaire de constitutionnalité, après promulgation.
Contrôle qui n’est pas seulement celui, indispensable, de la régularité des compétences, formes et procédures, mais avant tout celui de la conformité de la loi à des principes généraux de valeur politique qui place le Conseil dans une position d’acteur majeur du système de gouvernement : c’est là que nait le gouvernement des juges.
Dévaluation ensuite par l’effet du droit européen qui prévaut sur toutes dispositions, y compris constitutionnelles, qui pourraient prétendre le contrarier. Et prévalence d’autant plus effective que le juge français quel que soit son niveau dans la hiérarchie des cours et des tribunaux doit écarter le droit français et appliquer le droit européen sous le contrôle de la Cour de Justice de l’Union et sous celui de la Cour européenne des droits de l’homme, ces dernières écartant, le cas échéant sans états d’âme, les dispositions du droit national qui leur apparaitraient, selon leurs interprétations sans appel ni recours possibles, non conformes aux traités qu’elles sont chargées de faire appliquer. Et, comme en droit interne, les références du contrôle résident dans des textes de valeur philosophique qui instituent les tribunaux acteurs majeurs de la réalisation du projet politique. Là aussi, gouvernement des juges, mais qui a une ampleur plus large qu’en droit interne dans la mesure où la loi française (en ce compris la loi constitutionnelle) est en permanence soumise à l’appréciation et à la sanction de tous les tribunaux.
Les propositions qui seraient faites visant à modifier le texte constitutionnel sur quelques points particuliers, ne briseraient pas les cercles maléfiques qui étouffent la volonté politique : c’est là leur faiblesse congénitale. On vient de le constater.
Il faut renverser la table, briser l’irrésistible logique impérialiste du droit européen, la logique dominatrice du Conseil constitutionnel, et celle du Conseil d’Etat à l’égard des actes et règlements administratifs. Il faut redonner à la loi la prérogative du dernier mot.
Il faut pour cela chercher un effet de levier, c’est-à-dire une combinaison permettant le plus puissant résultat avec le minimum de moyens. C’est ce qu’enseignait Archimède voilà déjà plus de deux mille ans : « Donnez-moi un point fixe et un levier et je soulèverai le monde ».
Le levier sera le referendum et le point fixe sur lequel l’appuyer, la souveraineté nationale.
La solution me parait ne pouvoir être trouvée que dans une révision de notre Constitution, et par referendum de l’article 11.
Mais alors il faut placer le levier (le referendum) et situer la question (le point d’appui) à un niveau tel que le recours à cet article soit incontestable et que le résultat soit tel que la législation qui sera prise au vu de la Constitution ainsi réformée, sera tout autant incontestable. Et c’est là que l’idée d’une première révision qui autoriserait le recours au référendum afin de permettre l’adoption par le suffrage universel d’une loi sur l’immigration, est une réponse qui ne révèle rien d’autre que la timidité de ses auteurs, leur peur de gouverner. Ce serait un coup pour rien, car si l’on peut espérer qu’une telle loi bénéficierait d’une pleine immunité devant le Conseil constitutionnel, resterait entière sa subordination au droit européen et à tous traités internationaux. Quant aux actes règlementaires d’application ne doutons pas que le Conseil d’Etat saurait trouver d’efficaces moyens d’annulation dans les principes généraux du droit dont il est l’inventeur et le gardien.
Et donc le point d’appui incontestable et efficace du référendum ne peut être que la réappropriation par le législateur français de sa souveraineté, tant à l’égard du droit européen, qu’à l’égard du droit constitutionnel.
Situé à ce niveau le référendum porterait bien « sur l’organisation des pouvoirs publics » et serait dès lors incontestable le recours à l’article 11. Il faut remonter à la source première et reprendre (sur les questions relatives à l’immigration) les outils juridiques de cette souveraineté qui ont été abandonnés au pouvoir judiciaire ou accaparés par lui, la nature politique ayant, beaucoup plus qu’en toutes autres matières, horreur du vide. A cette condition, et à cette seule condition, il n’y aura pas de déperdition d’énergie entre la volonté du législateur et sa mise en œuvre par l’administration.
Il est vrai que cette réforme constitutionnelle ne serait que le point de départ. Resterait le plus difficile : se donner une politique, la traduire dans des lois et règlements … et les appliquer. Mais ainsi serait bien identifiée la source du pouvoir et des responsabilités sans plus aucun prétexte à l’inaction pour raisons tirées de l’opposition des cours et tribunaux, dont le rôle devrait rester cantonné à la vérification des compétences, formes et procédures. Et ainsi la loi et l’ordre républicains retrouveraient-ils leur efficacité dès lors qu’il y aurait une volonté politique de donner une réponse appropriée.
Il faut pour cela poser la bonne question, d’où pourra sortir la bonne réponse : en voici une expression radicale, c’est-à-dire qui remonte à la racine :
I/ Les questions relatives :
-à l’acquisition et à la perte de la nationalité ;
-à l’entrée et au séjour des étrangers ne justifiant pas de la nationalité d’un Etat membre de l’Union européenne ;
-au droit d’asile ;
relèvent de la compétence exclusive de la loi française, et ce nonobstant toutes dispositions de tous traités internationaux et des traités de l’Union européenne.
II/Lorsqu’une loi portant sur ces matières est déférée au Conseil constitutionnel, le Conseil émet un avis motivé quant à la conformité du texte aux dispositions de la Constitution et des autres textes de valeur constitutionnelle auxquels elle renvoie.
Si le Conseil émet des réserves, le gouvernement doit provoquer une nouvelle délibération des assemblées.
Le législateur peut alors, soit confirmer le texte voté, soit l’amender.
Le texte ayant fait l’objet de cette nouvelle délibération ne peut être déféré au Conseil constitutionnel pour quelque motif que ce soit, ni faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité.
III/ Lorsque la légalité d’un acte administratif est soulevée devant un tribunal, l’appréciation de cette légalité ne peut être faite qu’au seul regard de la loi sous le visa de laquelle l’acte est édicté.
Et si le peuple français décidait de reprendre sa souveraineté sur cette question, déléguée mais non pas abandonnée aux instances européennes, s’il décidait de donner le dernier mot au Parlement élu par lui, qui donc pourrait le contester, sinon ceux qui veulent ou acceptent que l’on meurt, pourvu que ce soit dans les règles ?
Gabriel Vidalenc,
Juriste,
Auteur de l’essai « De l’État légal à l’État vassal »
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