Selon le Robert, la majorité c’est « le plus grand nombre des voix ou des suffrages, qui fonde la prise de décision ou l’élection ». Quant à la majorité absolue, elle est le fait de « réunir (au moins) la moitié plus un des suffrages exprimés ». Pour ce qui est de la majorité relative, elle est « supérieure en nombre mais inférieure à la majorité absolue ».
Avoir une majorité législative, de préférence absolue, est pour un président de la Ve le stade ultime de son pouvoir. C’est un des éléments majeurs de ce qu’on appelle le présidentialisme : un président élu par le peuple et appuyé sur une majorité absolue. Du général de Gaulle à Emmanuel Macron, ils en ont tous fait l’objectif ataraxique de leur mandat. Lorsqu’en 1986 arrive la première cohabitation, c’est une désillusion pour François Mitterrand. Et encore, en vieux renard de la politique, il a anticipé en imposant, quelques mois avant, une dose de proportionnelle qui entrave la victoire de la droite par la consécration d’un groupe de députés du FN.
Et puis arrive 1988. François Mitterrand est réélu assez confortablement contre Jacques Chirac. Bien légitimement, il procède à une dissolution de l’Assemblée Nationale. Les élections ont lieu les 5 et 12 juin. Elles vont réserver des surprises. Le 5 a donc lieu le premier tour. Le taux de l’abstention, 34,26 % des électeurs inscrits, est le plus élevé jamais atteint pour une consultation législative sous les Ve, IVe et IIIe Républiques. Ne rêverait-on pas de ce score aujourd’hui !? Avec plus de 37 % des voix, la majorité présidentielle progresse de 7 points par rapport à 1986. Le 8, François Mitterrand déclare, devant le Conseil des ministres, qu’il a besoin, pour mener à bien sa mission, d’une « majorité stable ». Sur T.F.1, le 9, il souhaite « une majorité nette, sans qu’elle soit excessive ».
Pour le second tour, la majorité présidentielle gagne 61 sièges par rapport à l’Assemblée sortante, mais manque de 13 sièges la majorité absolue en faisant élire 275 des 575 députés. Une première sous la Ve !
Sous l’égide de Michel Rocard puis d’Édith Cresson et de Pierre Bérégovoy, les socialistes sont contraints à de perpétuels mouvements de balancier, tantôt vers les 25 députés communistes, tantôt vers les 41 élus de l’Union du centre, formée par les députés UDF favorables à la stratégie d’ouverture au centre voulue par Rocard. Et c’est au nom de cela que l’on voit apparaître des ministres dits d’ouverture (Stoléru, Durafour, Pelletier, Soisson) ou de société civile (Kouchner, Tapie, Schwarzenberg) avec plus ou moins de réussite.
Le 14, le président Mitterrand déclare, dans une allocution, que « même relative, la majorité parlementaire existe ». Il souhaite « voir progressivement se rassembler autour de [ses] choix […] un nombre croissant de Français et de représentants du peuple ». Il affirme même : « L’adhésion, qu’on appelle aussi ouverture, doit être recherchée autour des valeurs permanentes de la démocratie et de la République. » Afin de gérer la relativité de sa majorité, François Mitterrand va donc désigner son « meilleur ennemi », Michel Rocard. En annonçant sa nomination à son conseiller spécial, Jacques Attali, le président s’empressa d’ajouter « Dans six mois, on verra à travers ». Ce fut une erreur de jugement car durant les trois ans qu’il passa à Matignon, l’intéressé s’acquitta plutôt bien de sa tâche. Même si ce fut souvent « l’enfer » comme l’écrira plus tard son directeur de cabinet, Jean-Paul Huchon (visant en particulier les rapports avec l’Elysée).
Sur les 30 dernières années, rares sont les présidents qui ont gouverné sans la majorité absolue à l’une ou l’autre chambre, ou aux deux.
Exception faite de Jacques Chirac en 1997 et de Nicolas Sarkozy avec le basculement inédit du Sénat à gauche en 2011. En 2012 François Hollande récupérera une majorité absolue. Tout comme Emmanuel Macron en 2017.
Puisque de ce dernier il s’agit, envisageons quelques scenarii. Nous avons déjà dans ces colonnes envisagé la cohabitation pour les législatives de ce printemps. Au vu des résultats du 1er tour, elle nous paraît à présent assez improbable. En effet, Ensemble! récolte 25,75 % des voix et NUPES, 25,66%. Les suivent le RN avec 18,7 % et LR avec 10,4%. Une fois encore, Jean-Luc Mélenchon et ses affidés crient au scandale et même à la manipulation. Rhétorique surannée des régimes autoritaires sud-américains ou soviétiques auxquels ils sont tant attachés ! « Méluche » est non seulement « la République », comme il le clama voici quelques années, mais aussi maintenant le Ministère de l’Intérieur ! La mégalomanie n’a pas de limite. C’est d’ailleurs la spécificité de cette pathologie psychique.
Soulignons ici que ce premier tour se caractérise par un nouveau record d’abstention. Il s’élève à 52,49% contre 51,29% en 2017 (qui avait déjà constitué un record sous la Ve République). A noter que ce résultat du 1er tour est le plus faible obtenu par un président de la République après son élection depuis 1958. Mais, n’en déplaise à M. Mélenchon, NUPES obtient le plus bas score pour une union des gauches depuis la même année.
Les projections pour le second tour sont les suivantes. D’après l’estimation Ipsos-Sopra Steria (12/06/2022) la majorité présidentielle devrait envoyer entre 255 et 295 députés au Palais-Bourbon (contre 346 actuellement). Le seuil de la majorité absolue est fixé à 289 sièges. Dès lors, si l’on prend la fourchette basse (255) le président n’aurait plus de majorité absolue. Il en va de même jusqu’à ce cap fatidique des 289. Il est fort probable qu’il doive faire avec une majorité relative.
Dans cette très probable hypothèse, il devra « composer » d’abord avec le groupe NUPES doté d’un contingent compris entre 150 et 190 députés.
Également avec Les Républicains qui devraient envoyer, quant à eux, entre 50 et 80 élus dans l’Hémicycle (101 actuellement). C’est une des plus petites représentations de la droite républicaine depuis 1958. Enfin, le RN pourrait obtenir entre 20 et 45 sièges (8 actuellement). Son groupe sera supérieur à celui constitué en 1986.
« Composer », cela peut vouloir dire appeler Jean-Luc Mélenchon à Matignon. Au-delà de l’horreur du scénario, une question se pose à notre sens. La NUPES ressemble à une sorte d’agrégat inconstitué de partis faussement unis. Certes il y a un « contrat d’union », mais il semble ténu. Et, par définition, un contrat peut se rompre ou se renégocier selon les desiderata des uns et des autres. N’y aura-t-il pas un risque d’implosion selon le nombre de députés obtenu par les divers partis de cette union purement circonstancielle ? Par exemple, on projette près de 100 élus LFI (17 aujourd’hui). Cela risque de décupler les visées hégémoniques de son patron ! L’intergroupe prévu ne devrait pas résister longtemps à cela.
Alors composer avec Mélenchon, il le faudra peut-être. Après Marine Le Pen, il a fait le meilleur score des opposants. Certes, le PS en a 28 (il en perdra) mais sa cuisante et historique défaite à la présidentielle (Mme Hidalgo a obtenu 1,7% des voix) ne l’autorise pas en principe à peser sur les négociations. Et de facto son « leader » O.Faure, inaudible s’il en est, ne pèsera rien ou si peu. Il en va de même quant aux Verts et aux communistes.
« Composer » il le faudra aussi, et certainement de façon plus apaisée, avec le groupe LR-UDI. Malgré la réduction du nombre d’élus, ce dernier peut être une force d’appoint.
« Composer », il apparaît qu’Emmanuel Macron n’y est guère enclin de nature. Et ces derniers temps il est plutôt ombrageux après celles et ceux qui « ne font pas ou n’ont pas fait le job ». Alors il peut toujours s’inspirer d’un de ses illustres prédécesseurs, François Mitterrand. Mais d’abord n’est pas Mitterrand qui veut. Même si Emmanuel Macron fut très proche de Michel Charasse ! Ensuite à l’époque, on l’a dit, il y avait Michel Rocard. Or il n’y a plus de Rocard, ni personne qui lui ressemble à gauche (comme quelques grandes figures socialistes, il doit se retourner dans sa tombe en voyant le spectacle d’une gauche mélenchonisée). Et puis l’ancien maire de Conflans-Sainte-Honorine avait pu utiliser une quarantaine de fois le fameux article 49-3 (adoption d’une loi sans vote). Mais la donne a changé. Un certain Nicolas Sarkozy a décidé en 2008, sous l’influence du Comité Balladur (réforme des institutions) de limiter désormais l’usage du 49-3 à une fois par session parlementaire sur les textes non budgétaires. Belle idiotie selon nous. Et Emmanuel Macron risque de l’apprendre à ses dépens.
Enfin que va décider Emmanuel Macron, à l’issue de ce second tour, quant au gouvernement ? Il ne pourra certainement pas le laisser en l’état.
Déjà si des ministres ont perdu aux élections législatives, ils devront partir. De toute façon, et c’est une constante de la Ve, le gouvernement doit refléter la composition de l’Assemblée Nationale.
On parlait ci-dessus de François Mitterrand. Voici ce qu’il déclarait à la veille de la première cohabitation de la Ve : « Le Président de la République nomme qui il veut. Il doit naturellement se placer en conformité avec la volonté populaire. (…) Je devrai m’adresser à une personnalité de la majorité pour conduire le gouvernement. (…) Personne ne désignera le Premier ministre à ma place, croyez-moi » (TF1, 2 mars 1986). M. Macron, vous devrez vous placer « en conformité avec la volonté populaire ». Comme le dit l’adage, vous avez « mangé votre pain blanc en premier ». Il ne vous reste que le gris !
Raphael Piastra
Maître de Conférences en droit public des Universités