Aujourd’hui, la Première ministre Elisabeth Borne a engagé pour la dixième fois la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi de finances. Autrement dit, l’article 49.3 a de nouveau été dégainé. Ce recours qui semble devenir récurrent pour tout vote suscitant contestation au Parlement entre en contradiction avec la volonté affichée par le Président de compromis et de coalition.
Le 49.3 un manque de démocratie ?
Depuis le mois de septembre, l’article 49.3, qui permet au conseil des ministres de décider seul de l’adoption d’une loi sans passer par le Parlement, mais seulement une fois par session parlementaire, a été utilisé dix fois.
Certes le gouvernement engage à chaque fois sa responsabilité, mais le vote d’une motion de censure est hautement improbable du fait de la coloration et la fragmentation politique de l’Assemblée. Certes, le record à ce jour d’usage du 49.3 est détenu par Michel Rocard lorsque son gouvernement est en minorité, toutefois cet usage heurte tant il semble en décalage avec les mots du Président lors de son discours du 22 juin.
Ainsi, disait-il « Sa responsabilité [celle de la majorité présidentielle] est donc de s’élargir, soit en bâtissant un contrat de coalition, soit en construisant des majorités texte par texte » et le gouvernement ne semble avoir retenu que la fin dudit discours « Pour cela, il faudra clarifier dans les prochains jours la part de responsabilité et de coopération que les différentes formations de l’Assemblée nationale sont prêtes à prendre. Entrer dans une coalition de gouvernement et d’action. S’engager à voter simplement certains textes, notre budget.»
Ainsi dans les faits, il n’est pas abusif de penser que la coalition et la coopération ne sont qu’à sens unique : celui du gouvernement.
A ce jour, deux constats s’offrent à nous : un biais dans les amendements retenus et une stratégie délétère d’une partie de la gauche, utilisée pour légitimer le recours au 49.3. Cette façon de faire peut être vécue comme une forme de mépris à l’égard des parlementaires qui travaillent des amendements…Ce qui est dangereux d’un point de vue démocratique et qui est source d’un risque bien plus grand auprès des citoyens. En effet, l’écart entre le discours et la pratique, cette corruption du discours[1], peut accroitre la défiance des Français et des Françaises à l’égard du politique et des institutions. Or chacun sait que ce niveau de confiance n’est déjà pas élevé[2].
Faire tomber les masques
Comme nous aimons à nous comparer avec nos voisins allemands, il conviendrait de le faire sérieusement en ce qui concerne leurs us en termes de coopération, coalition et dialogue. Évidemment, cet exercice s’avère difficile tant nos pays sont différents.
La France est un état unitaire, avec un système mixte à tendance présidentialiste et ses règles électorales, notamment le découpage administratif et le type de scrutin des législatives, favorisent le bipartisme.
Enfin, elles favorisaient le bipartisme. De nos jours avec une Assemblée nationale plus fragmentée mais aussi plus représentative, il convient de s’inspirer de nos voisins : la coopération, pragmatiquement c’est un trade-off, c’est être en capacité de céder sur certains points pour unir le pays derrière un gouvernement, et ce même lorsqu’il n’y pas de coalition.
Or s’il est légitime de déplorer, comme la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, l’usage de procédures pour bloquer les débats, notamment avec l’obstruction générée par la multiplication des amendements, il convient de parler du débat de fond et de la place de la délibération au sein de la chambre. En effet, si l’obstruction est œuvre de tous les partis et que le gouvernement conserve une rhétorique du « en même temps », les amendements rejetés lors de l’adoption du budget de 2023 sont assez transparents quant à la capacité à enrichir ou infléchir la ligne politique, ne prenons pour exemple que l’amendement sur les superdividendes porté par le Modem, adopté par les députés et exclu par le 49.3 du 19 octobre 2022.
Or le problème c’est que certains de ces amendements rencontrent un large soutien de la population française. Ainsi, une taxe sur les profits exceptionnels des entreprises est soutenue par 59% ou 81% des Français selon les sondages.
Dans un contexte de crises sans fin, pour être plus proche des citoyens, il s’agirait de prendre au sérieux le rôle des députés en tant qu’élus de la nation, dans sa diversité, et à cet égard veiller à une plus grande écoute du Parlement.
Cela n’implique pas un changement de Constitution, sinon un changement de pratiques et de postures que la cinquième République permet.
Ce faisant, un geste d’ouverture du gouvernement serait constructif, diminuant l’écart entre les actions et les discours. Qui sait une telle position pourrait permettre de lutter contre la fatigue démocratique et ses effets délétères ?
Rosie Bordet
Cheffe d’entreprise
Adjointe au maire en Ille et Vilaine
[1] LA DÉMOCRATIE DÉLIBÉRATIVE ET LA CORRUPTION DU DISCOURS, Mark E. Warren
in Loïc Blondiaux et al., Le tournant délibératif de la démocratie
[2] opinion-way.com/fr/sondage-d-opinion/sondages-publies/opinionway-pour-le-cevipof-barometre-de-la-confiance-en-politique-vague-13-janvier-2022/viewdocument/2761.html