En cette période de mi-mandat, François-Xavier Roucault revient sur le personnage d’Emmanuel Macron, sa philosophie, ses aspirations. Depuis qu’il est entré à l’Elysée, le Président Macron a suivi sa propre ligne politique, quitte à apparaître contradictoire aux yeux de l’opinion : cette tendance relève, selon l’auteur, d’un nietzschéisme contemporain et conquérant.
Après trois ans de règne, il est certain qu’Emmanuel Macron reste une énigme aux yeux des français. Quel est son logiciel de pensée ? En a-t-il seulement un ? Ou n’est-il qu’un adepte des tangentes idéologiques ? Pragmatisme, opportunisme, machiavélisme ? Macron jongle, en effet, constamment avec les partis pris idéologiques, prônant les contraires, avec une aisance de caméléon. Le candidat Macron fera son entrée en campagne électorale au Puy du Fou, fief du souverainisme français, mais draguera le vote multiculturel en affichant par exemple sa proximité avec le comique simili-indigéniste Yassine Belattar. Il affirmera qu’il n’y a pas de culture française, puis s’érigera en défenseur du patrimoine national. Il sera le chantre de la mondialisation, puis le champion de la souveraineté retrouvée. Jupitarisme et convention citoyenne, étatisme et libéralisme, souverainisme et multiculturalisme, français châtié et globish, Macron est oxymorique avant tout.
Tout cela peut paraître bien confus et versatile, surtout pour un homme censé exceller dans la structuration de la pensée, et qui prétend résister aux sirènes des modes. Ces inconstances sont pourtant la clef de son être et de son parcours politique. Macron est en fait un personnage nietzschéen. « Une gare c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien » : une phrase qui dit tout et que ne renierait pas le philologue. Inversement, Macron n’est-il pas l’Européen, prédit par Nietzsche, « cet homme fort qui deviendra nécessairement plus fort (…), grâce au manque de préjugés de son éducation, grâce à la formidable multiplicité de son savoir-faire, de son art et de ses masques ? »
Sur le plan de la personnalité, les deux hommes partagent la brillance intellectuelle, le refus de la pensée conventionnelle, une curiosité insatiable et l’hétéroclité du savoir. Deux pianistes, pétris de culture classique, ayant suivi une trajectoire de vie atypique et inattendue.
Deux hommes souvent perçus comme arrogants, méprisants, hautains, qui partagent une haute idée de la destinée, le rejet d’une vie bêtement bourgeoise, et la naïveté propre aux ambitieux, celle de penser pouvoir tenir le monde dans la main.
Mais surtout, deux êtres qui célèbrent le culte de l’accomplissement de l’individu, le « deviens ce que tu es ».
Cela n’empêche pas les différences. Si Nietzsche était un grand réservé, qui se cachait derrière son imposante moustache, Macron est lui un séducteur, affirmé et extraverti. Si Nietzsche a recherché l’accomplissement intellectuel, voire artistique, Macron s’enivre de pouvoir et de glorification. Si Nietzsche a négligé son destin académique et s’est posé comme un pédagogue pour la postérité, Macron est un carriériste avant tout, qui ne sert que lui-même. Si Nietzsche a prôné et vécu le splendide isolement, Macron, tel Alcibiade, aura subjugué un temps la cité. Si Nietzsche, enfin, n’aura pas goûté au succès et à la reconnaissance avant d’être débilité par la maladie, Macron l’aura connu précocement et intensément.
La philosophie de Nietzsche s’incarne dans des traits de caractère et des attitudes que l’on voit saillants chez Macron : l’individualisme comme fin, un optimisme et une assurance souvent mâtinés d’arrogance, le refus du négativisme, le goût pour le combat (l’argumentation dans son cas), qu’il semble mener avant tout pour éprouver et manifester sa propre force, le refus de la pensée de système et le louvoiement dans les vents idéologiques contraires, par revendication de la pensée complexe (le « en même temps » que l’on retrouve aussi chez Nietzsche : « L’histoire, de même, doit t’être familière, et le jeu prudent avec les plateaux de la balance « d’un côté… de l’autre »), sa tendance à tancer ses compatriotes (les fameux « gaulois réfractaires ») et son rapport opportun et parfois contrarié à la nation, son élitisme bien sûr et son refus de choisir un camp, autre que le sien, l’absence de transcendance, sa quête de l’esthétisme en politique et un lyrisme chez lui souvent surjoué, pneuma de sa présidence. Seulement, sa volonté de puissance, dont on imagine aisément qu’elle aurait pris un tour plus agressif et collectif (plus Bonapartiste pour tout dire) en des temps plus belliqueux, s’est conformée à notre époque, en étant essentiellement individualiste, et contenue dans les bornes du politiquement correct.
Enfin, si la pensée de Nietzsche est essentiellement idiosyncrasique, la politique de Macron l’est tout autant. C’est en cela que son règne ne pouvait être que jupitérien, qu’il tient plus du prince que de l’homme politique. Il agit en effet comme si le pouvoir lui était dévolu et non confié. Il n’y a pas avec lui de manuels idéologiques auxquels se référer, et il n’a fait allégeance à aucune doctrine.
Ses décisions ne sont que la résultante de processus réflexifs intimes, les fruits de son individualité, assortis d’une dose d’opportunisme et de calcul politique.
Il est donc fort probable que Macron n’appartiendra à aucun autre parti que le sien, et qu’il gérera sa carrière comme un de Gaulle (mais mercenaire et non soldat), sur sa seule personne, à prendre ou à laisser.
Enfin, c’est aussi en cela qu’il ne peut avoir d’épigones, et que son mouvement ne peut accoucher d’une doctrine politique. Macron, comme Nietzsche, ne restera que comme une source d’inspiration, sans légataires. Résonneront alors à nouveau, pour les prochains avatars du philosophe, les mots de Nietzsche, dans Humain trop humain, comme une prémonition, ou une référence non avouée : « Du reste, il nous est impossible de revenir à l’ancien [système]… Mettons-nous en marche …! ».
François-Xavier Roucaut
Psychiatre
Professeur adjoint de clinique à l’université de Montréal