Pour la Revue Politique et Parlementaire, Jacky Isabelo met en parallèle le destin tragique de Mata Hari, condamnée à mort pour espionnage pendant la Première Guerre mondiale, et le mouvement MeToo.
MeToo cinéma livre un autre épisode de la série consacrée désormais aux réalisateurs. Après les cas Doillon et Jacquot en début d’année. Pas moins de dix comédiennes viennent de dénoncer le comportement de Philippe Lioret 1.
Les comportements hier encore monnaie courante sont exhumés, et enfin cloués au pilori.
Toutefois, jusqu’à quelle période remonterons-nous les horloges de l’injustice ? Exécutée le 15 octobre 1917, Mata Hari n’a jamais reçu l’aide de quiconque. Personne pour remettre en cause les conditions iniques et cyniques dans lesquelles elle a été injustement condamnée puis fusillée. Si elle avait été victime de harcèlement sexuel, l’histoire n’en aurait gardé aucune trace. Quelques années plus tôt, le capitaine Dreyfus, condamné lui-aussi injustement pour intelligence avec une puissance étrangère, avait bénéficié d’une forte mobilisation, notamment parmi la frange des intellectuels, et ceci marqua l’époque et la notion d’engagement de la part de la société civile.
Condamné parce juif et non espion, il fut, fort heureusement, quoique trop tardivement, innocenté. Condamnée parce que femme et non espionne, elle ne fut jamais absoute.
Le Code Napoléon qui instaure le statut de mineure de la femme mariée restera largement en vigueur et ceci jusqu’en 1938. Si MeToo avait eu lieu précocement qu’en serait-il advenu de son sort de femme sans plus de capacité juridique qu’un enfant ? Faut-il croire qu’une Mata Hari, citoyenne du 21e siècle, deviendrait le symbole d’une lutte équivalente aux dreyfusards contre les « anti » ? J’ose espérer que cette forme de violence faites aux femmes passerait la barrière des indignations !
Rappelons-nous le contexte : Mata Hari a été poursuivie pour espionnage au profit de l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. Les autorités l’ont accusée d’utiliser sa position de danseuse et de courtisane pour obtenir des renseignements et les transmettre à l’ennemi.
Adèle Haenel, Judith Godrèche : porte-paroles d’une cause Mata Hari ?
Quelle fin aurait connu l’artiste gourgandine appointée ou stipendiée, selon que vous croyez ou réfutez sa culpabilité, si le célèbre ouragan mondial MeToo avait dévasté l’homéostasie de certains secteurs, dont il reste aujourd’hui des spasmes dans un « certain » cinéma, gardons-nous d’essentialiser ?
Adèle Haenel, Judith Godrèche, tiendraient sans aucun doute la pointe d’une même plume, autrices d’une forme de « J’Accuse… »2 modernisée, et placée sous l’égide protecteur du mouvement MeToo ; volant au secours d’une Mata Hari, injustement accusée.
Aurait-on argué alors que la seule erreur de l’espionne supposée fut d’être née femme et non pas génétiquement traîtresse à la patrie ?
Pourtant les preuves de son innocence étaient accablantes. La célèbre danseuse d’origine néerlandaise (de son vrai nom Margaretha Geertruida Zelle) fut passée par les armes après trois jours d’un procès bâclé. Le tristement célèbre procureur Mornet également en charge du procès de Philippe Pétain, imputa, sans un début de preuve, porté par de ridicules exagérations rhétoriques, aux renseignements qu’elle aurait fournis aux Allemands, des dizaines de navires torpillés. À Alain Decaux, qui l’interrogeait en 1950, ce même Mornet avoua pourtant sans ciller, trente-sept ans plus tard, qu’on n’avait « finalement pas grand-chose à lui reprocher » mais que « le contexte politique » était tel que « la raison d’État ne pouvait que l’emporter » (Dossiers secrets de l’Histoire,Perrin, 1966)3. Il aurait fallu toute la puissance d’indignation de MeToo pour faire courber la raison d’Etat. Hélas rien de tout cela !
Les Grecs aimaient évoquer l’importance du Kairos, saisir le bon moment. Le Général De Gaulle parlait dans ses « Mémoires de guerre » des circonstances, hélas trois fois hélas rien de tout cela pour sauver Mata Hari. S’il est admis que le temps est venu de l’égalité parfaite entre les hommes et les femmes, affirmons qu’il est également venu le temps de réhabiliter une « femme Dreyfus ».
Il s’agirait simplement que le mouvement MeToo, représenté par une porte-parole, se penche sur une autre forme de lutte contre les violences faites aux femmes : l’injustice.
Le dossier Mata Hari incarnerait en quelque sorte le premier « cold case » MeToo. Or quoi de plus difficile quand on est homme que de suggérer cette folle proposition. Pourtant, si l’initiative était soufflée à l’oreille du Président de la République, dont le corps4 est d’être roi avant d’être homme, engagerait le pays dans une autre convention mémorielle au lieu de panthéoniser à tour de bras. Il m’éviterait par la même occasion l’opprobre d’avoir bricolé l’histoire avec le canif de l’anachronisme.
Jacky ISABELLO
Fondateur du cabinet Parlez-moi d’Impact
- Je vais bien, ne t’en fais pas : Mélanie Laurent, Kad Mérad – 2007 ↩
- Tribune d’Emile Zola parue le 13 janvier 1898 dans le n° n° 87 du journal l’Aurore où figure Georges Clémenceau parmi les premiers rédacteurs ↩
- Éric Branca – La République des imposteurs – 2024 Perrin ↩
- Ernst Kantorowicz – Les deux corps du roi. Gallimard Folio Histoire ↩