Emmanuel Macron a réuni mercredi 28 septembre dernier les membres notoires de sa majorité pour discuter à nouveau de la réforme des retraites lors d’un dîner. Alors qu’il semblait temporiser et être prêt à attendre l’hiver prochain pour faire adopter la réforme des retraites, il a renoué avec le « en même temps ». En effet selon Olivier Dussopt, ministre du Travail, invité aux agapes, le président s’est cabré alors qu’était évoquée une motion de censure déposée par la NUPES et le RN. « S’il y a une motion de censure qui est votée, je dissous tout de suite l’Assemblée nationale », a-t-il en effet menacé. Plus gaullien que jamais, il a même ajouté « je ne veux pas la chienlit. Si une motion de censure est adoptée, tout le monde repart en campagne ».
Info ou intox ? On ne le sait pas. Il n’est nullement de notre propos ici d’analyser l’opportunité politique de ce scénario. Il nous appartiendra seulement de rappeler un peu les règles en la matière ainsi que les précédents.
Les règles constitutionnelles en matière de motion de censure et de dissolution
Elles reposent sur deux articles essentiels de la Constitution.
– Tout d’abord l’article 49 al 2 C. :
L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire.
Précisons que selon l’article 50 lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement (ndlr : alinéa 1) le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement.
Rappelons qu’il existe aussi l’adoption d’un texte sans vote prévue à l’article 49-3 C.
Les conditions d’une motion de censure sont strictes et quasi inaccessibles en logique majoritaire.
En effet la majorité absolue que détient le chef de l’Etat à l’Assemblée rend cette motion assez illusoire. Rappelons les conditions : 1/10 è des signatures, délai de 48 h (pour un délai de réflexion), votes favorables à la majorité des députés. Il y a déjà eu un assez grand nombre de motions de ce type déposées depuis 1958. Mais une seule a connu le succès. Il y a toutefois eu un précédent, on le verra plus loin.
La réplique à une motion de censure est la dissolution par le président de la République.
– Selon l’article l’article 12 C : Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.
Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.
Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections.
La dissolution est un pouvoir propre (dispensé du contreseing ministériel) qui permet au président d’agir en quelque sorte à sa guise.
Comme on le constate, il existe une seule condition spéciale pour dissoudre. Elle est fixée au dernier alinéa et repose sur le principe ancien : dissolution sur dissolution ne vaut. En d’autres termes le président ne peut procéder à plus d’une dissolution par an. Également lorsque les pouvoirs de crise de l’article 16 sont appliqués et pendant les périodes d’intérim de la présidence, la dissolution est exclue. Notons aussi que pour dissoudre l’Assemblée, le Président doit consulter le Premier ministre et les présidents des deux assemblées, mais il n’est pas obligé de tenir compte de leurs avis.
Ces dernières consultations sont de pure forme. Ainsi un avis négatif ne lie en aucun cas le président. Les premiers ministres se sont tous conformés. Quant aux présidents de chambres J. Chaban-Delmas (président de l’Assemblée en 1962 et 1968) donna sans surprise son aval au général. Lorsqu’il reçut G.Monnerville, à la tête du Sénat, en 1962, celui-ci lui fit savoir son opposition à la dissolution. De Gaulle lui laissa à peine finir son argumentation en lui disant « je ne vous raccompagne pas ! Revenu au perchoir (recordman à ce poste) Chaban exprima son opposition à F. Mitterrand tant en 1981 qu’en 1988. Enfin en 1997 P. Séguin, alors au perchoir, fit savoir à J. Chirac qu’il faisait « une connerie ». Alors que l’on sait qu’ A. Juppé fut des inspirateurs (avec D. de Villepin) de cette dissolution.
Autrement le chef de l’Etat agit comme il le souhaite. C’est la vertu d’un pouvoir propre !
Regardons à présent ce qu’il en est de la pratique de ces règles essentielles.
La pratique de ces règles
Nous allons d’abord regarder ce qu’il en fut de la motion de censure. En bientôt 65 ans de Ve République, il y a eu un seul usage. En cet automne 1962 le chef de l’Etat n’est pas élu par le peuple, mais par des grands électeurs. C’est-à-dire les députés et les sénateurs. Le 20 septembre 1962, le président Charles de Gaulle veut changer tout ça avec un référendum. Bien sûr, ça ne plaît pas aux députés. Le 4 octobre 1962, ils déposent une motion de censure pour renverser le gouvernement Pompidou. Pour être recevable, elle doit être signée par au moins 1/10ème des députés. Le surlendemain, le 6 octobre, les résultats du vote tombent. La motion de censure est votée à la majorité absolue. Conséquence, le Premier ministre Georges Pompidou et son gouvernement sont renversés. En réponse à la motion de censure, Charles de Gaulle décide donc de dissoudre l’Assemblée nationale ! On sait qu’il a convoqué les présidents de chambres à l’Elysée pour les en informer. Le président du Sénat, Gaston Monnerville son meilleur ennemi, a en vain exprimé son opposition.
Résultat, des élections législatives anticipées sont organisées. Le 25 novembre, le verdict des urnes est sans appel. Le parti gaulliste, l’UNR, remporte largement les élections, avec plus de 40 % des voix. La motion de censure est donc annulée et Georges Pompidou conforté en tant que Premier ministre (et le gouvernement est le même à 90 %).
De Gaulle dira avoir ainsi sifflé la fin de la partie !
Si seulement une motion de censure a été mise à exécution, des dizaines de motions ont été déposées. La pratique révèle à la fois la grande utilisation et la faible utilité pratique de la motion de censure, dans la mesure où une seule fut adoptée depuis 1958. L’opposition a toujours déposé des motions de censure, sans se faire d’illusion sur le résultat final, mais afin d’acter au cours d’un débat parlementaire son désaccord avec la politique suivie par le Gouvernement et sa majorité. En 1992, le Gouvernement de Pierre Bérégovoy évita de quelques voix d’être renversé par une majorité composite de députés de droite et de députés communistes. Il y avait eu un précédent lors de la motion de censure déposée en mai 1968. Les députés n’ont pas non plus manqué de déposer des motions de censure après l’utilisation de l’article 49.3 par un Gouvernement, afin de dénoncer l’occultation du débat parlementaire, puisque cet article arrête toute discussion, et de mettre ainsi en avant leurs arguments contre le texte proposé. A jour 100 motions de censure ont été déposées.
En ce qui concerne la dissolution, l’analyse de la pratique conduit à dégager deux écoles, celle du général de Gaulle et de François Mitterrand. Puis celle de Jacques Chirac.
Les dissolutions de C. de Gaulle et F. Mitterrand furent utilisées pour résoudre puis prévenir une crise de régime. Le général a procédé à deux dissolutions. La première en 1962 fit suite à une motion de censure ainsi qu’on a pu le voir plus haut. Le chef de l’Etat n’a ni plus ni moins qu’arbitré une crise de régime.
La seconde dissolution date de 1968. Suite aux évènements du printemps, le général de Gaulle décide de donner la parole aux électeurs pour, finalement, débloquer la situation et éviter une crise politique. F. Mitterrand a usé de la dissolution à deux occasions et pour la même raison. Plus exactement pour mettre en cohérence majorité présidentielle et majorité parlementaire. En 1981 lorsqu’il est élu, il a face à lui une majorité de droite. Il ne pourra donc compter sur elle pour installer le changement annoncé. Il procède donc à la dissolution et obtient une vague rose à l’Assemblée. En 1988, lorsqu’il est réélu, il a encore contre lui une majorité de droite issue d’une cohabitation à tout le moins conflictuelle. Afin de pouvoir faire appliquer son programme, il dissout à nouveau et remporte une majorité… relative (déjà !). Pour gérer celle-ci, il faudra trois premier ministres à F. Mitterrand : Rocard, Edith Cresson (première femme à Matignon), Bérégovoy. Jusqu’à ce que la seconde cohabitation survienne.
La dissolution de J. Chirac en 1997 est d’un autre type. Du troisième type. Elle n’a pas mis fin à une crise et le Président disposait d’une majorité à l’Assemblée favorable à son camp politique. Même teintée de balladuriens. Certains ont pu parler de dissolution opportuniste, dite aussi « à l’anglaise ». Dans son message aux Français Chirac dira avoir « besoin d’une majorité ressourcée et disposant du temps nécessaire à l’action ». Jean-Marie Colombani, dénoncera le bon plaisir du président et souligne que c’est la première fois qu’un chef de l’État use de cette prérogative, sans motif autre que son intérêt du moment. L’intérêt d’un pouvoir propre n’est-il pas essentiellement là aussi ?
On sait que par sa dissolution, il a provoqué la troisième cohabitation de la Ve. Et celle-ci dura cinq ans.
Sauf le respect dû à la mémoire de J. Chirac, il est incontestable que son geste a immédiatement déstabilisé la fonction (et l’homme dit-on aussi).
A moyen terme, cohabitation oblige, elle s’est secondarisée. Puis elle s’est immanquablement désacralisée. Nonobstant sa réélection en 2002. Et l’usage qu’en ont fait les successeurs a, malheureusement, plus ou moins amplifié les choses.
Au moment de conclure, que dire ? D’abord et avant tout qu’Un président ne devrait pas dire çà… En effet pas plus le général de Gaulle que Mitterrand ou Chirac n’avaient annoncé à l’avance leur stratégie. C’est pain béni pour les adversaires ! Vu l’état général de l’opinion et la composition de l’Assemblée nationale, la posture d’E. Macron a même un coté suicidaire. L’hôte de l’Elysée voudrait provoquer une quatrième cohabitation, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. D’autant qu’il était plutôt parti vers le compromis. « Je dissimule, je biaise, j’adoucis, j’accommode tout autant qu’il est possible. » (F.Mitterrand).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public