Le 21 juin, le gouvernement a annoncé le lancement du premier “plan national d’action visant à éradiquer les mutilisations sexuelles féminines”. Réaction de Linda Weil-Curiel, avocate reconnue notamment pour avoir été l’une des premières à militer contre la pratique de l’excision en France et à obtenir la condamnation pénale d’exciseuses et de parents.
2019-2021: un plan d’action inédit pour aller plus loin et faire de la France un pays exemplaire ? Oh my God !
Le gouvernement vient de pondre un rapport intégré dans la campagne labellisée « Grande cause nationale 2019 », fixant un plan d’action pour aller plus loin, préconisant :
- d’enrichir l’état des connaissances et établir un état des lieux des mutilations sexuelles féminines,
- de mieux sensibiliser pour mieux prévenir,
- d’améliorer la santé des femmes victimes de mutilations sexuelles,
- de lutter contre les mutilations sexuelles féminines au plus près des territoires » (?),
l’ensemble de ces fortes propositions devant faire de la France un pays exemplaire, éclairé… qui entraînerait dans son sillage la communauté internationale.
Faut-il rire ou pleurer d’une telle prétention aux termes de ce pensum qui semble découvrir la « problématique » ?
Dans « l’Edito de la ministre » chapeautant le rapport, il est précisé que « le Plan national d’action visant à éradiquer les mutilations sexuelles 2019-2021 a pour objectif principal de sensibiliser l’ensemble des adultes concernés par cette problématique » et avant tout « d’établir un dispositif de recueil de données facilement actualisables ».
Bien, mais les mutilations sexuelles sont-elles une maladie pour que l’on veuille les éradiquer ? La suite du rapport montre que seuls les professionnels sont ciblés, et non pas les premiers intéressés puisque responsables de leurs enfants : les parents.
Il est encore précisé que « le Plan agira également comme levier auprès de la communauté internationale afin que d’autres pays s’engagent dans cette lutte contre les mutilations sexuelles féminines notamment dans le cadre des grands évènements français à venir tels que le G7 en 2019 » et qu’il est destiné à » favoriser un dialogue constructif avec les pays dans lesquels existent encore des communautés pratiquant des mutilations sexuelles féminines ».
Intéressant, mais qu’attend le gouvernement pour engager un tel dialogue avec les représentations consulaires desdits pays dont les ressortissants (jusqu’à ce qu’ils deviennent français) sont établis dans notre pays ?
N’est-il pas de leur ressort d’inviter fermement leurs compatriotes à abandonner les pratiques inacceptables par le pays d’accueil ? (Ce n’est pas gagné d’avance si l’on en juge par la réponse de l’ambassadeur de Guinée à cette même question que je lui posais le 26 juin au Sénat, à l’occasion de la venue de la jeune et courageuse Hadja Idrissa Bah : « C’est au gouvernement et aux familles d’agir », comme si lui-même ne représentait pas son pays en France !).
L’Unicef et l’OMS comptent à la louche qu’il y aurait 200 millions de femmes excisées dans le monde… En Indonésie la coupure du clitoris des bébés est une obligation tant religieuse que légale, et sa population serait de l’ordre de 200 millions. Récemment la presse a rapporté qu’à Moscou des cliniques où l’excision est pratiquée font de la publicité. Depuis que les médias l’ont révélé il semblerait que la publicité a cessé, mais pas la pratique car la demande existe chez certains peuples dans l’orbite russe, Tchétchènes, Ingoush, lesquels ne sont généralement pas répertoriés comme pratiquant les mutilations sexuelles.
Les chiffres sont sûrement très au-delà de ce que les « statistiques » annoncent. Ah, le rire inextinguible du militant sénégalais à qui j’avais posé la question de la fiabilité des données chiffrées optimistes publiées par l’Unicef en 2013 ! Son rire a redoublé lorsque je lui ai demandé son avis sur les cérémonies de dépose des couteaux, donc de l’abandon de l’excision dans les villages, dont la presse faisait grand cas..
Quoi qu’il en soit, l’énumération des pays sur tous les continents où une forme de mutilation sexuelle féminine est pratiquée en surprendrait plus d’un, mais c’est un autre sujet.
Un bon point pour le rapport
A juste titre, le rapport opte pour le terme de « mutilation sexuelle » comme l’avait préconisé l’Académie de médecine (merci Professeur Henriot), plutôt que l’inapproprié et barbare à l’oreille « mutilation génitale ».
Le terme d’excision est tout à fait justifié et continue d’être couramment employé, s’agissant de la section de la partie externe du clitoris et des petites lèvres. C’était le terme employé par les Africaines (Awa Thiam, La parole aux Négresses, 1978) qui se sont mobilisées contre cette pratique. Les femmes disent couramment « j’ai été coupée ».
Il faut savoir que l’hypocrisie était telle dans les enceintes internationales qu’on y parlait de « pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des femmes et des enfants »… au moins jusqu’à la conférence de Pékin 1995, et de « circoncision féminine » terme qu’on peut encore lire dans la presse anglo-saxonne.
Ca se gâte page 5
« Les personnes qui excisent les petites filles ne doivent avoir aucun répit, ni en France ni dans le monde »… Quelle terrible menace le gouvernement entend-il faire planer sur les dites personnes ? On en saura rien. Aucun rappel des retentissants procès dits d’excision depuis 1982, d’abord en correctionnelle puis devant les cours d’assises commentés même à l’étranger, parfois avec envie !
Le gouvernement ignore-t-il à ce point le rôle dissuasif qu’a joué la répression, et que la crainte de la Justice a retenu plus d’une mère de livrer sa fille à la lame de l’exciseuse ?
La prévention dans le cadre des centres de la Protection maternelle et infantile (PMI), a d’abord été l’oeuvre d’individualités auxquelles il est temps de rendre hommage pour leur action, dès 1981 dans les Yvelines (docteure Marie-Hélène Franjou), puis à Paris en 1983-84 (Mme Charliac, directrice de la PMI de la rue Boinod, docteure Airiau, professeur Lévêque, chef du service pédiatrique de l’hôpital Bretonneau qui transmettra en 1983 au ministère de la Santé un rapport s’alarmant du nombre d’enfants mutilées, docteure Burchard qui avertira la police à temps pour empêcher l’excision d’une petite fille en 1984…). Auparavant, en septembre 1980 le professeur Arthuis chef du service pédiatrique de l’hôpital Saint-Vincent de Paul, avait sauvé in extremis la vie d’un bébé de trois mois, Bintou D. après son excision. Cette affaire fera l’objet d’un signalement à la justice et l’affaire vint devant la 15e chambre correctionnelle en octobre 1982, la presse titrant « Tradition africaine contre Justice française »…
Cependant c’est la mort du bébé Bobo Traore en juillet 1982 qui alertera Yvette Roudy, ministre du Droit des Femmes. Simone Iff, membre de son cabinet, non seulement fera la tournée des foyers de travailleurs mais, sur la suggestion d’Anne Zelensky, formera un groupe de travail réunissant professionnels de la petite enfance, médecins de PMI, et une juriste. Moi. Il fallait organiser la prévention et examiner s’il était nécessaire de légiférer. Mon opinion était qu’il n’était pas besoin ni souhaitable d’écrire une loi sanctionnant les auteurs d’excision puisque la mutilation tombait déjà sous le coup de la loi (article 312-3° du Code pénal à l’époque). Opinion partagée par un magistrat, M. Desjardins appelé en consultation.
La véritable impulsion de la campagne de prévention dans le cadre de la PMI on la doit à la docteure Emmanuelle Piet nommée médecin départementale de la PMI de Seine Saint-Denis en 1984, chargée du programme de protection de l’enfance. Elle y incluera la question de l’excision et mettra au point une méthode de prévention par l’examen systématique des parties sexuelles dans le cadre de la consultation médicale. Double objectif : repérer une possible excision, et/ou d’éventuelles traces d’agression sexuelle, avec inscription du constat, positif ou négatif, dans le carnet de santé. Avec obligation de signalement au Parquet en cas de constat positif.
C’était courageux et nécessaire.
C’est ainsi que cette façon de faire, ensuite largement étendue aux autres PMI, a été vue comme un modèle par des pays européens mais qui ne l’ont pas tous adoptée par crainte de la pruderie de leur opinion publique.
Autre point fort de la prévention : les « femmes-relais », Africaines compétentes et dévouées. Merci à Khady Koita, beaucoup de petites filles te doivent d’être restées intactes. Et aux associations qui ont longtemps travaillé avec des bouts de ficelle et dévouement.
Oui, tout cela a existé, avec succès.
Puis certaines familles se cramponnant à leur coutume ont mis au point des stratagèmes pour contourner la prévention et échapper à la répression.
Nous avons affronté et tenté parfois avec succès de déjouer ces stratagèmes, souvent avec l’aide des bonnes volontés locales et aussi de ministres engagées (Mme Ameline qui a su mobiliser les consulats de France) mais c’est une longue histoire..
Et que propose le rapport ministériel ?
Il propose :
- d’expérimenter la mise en place d’un ou plusieurs outils de recueil de données. Lesquels ? Comment vaincre les réticences, car il y en aura ? On ne le saura pas.
- d’identifier dans les établissements d’enseignement scolaire de second degré les interruptions de scolarité des jeunes filles qui quittent le système éducatif à la fin (on présume : avant la fin…) de l’instruction obligatoire afin de mieux identifier les victimes potentielles de mutilation sexuelle féminine. Pourquoi se limiter au secondaire ? Comme si les petites filles après l’âge de 6 ans, alors qu’il n’y a plus de risque de contrôle par la PMI, n’étaient pas exposées au danger.
- d’organiser le signalement systématique des filles, adolescentes et femmes mutilées qui accouchent dans les maternités françaises. En ce qui concerne les mineures c’est une demande formulée par Emmanuelle Piet dès que l’on a compris que les vacances au pays se transformaient souvent en cauchemar pour les adolescentes et pré-ados. Signaler les adultes ? A qui ? Pourquoi faire ? En ce qui concerne les mineures c’est au Parquet puisqu’il y a le constat d’un acte criminel de mutilation, peu importe qu’il ait eu lieu à l’étranger du moment que la victime a la nationalité française, ou bien que sa résidence est en France depuis la loi du 4 avril 2006.
- au chapitre « mieux sensibiliser pour mieux prévenir », de développer les outils de prévention adéquats ». Adéquation à qui, à quoi ? Mystère. Ces outils ont existé et ont bien fonctionné depuis que l’excision est devenue un sujet national de préoccupation après nombre de procès mettant en évidence la persistance de la pratique :
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- En 1993 la campagne « Protégeons nos petites filles » a été élaborée par la Délégation aux droits des femmes Ile de France (Madame Catherine Morbois) sous la houlette de Madame Marie-France Casalis avec la collaboration des associations. Elle a été étendue à la France entière par Simone Veil en 1994.
- La plaquette, plaisament illustrée, était enviée par les associations étrangères partout où des colloques étaient organisés en Europe et au-delà. Terre des Femmes l’a même reproduite pour sa propre campagne en Allemagne.
- Sans même parler des films, notamment « Le pari de Bintou » première fiction (17mns), appréciée par les mères africaines, produite et inspirée par la Cams, qui a aussi beaucoup circulé en Afrique, puis « Ce n’est pas pour aujourdhui » (5mns) film réalisé par le musicien Bafing Kul qui recueille l’opinion de l’homme de la rue à Bamako au sujet de l’excision. Edifiant mais jusqu’à présent jugé trop négatif pour faire partie des campagnes officielles ici.
Regardons les choses en face : faute d’action énergique nos jeunes seront en danger d’excision + mariage forcé (viol organisé par leurs parents), à l’occasion de vacances au pays, ou du mariage religieux ici même, livrant la gamine aux assauts de « l’époux », parfois polygame. La mineure ne peut que subir ou s’enfuir.
Comprenne qui pourra ce que veut dire : « Expérimenter sur des territoires concernés par le phénomène des mutilations sexuelles féminines la pratique consistant, au cours d’une enquête judiciaire ouverte du chef de l’article 227-24-1 du Code pénal, à avertir les parents lors de leur audition sur les risques pénaux encourus en cas de mutilation et à soumettre la jeune fille à un examen médical au retour de l’étranger ; cette pratique n’étant envisageable que si les investigations ne permettent pas de caractériser un risque certain de mutilation sexuelle féminine avant le départ de la jeune fille ».
L’article 227-24-1 du Code pénal, transposition d’une disposition de la Convention d’Istanbul, dispose que : « Le fait de faire à un mineur des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, ou d’user contre lui de pressions ou de contraintes de toute nature, afin qu’il se soumette à une mutilation sexuelle est puni, lorsque cette mutilation n’a pas été réalisée, de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Est puni des mêmes peines le fait d’inciter directement autrui, par l’un des moyens énoncés au premier alinéa, à commettre une mutilation sexuelle sur la personne d’un mineur, lorsque cette mutilation n’a pas été réalisée. » J’attends avec intérêt sa mise en application, ce qui supposerait une dénonciation par la mineure.
La réalité est toute autre : arrivée à destination en cas de départ en vacances, la jeune est attrapée par surprise et excisée de force, sans échappatoire possible, avec la complicité des parents, même à distance car ils savent très bien ce qu’il va se passer lorsqu’ils envoient ou emmènent leur fille dans la famille. Suivra le mariage déjà planifié à son insu, généralement avec un cousin, et la jeune reviendra en France pour accoucher : c’est la situation type nécessitant de la vigilance car la jeune fille retournera dans sa famille jusqu’à l’arrivée du « mari », et pourra renoncer à révéler ce qu’elle a subi pour ne pas causer de tort à ses parents.
Les parents qui refusent l’excision de leur fille ne l’envoient pas au pays (malgré le vote à l’unanimité de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant les mutilations sexuelles, le 22 décembre 2012, le travail de fond pendant des années ayant été celui des Italiens, notamment l’intrépide Emma Bonnino, et non des Français).
Pour les autres, le risque d’une gestion des allocations familiales par les services sociaux est une menace qui s’est révélée dissuasive mais d’un usage trop rare car le sujet est tabou.
Faire preuve de réalisme et de bons sens au lieu d’incantations jargonantes et creuses servirait mieux la défense de nos jeunes concitoyennes.
Linda Weil-Curiel
Avocate