C’est sous le sceau de la solidarité européenne à travers le projet d’Initiative européenne d’intervention que se déroulera le défilé du 14 juillet 2019. Réaction de Patrick Martin-Genier, essayiste, enseignant en droit public et constitutionnel.
Le 14 juillet 2019 est très européen. Ainsi sont à l’honneur cette année les neuf pays qui, avec la France, soit dix au total, ont accepté de faire partie de l’Initiative européenne d’intervention (IEI) lancée par le président de la République lors de son discours de la Sorbonne le 26 septembre 2017 (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Pays-Bas, Portugal et le Royaume-Uni).
Une initiative issue du discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron
Lors de son discours, seulement quelque mois après son élection comme président de la République, Emmanuel Macron avait proposé « d’essayer de construire cette culture en commun, en proposant une initiative européenne d’intervention visant à développer cette culture stratégique partagée. […] Au début de la prochaine décennie, l’Europe devra ainsi être dotée d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir ».
Force est de constater que le président de la République a entraîné dans son sillon un certain nombre de pays dans une initiative intéressante et prometteuse même si l’ambition reste à ce jour modeste.
L’Allemagne a fini par rallier la France par solidarité mais avec des réserves dues à sa conception limitée d’intervention sur les terrains extérieurs et l’Italie n’a pas souhaité, pour l’heure, compte tenu du contexte politique, rejoindre cette initiative.
Cette IEI est à vocation opérationnelle. Il s’agit de pouvoir, selon la France, être en situation de constituer un noyau dur susceptible de pouvoir intervenir sur des terrains extérieurs afin de faire face à une situation de crise de nature à mettre en danger les Etats participants et de façon plus générale l’Union européenne, comme elle l’a fait pour l’opération Serval au Mali.
Une ambition limitée
Il ne s’agit pas bien sûr de doubler les autres structures existantes notamment la force d’intervention rapide de l’Otan ou les unités constituées à partir des initiatives menées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne.
Il ne s’agit pas non plus de se substituer aux autres initiatives lancées par la Commission européenne dans le cadre de la coopération structurée permanente qui permet à plusieurs Etats de mener à bien des initiatives destinées à mutualiser les armements et à créer des matériels communs à au moins trois Etats. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker, a ainsi annoncé un budget de 525 millions d’euros pour les exercices 2019 et 2020 dans le cadre d’un fonds européen de défense qui devrait être doté de 13 milliards d’euros pour le budget 2021-2027. Les projets concernent l’Eurodrone par exemple qui réunit quatre pays ou des robots terrestres.
Encore une fois, l’ambition reste limitée. Il s’agit de favoriser une interaction renforcée dans quatre domaines principaux : la prospective stratégique et le partage de renseignements, l’élaboration et la planification de scénarios, le soutien aux opérations et quatrièmement les retours d’expérience et la doctrine. Des échanges d’officiers, des exercices conjoints d’anticipation et de planification, au partage de doctrines et la rédaction de scénarios conjoints d’intervention auront lieu et cette initiative n’en est qu’à ses balbutiements.
Preuve de la prudence de l’Allemagne, Ursula von der Leyen, la ministre allemande de la Défense candidate au poste de présidente de la Commission européenne, déclarait lors du lancement de cette initiative « le but est de créer un forum, avec des États qui ont la même vision, qui analyseront les situations, qui auront des discussions tôt, quand les crises se manifesteront dans une région, et qui, aussi, ensemble, pourront faire évoluer une volonté politique ».
Entre le forum allemand et la volonté française d’intervenir sur les terrains extérieurs, il y a forcément une différence fondamentale.
Une initiative hors traités de l’Union européenne
Mais là où recèle la spécificité de l’initiative européenne d’intervention est qu’elle est strictement hors traités de l’Union européenne. Ce qui peut vouloir signifier qu’Emmanuel Macron, convaincu de la nécessité d’aller de l’avant, a été d’emblée conscient qu’il ne serait pas possible d’avancer suffisamment vite dans le cadre des articles du traité sur l’Union européenne qui régissent la politique étrangère et de sécurité commune. Celle-ci est en effet très encadrée et nécessitent pour la plupart que les décisions soient prises à l’unanimité ce qui, dans le contexte actuel, est purement et simplement inenvisageable. Elle est en outre centrée sur une finalité en termes de capacités et de développement de matériels en commun avec des financements de l’Union européenne (articles 42 à 46 du traité sur l’Union européenne).
La circonstance que l’initiative lancée par la France soit en dehors des traités devrait ainsi permettre au Royaume-Uni de continuer à s’associer à la France lorsque ce pays aura quitté l’Union européenne.
L’essoufflement de la brigade franco-allemande
L’IEI intervient alors que l’élan, suscité par la brigade franco-allemande créée par François Mitterrand et Helmut Kohl en 1989 comprenant environ 6 000 hommes et qui avait été mise en vedette lors du défilé du 14 juillet 2009, commence à s’essouffler.
Malgré des interventions réussies sur des terrains extérieurs, une mission parlementaire a, en 2015, souligné les faiblesses de cette structure de moins en moins commune.
Ainsi cette brigade intervient à la demande de l’un ou l’autre des deux Etats, jamais des deux à la fois. Alors que l’objectif était de promouvoir la pratique de langues française et allemande, les militaires se parlent désormais en anglais… Enfin, les parlementaires soulignaient « le faible niveau d’interopérabilité humaine, technique et procédurale » de cette brigade.
L’IEI s’inscrit donc dans le droit fil de toutes les initiatives prises ces dernières années pour développer l’esprit de la défense européenne. Mais elle devra être confirmée dans sa volonté politique à long terme sans que soit reproché aux Etats participants de vouloir se substituer à la politique stratégique de l’Otan, ce qu’avait fustigé Donald Trump à la veille des cérémonies du 11 novembre 2018.
Patrick Martin-Genier
Essayiste spécialiste des questions européennes et internationales
Enseignant en droit public à Sciences-Po
Administrateur de l’Association Jean Monnet