Robert-Noël Castellani revient sur les parcours RN et LREM pour comprendre leur place actuelle dans les élections présidentielles.
Voici un demi-siècle naissait un nouveau mouvement politique : le « Front National, » (appellation reprise d’un mouvement de résistance communiste sous l’Occupation allemande)…
Son fondateur était un jeune « poujadiste » breton, Jean-Marie Le Pen, pupille de la nation, éminemment soucieux de remettre à l’honneur le patriotisme et les valeurs traditionnelles de la France profonde.
Les partis qui se partageaient alors le corps électoral ne manquèrent pas de faire chorus pour vilipender le nouveau venu accusé de propager des remugles du régime de Vichy, du fascisme italien et, pourquoi pas, du nazisme hitlérien.
Jusqu’à l’élection de Mitterrand en 1981, Le Pen n’obtient ça et là que des résultats dérisoires…
Mais ce Président de la République est un fin politique : Le Front national lui apparaît comme un potentiel « allié objectif ».
Pierre Bérégovoy, en 1984, vend la mèche : « la gauche est tout à fait fondée à pousser le Front national afin de rendre la droite traditionnelle inéligible » !!!
C’est ainsi que l’institution de la proportionnelle aux élections législatives permet, en 1986, l’entrée au Parlement de 35 députés FN (dont Jean-Marie Le Pen , qui se révèle au Palais-Bourbon un orateur de grande qualité).
En 1987, celui-ci est accueilli avec intérêt aux Etats-Unis où il est notamment applaudi avec enthousiasme par le Congrès Juif Mondial… Mais quelques semaines plus tard, des propos incongrus sur les chambres à gaz altèrent durablement son image dans une large partie de l’opinion.
Le retour de l’élection des députés au scrutin uninominal à deux tours sonne le glas des espoirs du Front national d’influer tant soit peu sur la politique du Pays.
Le temps passe, son leader bientôt nonagénaire n’a plus le panache du fringant lieutenant de parachutistes qui promettait à ses collègues de l’Assemblée nationale le « Mané, Thecel, Pharès du festin de Babylone »…
En 2011, il cède, à la faveur d’une apparence d’élection au sein de son parti, la présidence de celui-ci à l’une de ses filles, Marine, à l’image d’un chef d’entreprise qui assurerait familialement sa succession…
Mais sa grande fille ne lui est guère reconnaissante : elle commence par changer la raison sociale du mouvement fondé par son père.
Puis, elle le chasse ignominieusement de l’édifice politique auquel il avait consacré sa vie. Médiocre pastiche de la tragédie du roi Lear décrite par Shakespeare!
En 2017, lors de l’élection présidentielle, Marine Le Pen n’est pas loin de penser que son heure de gloire est arrivée :
le candidat de la droite, favori des sondages mais traîné dans la boue par une cabale médiatico-judiciaire, n’atteint pas le 2° tour et c’est elle qui s’y trouve opposée à un brillant énarque aux dents longues, fleuron de la Banque Rothschild, propulsé à notre magistrature suprême par les tenants du capitalisme mondialiste.
Las, le débat télévisé qui les oppose tourne à la déconfiture de l’héritière Le Pen dont ce nom de surcroît continue d’effaroucher le lobby des « bien-pensants » : même les électeurs de gauche et d’extrême gauche votent comme un seul homme pour l’ancien banquier d’affaires.
Chacun peut penser ce qu’il veut de la politique d’Emmanuel Macron, mais personne ne peut nier que l’homme soit diablement intelligent et redoutablement avisé…
Au fil des années de sa présidence, la plupart des thèmes sur lesquels surfait depuis des décennies le parti de Jean-Marie le Pen et de sa fille, sont repris « mezza voce » par ses élus, certes avec de légères variantes, et accentués à la faveur des bouleversements engendrés par l’épidémie du coronavirus :
Bientôt, patriotisme économique, réindustrialisation, lutte contre le dumping commercial engendré par le mondialisme, guerre au communautarisme et au séparatisme islamistes, enfin déploration de l’insécurité croissante dans les villes comme dans les campagnes, seront déclarés sujets prioritaires par la généralité des partis politiques, à l’instar du Président et de son actuel Premier ministre, dont l’accent savoureux fleure bon le terroir.
Dans le même temps, la présidente de l’ex-Front national a rejeté nombre des partisans chevronnés de son père qui confortaient son audience dans les territoires, pour leur substituer localement de séduisants damoiseaux, dont certains recrutés avec une légèreté difficilement compréhensible
Heureusement pour elle, un certain nombre d’élus d’anciens partis l’ont rejointe en lui apportant le sérieux qui faisait cruellement défaut aux nouveaux leaders du « Rassemblement national ».
Accessoirement, elle pense élargir l’audience de son mouvement en multipliant les « bémols » dans l’argumentaire pugnace hérité de son père…
Le premier tour des élections locales le 20 juin est marqué par une abstention massive qui en dit long sur la désaffection de l’opinion quant au lourd « millefeuille administratif » par lequel la France se singularise vis-à-vis de ses voisins européens.
Mais ce scrutin ramène sur le devant de la scène politique la plupart des « poids lourds » de la droite classique ayant fait la preuve de leurs compétences à la tête des collectivités qu’ils administraient et qui lui assurent, au plan national, près de 30% des suffrages.
Les partis de gauche ont abordé cette élection dans la division mais, associés aux écologistes, ils totalisent une proportion de suffrages à peu près égale à celle de la droite.
Corollairement, les candidats mandatés par le parti du président de la République, quand ils ne se sont pas retirés à la veille de l’élection, peinent dans bien des régions à atteindre les 10% fatidiques en deçà desquels l’accès au second tour est refusé…
Quant au « Rassemblement national » auquel les sondages promettaient au moins une région, les résultats sont loin d’être à la mesure des espoirs de Mme Le Pen : il plafonne au plan national à moins de 20%.
Le second tour de l’élection le 27 juin confirme globalement les résultats du premier…
Mais les succès des leaders de la Droite face à la fois aux candidats de LREM et du RM, aiguisent les appétits des candidats potentiels à l’élection présidentielle de l’année prochain.
Quels enseignements peut-on tirer pour l’avenir de ce scrutin ?
Ce qui est parfaitement clair d’abord, c’est l’inaptitude du parti actuellement majoritaire à l’Assemblée nationale à représenter valablement le peuple français.
De la même manière, l’échec pitoyable des ministres qui se sont évertués à endiguer tant soit peu la déconfiture des candidats de la « République en marche », pose la question de leur maintien au gouvernement.
Enfin, les résultats éminemment décevants pour Mme Le Pen des candidats du « Rassemblement national » rendent tout à fait improbable l’hypothèse d’un nouveau duel Macron /Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de l’année prochaine.
Cette élection pourrait au contraire retentir comme le « chant du cygne » du populisme lepéniste initié voici 50 ans par le patriarche de St Cloud et cela malgré toute la bonne volonté de sa fille…
Il ne faudrait pas trop le regretter :comme le notait justement André Frossard : « Il arrive que l’Histoire repasse les plats mais ce sont rarement les meilleurs ».
Est-ce à dire que M. Macron perd toutes chances d’être réélu ?
Rien n’est moins sûr : il conserve à ce jour la possibilité de dissoudre dans les semaines qui viennent l’Assemblée nationale et de faire procéder à de nouvelles élections législatives.
Au vu de leur résultat, il nommerait un Premier ministre issu du parti arrivé en tête, avec pour mission la formation d’un gouvernement d’unité nationale où ses partisans rescapés du scrutin auraient leur part…
Peut-être alors, dans la foulée, un second mandat présidentiel s’offrirait à lui !
Robert-Noël Castellani
Préfet (H)
Ecrivain