Malgré un scrutin aussi spectral que le précédent, où l’abstention a frôlé les 65%, quelques scores en apparence élevés, autant à droite qu’à gauche, et de nombreuses déconvenues, pour le parti présidentiel et le Rassemblement National, ont conduit le « vieux monde » à rêver de nouveau à des lendemains qui chantent, et à envisager l’élection présidentielle avec un optimisme inédit. Véritable renouveau politique ou bien écran de fumée ?
Un constat indéniable : la France des régions était rose et bleue en 2015 ; elle est de nouveau rose et bleue en 2021 – à l’identique. Victoire des sortants ? A première vue, oui, mais que cache-t-elle ? Un excellent bilan plébiscité par les électeurs ou une strate intermédiaire si peu intéressante et si peu influente que la majorité à sa tête, qu’elle soit rose, bleue, ou autre, importe peu ? Le taux d’abstention historique additionné à une forme de conformisme électoral type « vieux monde », caractéristique de ceux qui ont fait l’effort de se déplacer, aurait tendance à faire pencher la balance en faveur du second choix. Les responsables politiques ont, à l’inverse, voulu y voir la réussite des présidents de région, et un possible tremplin pour un scrutin national. Entrons dans le détail de ces résultats pour évaluer leur portée réelle.
Soyons clairs : Si le PS (avec ou sans alliance écolo/insoumis) s’est maintenu dans cinq régions, le cocorico de la victoire est surtout venu de la droite LR – Le Figaro titrant ce matin « à droite, cap sur la présidentielle » – orné des portraits de Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez. Sur les plateaux télévisés dimanche soir, commentateurs et responsables politiques ont tour à tour affirmé leur conviction que « les cartes sont désormais bel et bien rebattues pour 2022 », et qu’un Xavier Bertrand, voire un Laurent Wauquiez, pourrait s’immiscer dans le duel Macron/Le Pen – ce duel des deux grands perdants des régionales, dont les Français, dit-on, ne veulent pas – et le fracturer. Les scores des présidents de région LR, dit-on aussi, autorisent désormais ce type d’anticipation. Xavier Bertrand a même appelé les deux autres candidats mentionnés ci-dessus à former « une belle équipe » en vue de la présidentielle.
Qu’est-ce qui autorise Xavier Bertrand à se projeter si audacieusement au niveau national ? Son score au second tour est de 52,37%. C’est cinq points de moins qu’en 2015 où il affichait 57,77%. Par ailleurs, il perd, en six ans, près de 700 000 électeurs. Parfois, les scores affichés sont encore plus trompeurs. Pour Laurent Wauquiez, la progression semble spectaculaire : + 15 points (40,62% en 2015 ; 55,17% en 2021), mais elle cache en réalité un net recul du nombre de voix : – 240 463, dû à une abstention record : 66,5% dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Valérie Pécresse, en IDF, recule aussi fortement en nombre de bulletins, perdant 552 609 voix par rapport à 2015, ce qui rend sa progression (de 43,8% en 2015 à 45,92% en 2021) également artificielle.
Si le niveau de l’abstention ne peut pas plus cacher la déconvenue du Rassemblement national que la déroute du parti présidentiel, il masque en revanche la nature factice des victoires LR et PS (Carole Delga, en Occitanie, progresse de 12,96% par rapport à 2015, mais en réalité elle perd 210 975 voix ; Alain Rousset conserve la région Nouvelle-Aquitaine, mais perd 4,76% ainsi que 439 177 voix).
Cette abstention record ne fragilise pas seulement le processus démocratique et la légitimité des élus, elle perturbe également les analyses présentées dans les médias qui ne focalisent que sur les pourcentages de votes exprimés.
Dès lors, quand Xavier Bertrand se rêve en candidat victorieux de la droite en 2022, n’oublie-t-il pas un peu vite qu’il a été élu par 708 410 électeurs seulement, c’est-à-dire 1,48% du corps électoral français ?
Comment la France médiatique peut-elle donc se réveiller en ce lundi matin, assurée que la droite est de retour, et que le message de Xavier Bertrand dispose désormais d’une légitimité pour s’adresser, avec un succès potentiel à la clef, aux 65% d’électeurs (soit 31 millions tout de même…) qui ont boudé – disons même méprisé – ce scrutin intermédiaire ? Non pas qu’il ne soit pas en droit de le faire, mais rien ne montre à cet instant qu’une quelconque fenêtre de tir se soit ouverte. Ce serait même plutôt l’inverse. Cet enthousiasme politico-médiatique est donc difficilement compréhensible, à moins… A moins que le parti médiatique mainstream, qui avait largement choisi Emmanuel Macron comme candidat en 2017 et qui avait milité pour lui, sans le dire mais tout en le disant, multipliant les étonnements admiratifs, les remarques positives, les portraits flatteurs, les éloges dissimulés, n’ait aujourd’hui porté son choix sur son cousin germain idéologique : Xavier Bertrand – social-libéral comme lui, un tantinet d’expérience en plus, officiellement ni LR ni LREM mais officieusement un peu des deux tout de même…
Une question néanmoins : si aujourd’hui, les résultats de ce scrutin anorexique semblent justifier un tel enthousiasme, que restera-t-il du poids politique de ces régionales en octobre prochain, lorsque les sondages continueront de placer face à face, au second tour de la présidentielle, Marine Le Pen et Emmanuel Macron à 48%/52% ?
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, politologue