Le drame ignoble que représente l’assassinat de la petite Lola par un sombre échantillon de la race humaine, met une nouvelle fois en lumière le problème de la procédure de l’OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). En effet Dahbia B., la meurtrière, algérienne en situation irrégulière devait comme tant d’autres, sur la base de cette procédure, quitter notre territoire.
Mais cette horrible affaire rappelle aussi l’inconscience du législateur qui par une loi du 31/12/2012 (F. Hollande), au nom du « fondamentalisme droit de l’hommiste » cher à J.-E. Schoettl, a supprimé le délit de séjour irrégulier sur le territoire français. C’eut été là un moyen de la sanctionner, de la ficher et de faciliter son départ.
D’abord regardons un peu comment il est possible, théoriquement, d’éloigner un étranger qui a contrevenu à nos lois. Ensuite nous examinerons les difficiles données chiffrées quant à la pratique.
L’idée de base (basique diront certains purs esprits) est que lorsqu’un étranger, en situation irrégulière, a commis un délit et a fortiori un crime doit faire l’objet d’un éloignement du territoire national. Un étranger peut faire l’objet de différentes mesures administratives d’éloignement. Ces mesures sont prises en cas de séjour irrégulier, menace à l’ordre public, etc. Le juge peut aussi décider une interdiction du territoire français. Dans l’attente de son éloignement, l’étranger peut être placé en centre de rétention administrative (CRA) ou être assigné à résidence. Tous ces termes nous les entendons à longueur de journée depuis quelques années déjà. Plus ça va et moins ils sont respectés.
Le schéma de l’OQTF
La décision d’éloignement ou d’obligation de quitter le territoire français est prise par le préfet, notamment en cas de refus de délivrance de titre de séjour ou de séjour irrégulier. Ex : situation d’un étranger qui ne possède pas les documents l’autorisant à rester en France en France.
Cela oblige la personne visée à quitter la France par ses propres moyens dans un délai de 30 jours.
La notion de départ volontaire implique que la personne doit s’organiser en vue de son départ. Mais en principe il faut partir absolument avant le délai fixé afin que la décision d’éloignement soit exécutée. Dans des situations limitées, elle peut aussi être obligée à quitter la France sans délai. Cela implique de partir du territoire dans les 48 heures à partir de la notification de la décision. Via les associations (ex : Cimade, Gisti) toujours promptes à agir (et donc à nourrir aussi le désordre) un recours est possible. Précisons que, pour « faciliter » la tâche des pouvoirs publics ce recours est en principe suspensif…. En France les procédures administratives mais aussi pénales sont résolument au soutien des mis en cause. Ou, pour clairement parler, des délinquants et des criminels. Les droits de la défense sont l’alpha et l’oméga de notre système judiciaire. Les droits des victimes sont des parents pauvres de notre justice (et il y a du vécu de praticien dans ce que nous exposons ici).
Trois catégories de personnes sont visées par une OQTF sans délai :
- celle qui est une menace pour l’ordre public
- celle qui fait l’objet d’un refus de délivrance ou de renouvellement de votre titre de séjour pour fraude ou en raison du caractère manifestement infondé de votre demande
- celle qui risque de prendre la fuite
Il n’est d’autre solution que de quitter le territoire national par ses propres moyens.
Il existe des situations où l’administration ne peut prononcer d’OQTF (mineur, femme enceinte….). Elles sont (généreusement) prévues par le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile (CESEDA). D’autres règles s’appliquent à l’OQTF prononcée contre un étranger ressortissant de pays de l’UE.
A noter qu’en cas de demande d’asile, la personne ne peut pas être éloignée avant la décision définitive sur sa demande. Toutefois, elle pourra être éloignée si l’attestation de demande d’asile lui a été refusée, retirée ou n’a pas été renouvelée.
La décision d’OQTF est donc prise par le préfet, qui doit la motiver et fixer le pays de renvoi. Elle est remise à la préfecture ou par la police. La personne en cause peut, dans les meilleurs délais, avertir un avocat, le consulat du pays d’origine ou une personne de son choix.
Elle peut prendre connaissance des principaux éléments de son dossier auprès de la préfecture. On le sait peu mais il n’est en principe pas possible d’effectuer les démarches dans certaines sous-préfectures. Il faut aller sur le site internet de la préfecture de rattachement.
Quid du départ ? Si au bout de 48 heures la personne n’est pas partie par ses propres moyens, elle peut être placée en centre de rétention ou assigné à résidence. Le préfet notifie alors une Interdiction de Retour en France (IRTF). C’est l’administration française qui organise alors le départ.
La personne est éloignée à destination d’un des pays suivants et c’est souvent là que le bât blesse :
- pays d’origine (sauf si la vie ou la liberté y sont menacées ou si elle est exposée à la torture, à des peines ou traitements inhumains ou dégradants). On doit le dire, la tueuse de Lola préfèrera mille fois la prison française, où une mauvaise gestion de son OQTF (sous-entendu c’est aussi de la faute de l’Etat si on en est arrivé là…) aux geôles algériennes souvent moyenâgeuses.
- dernier pays qui a délivré un document de voyage en cours de validité
- autre pays dans lequel elle est légalement admise.
Bien entendu au pays de Rousseau et d’Hugo, on a droit à un recours. Deux même. L’un contre l’OQTF en elle-même. L’autre contre toutes les mesures annexes suivantes : refus de titre de séjour (parce que la personne estime pouvoir être régularisée, IRTF), décision fixant le pays de renvoi (par exemple, si un risque est estimé dans ce pays).
Quant au tribunal compétent il s’agit du tribunal administratif de la préfecture qui a pris la décision d’éloignement. Si la personne est en rétention ou assignée à résidence, le recours doit être déposé auprès du tribunal administratif dont dépend le lieu de rétention ou d’assignation. Là encore ce sont la plupart du temps les avocats, toujours zélés, des associations humanitaires qui vont œuvrer. Le recours est jugé en urgence par un juge unique, dans un délai de 96 heures.
Bien sûr, si elle est déboutée, la personne peut faire appel. Toutefois, l’appel ne suspend pas l’exécution de l’OQTF. Elle peut donc être renvoyée dans son pays même si le juge d’appel ne s’est pas encore prononcé. Le délai d’appel est de un mois à partir de la notification à la personne visée.
Cet appel doit être déposé devant la cour administrative d’appel (CAA) dont dépend le tribunal qui a rendu la décision.
Ensuite de deux choses l’une. Soit la CAA confirme la décision du TA d’une OQTF. Cette dernière peut alors être exécutée. Soit elle l’annule. Dans le premier cas, l’Etat ne doit pas crier victoire trop vite car la personne visée peut saisir le Conseil d’Etat (CE). Attention toutefois car le ministère d’avocat y est obligatoire et les honoraires d’un avocat au CE sont libres et oscillent entre 6 000 et 10 000 euros selon la complexité de l’affaire !
Ces considérations théoriques étant posées, attachons-nous à présent à quelques réalités chiffrées et pratiques.
Quelques réalités chiffrées de l’OQTF
On a écouté des dizaines de fois l’argument suivant : si sa meurtrière avait quitté le territoire français comme il lui était enjoint, la petite Lola serait encore là. C’est basique, populiste, facile à dire, … C’est pourtant la cruelle et implacable vérité. On ne peut que rejoindre Bruno Retailleau lorsqu’il opine « le désordre migratoire peut tuer. Si cette Algérienne n’avait pas été sur le territoire français. Lola serait encore en vie ». Donc si les services de l’Etat avaient fait leur office…. Alors oui, il nous parait légitime de faire le procès en « laxisme migratoire » du gouvernement Borne. Mais aussi du chef de l’Etat qui depuis 2017, eu égard à l’Algérie (terre natale de la tueuse) a tenu des discours aussi inconséquents que changeants. Et qui ont le plus souvent desservi nos intérêts (y compris énergétiques). Preuve en est son dernier déplacement (idem pour celui d’E. Borne). Il est des interlocuteurs avec lesquels il ne faut rien lâcher, ne montrer aucune faiblesse. Même en raison d’une histoire contrastée. La seule repentance française qui se justifiait pleinement est celle qu’exprima Jacques Chirac le 14 juillet 1995 au Vel d’Hiv.
Le mercredi 19 octobre dernier, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a reconnu que l’exécutif devait « faire mieux » en matière d’exécution des OQTF. Cette lucidité vous honore monsieur le ministre (dont le sort est pendant devant la Cour de Justice de la République). Il est nécessaire de se référer aux chiffres publiés par la Direction Centrale de la Police Aux Frontières (DCPAF) mis en lumière dans le récent rapport d’une mission d’information du Sénat intitulé : « Services de l’État et immigration : retrouver sens et efficacité ».
Ces dernières années, le nombre d’OQTF prononcées et exécutées ne cesse de croitre. 59 998 pour 10 016 exécutées en 2011 (16,7 %).
122 839 pour 15 013 exécutés en 2019 (12,2 %). Sur 8 ans, le pourcentage est moindre mais le volume est plus important (publicsenat.fr ; senat.fr). C’est d’ailleurs ce que notent les sénateurs en pointant « un effet ciseau » dans la politique d’éloignement française. Ce qui signifie en langage clair : « Le nombre de mesures prononcées augmente continuellement sans que le volume d’exécution ne suive ». Il apparait que l’Etat est défaillant depuis quelques années en matière d’exécution des OQTF. Le tableau figurant sur le site sénatorial montre qu’en 3 ans les choses se sont fortement aggravées. 2019 : 122 839 OQTF prononcées, 15 013 exécutées = 12,20 % ; 2020 : 107 488 prononcées, 7 376 exécutées = 6,9 % ; 2021 : 61 781 prononcées, 3 501 exécutées = 5,7 %.
En réalité, si l’on prend l’ensemble du quinquennat d’Emmanuel Macron, une OQTF sur dix a été exécutée en moyenne (on alla jusqu’à 4 sous N.Sarkozy).
Olivier Véran a aussi indiqué que le niveau d’exécution des OQTF était revenu au « niveau maximal connu du temps du quinquennat du président Sarkozy ». Sur les trois premiers trimestres 2022, 3 596 éloignements forcés ont eu lieu vers des pays non-Européens. A titre de comparaison, sur l’ensemble de l’année 2009, on dénombrait 8 253 retours forcés vers des pays non-Européens. On nous annonce, sous la houlette de G. Darmanin, une nouvelle loi en 2023 qui devrait aider à résoudre les problèmes. Ce ne pourra être qu’un énième pis-aller. En effet l’essentiel repose sur la souveraineté des pays qui pourraient accueillir. Et dans ce domaine, il n’y a que la volonté desdits pays qui prime. S’ils ne veulent rien savoir, on ne peut rien. A part quelques discussions diplomatiques et quelques marchandages (OQTF contre quelques visas par ex).
Il faut insister ici sur un élément fondamental très méconnu jusqu’ici. Si l’exécution des OQTF baisse c’est en raison du refus de certains Etats, notamment au Maghreb (Algérie en tête) de délivrer les laissez-passer consulaires indispensables pour les retours contraints, de décisions judiciaires défavorables à l’exécution des OQTF et la saturation du dispositif de rétention administrative (on manque de centres de rétention).
En cas de menace pour l’ordre public, un étranger en situation irrégulière, ou sortant de prison, peut être placé en centre de rétention administrative en vue d’une mesure d’éloignement forcée. Ce n’était pas le cas de la principale suspecte du meurtre de Lola qui, assez étonnamment, n’était pas connue des services de police.
Il reste qu’en moyenne neuf OQTF sur dix ne sont pas exécutées. Les raisons d’un tel échec sont nombreuses. D’abord, une raison structurelle, à savoir l’indisponibilité dans les centres de rétention (CRA). Il faut en construire vite (ou réhabiliter certains bâtiments comme des casernes par ex). Dans un rapport parlementaire qui remonte à 2015, deux députés estimaient même que le “non-placement en centre de rétention administrative”, notamment en cas “d’indisponibilité avérée dans les centres”, était la cause principale de ce phénomène.
S’ajoute une raison diplomatique, qui se révèle être le refus des autorités du pays d’origine de récupérer leurs ressortissants (notamment les pays du Maghreb).
La Commission des lois explique que “la faiblesse des taux d’exécution des mesures d’éloignement a des causes structurelles largement documentées, au premier rang desquelles le problème de la délivrance des laissez-passer consulaires”, ces documents indispensables pour renvoyer un étranger en situation irrégulière de la France. Les pays d’origine peuvent bien entendu aller jusqu’à “alourdir les conditions matérielles de mise en œuvre du processus en refusant, par exemple, le recours à des vols groupés”. À titre d’exemple, l’Algérie et le Maroc refusent les vols groupés. Résultat : entre janvier et juillet 2021, d’après les données du gouvernement diffusées en septembre, la France avait prononcé 7 731 obligations de quitter le territoire vers l’Algérie. Mais seulement 22 personnes ont réellement été expulsées. Soit à peine 0,2 % de taux d’exécution de ces OQTF. S’il n’y a pas là une volonté de nuire aux intérêts du pays « colon » qui a commis « un crime contre l’humanité » (E. Macron, février 2017), c’est à n’y plus rien comprendre…. Un sentiment de repentance, injustifié, nous mène aussi à ce drame, Monsieur le Président…
Au moment de conclure nous souhaitons nous questionner sur le rôle des services qui « espionnent » les réseaux sociaux. Deux jours avant de commettre ce crime atroce, Dahbia B. s’amusait sur TikTok à se mettre en scène (notamment dans le hall de l’immeuble de la petite victime). Passe encore. Beaucoup plus troublant, le dernier compte auquel elle s’est abonnée est consacré aux affaires criminelles. Et plus grave encore, dans la partie « description » de son profil figurent plusieurs symboles : un tigre, un drapeau noir, une tête de mort et le sigle « DZ », qui fait référence à la prononciation du mot Algérie en arabe algérien. Les premiers signes d’une radicalisation à venir ?… Même en cellule ça n’est pas inenvisageable, vu ce qui s’y passe depuis quelques années. En tout état de cause, il apparait que l’univers carcéral réserve à ce genre de criminel des moments assez infernaux au détour de douches ou de promenades. La sécurité 100 % n’existe pas. Et l’insécurité peut même s’y organiser dit-on et rendre la vie impossible. En 2006 un certain nombre de détenus de la prison de Clairvaux, condamnés à perpétuité, avaient réclamé la peine de mort pour fuir ce qu’ils vivaient.
Il convient désormais de laisser la justice suivre son cours, objective mais surtout inflexible, et d’espérer qu’elle permette aux parents du martyre de trouver un peu d’apaisement. Et rappeler à ceux qui nous gouvernent que « gouverner, c’est suivre les nécessités et s’en remettre aux compétences » (Alain).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités