Ce 28 juillet 2021 ne représentait pas n’importe quelle date dans l’histoire du Pérou, c’était l’anniversaire du bicentenaire de l’Indépendance du Pérou. Sur fond de COVID19 et d’une situation post-électorale confuse, cette date événement était aussi marquée par l’investiture du nouveau président Pedro Castillo. La société péruvienne est polarisée, entre une volonté de changement mais aussi une conservation des traditions qui font la richesse du pays.
Après 43 jours de tergiversations, le juré national des élections a annoncé Pedro Castillo comme vainqueur de l’élection présidentielle quelques jours avant le 28 juillet, date de l’investiture. Entre joie et colère, les Péruviens sont partagés après ces résultats. Lors du deuxième tour des élections péruviennes le 6 juin dernier, le candidat de gauche, Pedro Castillo est arrivé en tête de l’élection avec 50,12 % des voix contre 49,87 % pour Keiko Fujimori, soit environ 45 000 voix d’écart. La participation a atteint 74,5 % selon les autorités électorales dans ce pays où le vote est obligatoire.
Keiko Fujimori, candidate du parti Fuerza Popular, qui est dans le collimateur de la justice pour une affaire de corruption avec la société Odebrecht, avait dénoncé des fraudes et avait demandé l’invalidation de plusieurs dizaines de milliers de bulletins. Malgré les multiples recours, la mission d’observation électorale de l’Organisation des États américains (OEA) n’a pas constaté de « graves irrégularités », tout comme la commission en charge des élections.
Une société polarisée, entre inquiétudes et doutes
De part et d’autre, la contestation était présente dans les rues des grandes villes du Pérou comme Lima, Arequipa ou encore Cusco. En juin, des centaines de militaires en retraite, soutien de la candidate de droite Keiko Fujimori, ont manifesté à Lima pour dénoncer des « fraudes » présumées lors du second tour de la présidentielle au Pérou. De leur côté, les partisans de Pedro Castillo avaient manifesté leur mécontentement à Lima mais aussi à Chota, fief de Pedro Castillo. Cette incompréhension générale, qui a été accentuée par les déclarations des politiques péruviens prenant partie pour Keiko Fujimori ou Pedro Castillo, a pris fin un mois et demi après le deuxième tour des élections.
Une situation assez inédite pour des élections présidentielles.
Pour Zuliana Lainez, vice-présidente de la fédération internationale des journalistes, la situation politique au Pérou est inquiétante. Cette dernière dénonce des pressions contre les journalistes. « Plus de trois semaines après le scrutin, il n’y avait toujours pas les résultats officiels. Je crois que cette actualité démontre quelque chose de la société péruvienne aujourd’hui. Quand nous observons les pressions contre les journalistes au moment du scrutin, on peut se poser des questions. Il n’est pas possible d’avoir des pressions politiques quand on est journaliste. Notre rôle c’est de garantir une neutralité et d’informer. »
Après son élection, Pedro Castillo a fait l’objet de nombreuses attaques concernant son plan pour relancer l’économie notamment après la nomination de Guido Bellido, membre de l’aile radicale du parti Pérou Libre, à la présidence du Conseil des ministres (également appelé premier ministre). Par ailleurs, la monnaie péruvienne a connu une chute face au dollar enregistrant sa plus forte baisse sur une journée depuis plus de sept ans. Si le nouveau président a montré des choix politiques plus radicaux sur certains aspects, il devra aussi faire face à l’économie informelle qui gangrène le pays depuis des années. On considère que plus de 70% des Péruviens vivent de l’économie informelle, notamment le secteur minier. Afin de trouver des nouvelles finances, Pedro Castillo souhaite instaurer un système de partage des revenus miniers pour investir dans l’éducation et la santé, mais aussi pour répondre à la crise sociale.
Un changement de politique, signe d’espérance ?
Au mois de juin, certains analystes évoquaient la génération du bicentenaire, une jeune génération qui souhaite un changement politique et social. Une ligne de lecture peut être simpliste de la situation pour évoquer une jeunesse désireuse d’un renouveau politique, mais c’est bien plus complexe. La jeunesse péruvienne fait également partie de ces abstentionnistes. Une chose est sûre, le vote des campagnes a énormément compté pour ce deuxième tour des élections. En effet, on observe un vrai décalage entre le vote des provinces notamment la selva (la jungle) et la sierra (la montagne). La volonté d’une réforme de l’agriculture portée par Pedro Castillo a séduit des milliers de villages andins. Le nouveau président novice en politique, connu lors des grèves pour la revalorisation du salaire des enseignants en 2017, souhaite également changer la Constitution actuelle promulguée en 1993 par l’ex-président Alberto Fujimori. « Le peuple décidera », a-t-il promis à ce sujet. Le chef d’Etat péruvien, qui trouve la Constitution actuelle trop libérale, déposera prochainement un projet de réforme au Parlement.
L’ancien instituteur et syndicaliste a promis de « faire un gouvernement de tous les Péruviens, de tous les sangs, sans aucune discrimination, sans regarder de travers les indigènes, les frères afro-péruviens ».
Pour la politologue Maria José Zorrillas, doctorante à l’IHEAL (Institut des hautes études de l’Amérique latine), « la politique envers les indigènes a compté dans ce scrutin. Pedro Castillo a beaucoup insisté sur ce point. Il a créé une sorte de consensus dans certaines zones reculées du Pérou. Je crois que le changement s’effectue à ce niveau-là ». « Une enquête diffusée avant les élections montrait que le fujimorisme est en perte de vitesse. Certains ont voté pour Keiko Fujimori car ils sont anti-communistes. On ne peut pas parler de la fin du fujimorisme comme doctrine, car on a encore des candidats qui appuient ses idées et une présence au Congrès. On peut éventuellement dire que c’est la fin de la famille Fujimori », ajoute la politologue. « Il y a deux postures. La première vision peut paraître pessimiste. Il y a un refus de la politique de ceux qui ne sentent pas intégrés par les élites de Lima. La deuxième vision avec de l’espérance parce que Castillo n’est pas un politique comme les précédents. Les communautés ont désormais une voix qui les représente », conclut Maria José Zorrillas.
Pedro Castillo aura la dure tâche de relancer l’économie d’un pays très impacté par la pandémie de la COVID19. Le Pérou, troisième pays d’Amérique Latine le plus impacté en nombre de cas et décès, a enregistré une chute de 11,12 % de son PIB l’an dernier. Il y a une vraie nécessité de réformer certains secteurs comme le travail ou l’éducation. Le nouveau président du Pérou risque de se heurter à un congrès qui refuse les réformes qu’il veut mettre en place.
Une nouvelle géopolitique pour le Pérou ?
Lors de la cérémonie d’investiture, auxquelles étaient conviées différentes personnalités du monde ibérique et latino-américain comme le roi d’Espagne, Felipe VI, Evo Morales, ancien président de l’Etat Plurinational de Bolivie, Ivan Duque, président de Colombie, Luis Arce, président de l’Etat Plurinational de Bolivie, Jorge Arreaza, ministre des Affaires Etrangères du Venezuela ou encore Alberto Fernandez, président d’Argentine, Pedro Castillo a expliqué vouloir changer la cap de la politique sans pour autant copier un modèle existant. Ce dernier souhaite revoir les différents partenaires commerciaux et économiques du Pérou. Cette nouvelle tendance géopolitique, impulsée sur les réseaux sociaux avec des publications orientées idéologiquement, laisse penser à un rapprochement entre le Pérou et la Chine mais également avec les pays de l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques, dont font partie Cuba et le Venezuela. « Je rejette catégoriquement l’idée que nous allons importer des modèles d’autres pays. Nous ne sommes pas des chavistes (du nom de l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez, ndlr), nous ne sommes pas des communistes, nous ne sommes pas des extrémistes, encore moins des terroristes », a affirmé Pedro Castillo en marge de son investiture. A quels changements faut-il s’attendre dans les prochains mois ? D’une part, le gouvernement de Castillo ne devrait plus prendre part aux discussions entamées avec le groupe de Lima concernant la reconnaissance de Juan Guaido comme président par intérim du Venezuela. Le pays andin pourrait connaître un rapprochement au niveau régional avec des pays proche des idées de Castillo comme le Venezuela, l’Argentine et la Bolivie.
Bien que les coopérations internationales et régionales puissent connaître certains changements, Pedro Castillo a expliqué vouloir se concentrer sur la politique nationale. Il faut rappeler que le Congrès élu en juin dernier reste toujours fragmenté. Le parti du président Pedro Castillo ne compte que 37 sièges sur les 130 qui composent le Congrès. Les relations entre le pouvoir exécutif et les congressistes risque donc d’être compliqué ; c’était déjà le cas avec l’ancien président Pedro Pablo Kuczynski ou encore Martin Vizcarra. Ce dernier avait notamment dissous le parlement acquis à la cause de Keiko Fujimori. Malgré la multitude de défis qui l’attendent, Pedro Castillo tentera dans ce mandat de cinq ans de redorer le blason d’une présidence rongée par les affaires de corruption.
Guillaume Asskari
Journaliste et producteur
Spécialiste de l’Amérique Latine