Vendredi saint pour les chrétiens, au lendemain de l’annonce de nouvelles mesures pour lutter contre la pandémie qui endeuille la planète entière, la France retient son souffle, partagée entre l’espérance propre à la période du renouveau à la sortie de l’hiver, et la crainte de ne pas gagner la course engagée contre la troisième vague. Une fois de plus, c’est dans le courage et l’abnégation, l’empathie et l’appel à la solidarité de millions de nos concitoyens, qu’il faudra trouver les ressources pour lutter contre le fléau universel de l’heure présente.
Dans les allées d’un petit marché breton, gonflé par l’arrivée de ceux qui ont la chance de pouvoir échapper à l’étau des restrictions dans les métropoles du pays, sans malheureusement mesurer assez leur privilège face à tous ceux qui n’ont pas la chance de posséder une résidence secondaire, ou de la famille pour recueillir ces réfugiés d’un exode du “monde nouveau”. Télétravail et fins de mois préservées, les conversations reflètent tous les débats de l’heure; les égoïsmes de ceux qui se croient tout face à ceux qui ne sont rien; les difficultés du quotidien générées par le manque d’anticipation criant de ceux qui ont à décider; en bref, un résumé de toutes les failles d’une société qui avait perdu le souvenir des épreuves, et qui s’est éloignée peu à peu du bon sens et de la résilience propre aux générations précédentes, celles qui ont surmonté les épreuves de deux guerres mondiales et bâti la France d’aujourd’hui…
La fermeture temporaire des écoles, l’incompréhension de l’organisation des campagnes de vaccination, seule lueur dans ce tunnel dont la sortie semble s’éloigner au fur et à mesure des mois qui passent, et la grogne devant les contraintes imposées pour limiter la montée des courbes –commentées souvent de manière biaisée par des experts dont le visage a supplanté sur les écrans les icônes médiatiques traditionnelles– forment le fond des conversations et livrent la température de l’opinion publique. Une opinion qui hésite entre espoir et colère, comme un ciel incertain à l’intersaison, et qui aspire à des messages plus clairs et moins contradictoires de la part de ceux qui tiennent temporairement la barre du navire…
Un fait divers isolé, caractéristique des limites et de l’absurdité des réglementations qui plombent la société française, est commenté par la marchande de volailles du marché, qui échange ses informations avec une de ses clientes, laquelle devra cesser son activité dans les jours à venir parce qu’elle n’est pas considérée comme essentielle : le licenciement d’une caissière dans une grande enseigne populaire a Strasbourg, pour avoir effectué un achat dans le magasin où depuis plusieurs mois elle a contribué en deuxième ligne au maintien du fonctionnement quotidien, pendant sa pause (au demeurant l’achat d’un aliment pour nourrir sa famille !). C’est bien sûr un sentiment d’injustice qui suscite l’indignation de la marchande et de sa cliente, sur ce marché bien loin de Strasbourg, mais c’est aussi un témoignage d’empathie pour le mal d’autrui, qui n’est pas un songe pour ces deux femmes solidaires de cette caissière, victime d’une réglementation absurde. En d’autres temps ou sous d’autres latitudes, ce genre d’étincelle aurait pu suffire à déclencher une révolution…
Pour anecdotique qu’il soit, ce fait divers mérite d’être relevé à un moment où des êtres expriment leur lassitude devant les gestes barrières cruciaux si l’on veut gagner le combat contre le virus, où des apprentis sorciers en politique allument des polémiques stériles et absurdes, en bafouant les règles de l’universalisme tout en rejetant les fondamentaux de la règle républicaine en vigueur dans notre pays, fragilisé par une longue année de crise sanitaire…
Toutes les religions, toutes les fois, toutes les croyances, en cet après-midi de la passion du Christ célébrée dans beaucoup de cités du monde, méritent notre attention pour autant qu’elles contribuent au respect de l’humanité dans toutes ses composantes, et au triomphe de la vie sur la mort et la nuit. Par ces temps de sacrifices et de contraintes, la charité et la bonne volonté doivent nous aider à surmonter les épreuves qui nous renvoient tout à la fois à l’humilité de notre condition humaine, et à notre incroyable force dans l’adversité qui a forgé notre identité au fil des siècles, en ce beau pays de France…
Eric Cerf-Mayer