Les élections européennes semblent se suivre et se ressembler. Alors que l’Europe prend une place de plus en plus importante dans la vie quotidienne des citoyens de l’Union européenne, le scrutin européen ne semble pas vraiment intéresser les électeurs. On tourne encore cette année autour de 42 % de participation. Analyse de Patrick Martin-Genier, spécialiste des questions européennes et internationales, enseignant en droit public à Sciences-Po, administrateur de l’Association Jean Monnet.
Quel niveau de participation ?
En sera-t-il de même cette année ? Nous sommes dans une situation paradoxale : si l’Europe ne semble pas mobiliser les électeurs, tout concorde cette année à faire de ce scrutin en France un scrutin aux enjeux nationaux très forts : la crise de « gilets jaunes », le grand débat national, la crise inédite de la Ve République, les drames subis par la Nation (incendie de Notre-Dame, les morts de soldats français sur des théâtres extérieurs), la volonté des principales têtes de liste de faire de ce scrutin un « référendum anti-Macron », sont autant d’évènements qui pourraient favoriser la participation, mais sur une thématique essentiellement nationale.
Au final, les électeurs risquent d’être déçus au lendemain des élections.
En effet, les soixante-quatorze députés français qui siègeront dans cette institution, ne seront qu’une partie des 751 députés qui seront élus (les Britanniques seront encore là). Une fois arrivés dans l’hémicyclique européen, il s’agira, d’une part, de s’intégrer dans un groupe politique et, d’autre part, de faire preuve d’humilité en acceptant les différences de culture politique qui font que les votes y sont toujours des compromis entre les différentes sensibilités politiques et nationales.
La montée des votes extrêmes
Mais surtout, les enjeux européens sont cette année très importants.
L’Europe connaît une crise majeure avec la montée de ce qu’il convient d’appeler le « populisme » ou le « nationalisme », courant au sein duquel on trouve des sensibilités diverses dont le point commun, le ciment qui les unit, est la thématique anti-migratoire qui fait largement la place à la xénophobie et au racisme, voire à l’antisémitisme comme en Hongrie.
Par ailleurs l’extrême-droite est au pouvoir, la plupart du temps, en coalition avec des partis de droite « classique », dans plusieurs pays européens, comme en Italie et en Autriche. Ailleurs, comme en Pologne ou en Hongrie, les dirigeants conservateurs développent des thématiques xénophobes et réactionnaires et mènent des politiques aux antipodes des valeurs de l’Union européenne, tout en attaquant les fondements mêmes de l’Etat de droit comme l’indépendance de la justice et celle de la presse.
Cette droite n’a pas l’intention de s’arrêter là. Elle va porter son « combat » sur la scène européenne et qu’on le veuille ou non, au lendemain du 26 mai, la configuration sera bien celle annoncée par Emmanuel Macron : les partis progressistes et modérés feront face aux forces nationalistes et populistes d’extrême-droite qui ont bien l’intention de marquer des points en termes de pouvoirs au sein des institutions européennes.
Une bataille pour le pouvoir à Bruxelles
Cette mouvance, à supposer qu’elle réussisse à s’unir au Parlement européen, pourrait devenir la troisième force parlementaire.
Elle pourrait alors occuper des postes stratégiques au sein du Parlement européen.
Mais aussi, plusieurs pays enverront à la Commission européenne des responsables politiques qui appartiendront à leur propre mouvance politique souvent aux antipodes des valeurs de l’Union européenne. Le Parlement, qui devra investir le collège dans son entier, aura là aussi un rôle essentiel à jouer.
Par ailleurs, les postes de président de la Commission européenne, président du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, de haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, sont renouvelables. Les mêmes pays entendent bien faire entrer leur voix.
Enfin les politiques européennes pourraient aussi subir les effets d’une montée de l’extrême-droite au Parlement. Une telle configuration obligera bien sûr les grands groupes politiques qui vont toutefois sortir affaiblis du scrutin (parti populaire européen, les sociaux démocrates) à rechercher des compromis avec les groupes charnières (les verts, l’alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe qui devrait accueillir les parlementaires de la République en marche) à faire preuve de pragmatisme pour travailler de commun face à cette nouvelle donne politique.
Patrick Martin-Genier
Essayiste spécialiste des questions européennes et internationales
Enseignant en droit public à Sciences-Po
Administrateur de l’Association Jean Monnet