2020 se ressemble avec 2022 au Pérou. C’est un véritable chaos politique que le Pérou est en train de vivre depuis plusieurs mois dans une société très impactée par l’inflation économique. Ce mercredi 7 décembre, le président Pedro Castillo a été destitué par le Congrès avant d’être arrêté par la police. Dina Boluarte, jusqu’alors vice-présidente de la République, va assumer la présidence par intérim jusqu’à la convocation d’une nouvelle élection. Une situation qui semble loin de s’améliorer dans les prochains mois dans ce pays très fréquenté par les touristes du monde entier.
1 an, 4 mois et 2 jours. C’est la durée du mandat de Pedro Castillo à la tête du Pérou. Ce professeur provincial, novice dans la politique, élu démocratiquement en 2020, est dans le viseur de la justice depuis le début de son mandat. Le 7 décembre, le Congrès péruvien a voté pour la motion de destitution pour « incapacité morale permanente ».
La destitution de M. Castillo a ainsi été approuvée par 101 congressistes sur 130. Pedro Castillo avait déjà échappé à deux motions, la dernière remonte au mois de mars.
Il s’agissait alors de la sixième motion de destitution du Parlement péruvien pour «incapacité morale» contre un président en exercice depuis 2017, après Pedro Pablo Kuczynski en 2018 et Martin Vizcarra en 2020. Une motion qui laisse un goût amer à des milliers de péruviens qui ont soutenu Pedro Castillo.
Avant le vote en faveur de sa destitution, dans une allocution télévisée, Pedro Castillo avait annoncé la dissolution « temporaire » du Congrès, l’établissement d’un « gouvernement d’urgence exceptionnel », et l’établissement « dans les plus brefs délais » d’un Congrès constituant.
Accusé d’usurpation et d’abuser des pouvoirs, le président destitué a été arrêté par la police alors qu’il se rendait à l’ambassade du Mexique à Lima pour se réfugier. Pedro Castillo est mis en incarcération provisoire et poursuivi pour « rébellion et conspiration ».
L’ancien président du Pérou, le « chotano syndicaliste » comme on le dénomme, paye un attentisme politique et des difficultés à maintenir un gouvernement stable. Dans cette dernière allocution, Pedro Castillo a véritablement joué l’une de ses dernières cartes politique en espérant avoir le soutien des forces armées et des institutions. Dans ce cas, la police et les forces politiques du pays n’ont majoritairement pas soutenu ce que certains ont qualifié comme « coup d’état constitutionnel » ou encore « une atteinte à la démocratie ». Et pourtant, c’est une situation qui peut être comparée au 5 avril 1992 quand Alberto Fujimori a dissous le Congrès car les parlementaires ne votaient pas les lois. Encore une fois, l’époque n’est pas la même, le peuple avait une confiance avec Alberto Fujimori qui a lutté contre le groupe terroriste Sentier Lumineux. Il est important de rappeler qu’il pouvait s’appuyer sur un soutien populaire de la part de la police national mais aussi du système médiatique acquis à sa faveur.
Autre fait important ces derniers mois : le parti de l’ancien président, Peru Libre, n’a pas réussi à convaincre lors des dernières élections municipales et régionales organisées en octobre. Le parti qui a conduit Pedro Castillo à la présidence du Pérou a échoué dans les 16 juridictions où il aspirait aux élections régionales. Affaibli politiquement et avec très peu de relais dans les régions du Pérou, Pedro Castillo a changé 5 fois de gouvernement depuis le début de son mandat faisant face à des démissions des ministres et à un isolement au sein de son parti. Beaucoup de personnes qui ont voté pour lui ont été déçu par le manque d’actions.
Des polémiques en permanence et des inégalités profondes
Le Pérou est un pays qui n’a pas véritablement tourné la page du fujimorisme et de son fonctionnement. Le Congrès est majoritairement à droite avec des parlementaires issus de Fuerza Popular, parti d’Alberto Fujimori. Depuis l’élection de Pedro Pablo Kuckynski en 2017, le Congrès est sous le feu des projecteurs, pointé du doigt par les gouvernements pour faire barrage aux lois qui doivent être votées. En 17 mois, Pedro Castillo est lui mis en cause dans six enquêtes différentes pour corruption et trafic d’influence. Parmi les accusations, la justice met en avant une entrave à la justice dans le cadre du limogeage du ministre de l’Intérieur (qui avait autorisé l’arrestation de certains de ses alliés), trafic d’influence dans des affaires de promotions militaires ou d’achat d’essence, corruption dans des concessions de travaux publics, ainsi que pour plagiat de sa thèse universitaire.
Pour le moment, l’immunité présidentielle ne permet pas de prononcer un jugement contre lui. Une situation qui devrait changer dans les prochains mois.
Depuis 7 ans, le Pérou n’a pas réussi à trouver une issu politique pour faire des réformes en profondeur sur les sujets qui touchent les péruviens notamment la politique en matière agricole ou en matière d’éducation. La pandémie du COVID19 a été une véritable bombe sociale à retardement. L’accès aux soins est une priorité dans un pays de plus en plus divisé entre ses campagnes et les grandes villes qui se situent sur la côte. Il est révélateur de la fracture sociale qui existe depuis des années entre les différentes régions du pays. Concernant l’emploi, le taux de chômage est reparti à la hausse au sortir de la pandémie notamment car l’afflux touristique mondial et régional n’est pas le même qu’avant COVID19. Outre la lutte contre la corruption et des besoins de nouvelles infrastructures, une grande partie du pays fonctionne avec une économie informelle. Point positif, le pays a pu compter sur un retour lent mais progressif des touristes du monde entier pour visiter le Machu Picchu.
Une nouvelle présidente pour relancer un pays à l’arrêt
Dîna Boluarte, c’est le nom de la nouvelle présidente du Pérou, ancienne vice-présidente. Elle est également la première femme péruvienne à occuper le poste de chef d’Etat. Cette avocate de 60 ans aura la dure tâche de reprendre un mandat très compliqué sans grande avancée concrète.
L’objectif principal c’est retrouver un dialogue politique et une stabilité sociale, ce qui est compliqué depuis plus de 10 ans tant la polarisation est forte entre la gauche incarnée par la classe ouvrière et la droite incarnée par les fujimoristes.
Sur le papier, on pourrait dire que la société évolue et se modernise avec une femme à la tête du pays. Cependant, dans une configuration politique très polarisée, il est très difficile de prévoir des mesures qui puissent convenir à l’ensemble de la classe politique. C’est l’un des principaux défis pour sortir le pays d’une crise permanente avec une population relativement jeune. Parmi les mesures phares que le président voulait mettre en place, une Constituante avec une participation de la société civile à l’écriture des nouvelles lois. Pedro Castillo, mis en avant pour être un des nouveau visage de cette Amérique Latine, disposait d’un soutien très faible au sein de son propre parti ces derniers mois. Face à l’instabilité politique structurelle de son gouvernement, le président s’était confronté à un Congrès majoritairement conservateurs refusant les demandes de la présidence de sortir du pays pour se rendre à des réunions internationales.
Avant une crise politique, le Pérou connaît une crise sociale profonde qui dure et s’aggrave chaque année.
Depuis le mois de mars, des manifestations ont lieu en raison de l’augmentation des prix des produits alimentaires, du carburant et des engrais, les secteurs liés au transports. L’usage de la force de la police avait été pointé du doigt par l’ONG Amnesty International. Des manifestations qui continuent après sa destitution, poussant la nouvelle présidente à déclarer l’état d’urgence et avancer les élections générales (Présidentielle et législatives) au mois d’avril 2022.
Guillaume Asskari
Journaliste, producteur
Spécialisé sur l’Amérique Latine