La généralisation de la transmission informatique et la pratique de l’ouverture des données ont paradoxalement abouti à un appauvrissement des résultats électoraux. Dès qu’ils sont disponibles, c’est-à-dire de plus en plus rapidement, ceux-ci sont mis en ligne par le ministère de l’Intérieur. Les médias les récupèrent aussitôt afin de façonner infographies et cartes électorales. De belles réalisations colorées et immédiatement accessibles. Avec néanmoins un défaut : les chiffres officiels ne sont quasiment plus retravaillés1.
C’est pour pallier cette lacune que cet article a pour objet de détailler, tout au moins partiellement, les scores du premier tour des élections législatives des 11 et 18 juin 20172. Notre travail a consisté à vérifier et affiner les nuances du ministère de l’Intérieur sur la base des informations collectées auprès des partis (consultation des sites internet ou sollicitation directe), de la liste fournie par les partis ou groupements politiques en vue de bénéficier de la première fraction du financement public, des professions de foi ou autres publications des candidats ainsi que de l’examen des médias, en particulier locaux3. Pour chaque famille politique étudiée, nous présenterons le nombre de candidats, les voix récoltées au premier tour, les sièges obtenus à l’issue des deux tours de scrutin puis le ou les groupes parlementaires choisis.
La majorité présidentielle
Deux nuances du ministère de l’Intérieur renvoient à la majorité présidentielle au sens strict : La République en marche (REM) et MoDem (MDM). La République en marche est en réalité le label commun du parti « En marche ! », lancé en avril 2016 par Emmanuel Macron, et du MoDem de François Bayrou. Depuis, « En marche ! » a conservé cette dénomination pour ses groupes parlementaires4. La République en marche a investi 530 candidats5 et apporte son soutien à la ministre des Outre-mer Annick Girardin (PRG-Cap sur l’avenir). Parmi eux se trouvent quelques membres du PRG et de formations qui avaient soutenu Emmanuel Macron à la présidentielle : Le Parti écologiste de François de Rugy (ex-EELV), le Mouvement des progressistes de Robert Hue, CAP21-Le Rassemblement citoyen de Corinne Lepage et Génération citoyens de Jean-Marie Cavada.
Au sens large, la majorité présidentielle inclut également l’Alliance centriste de Jean Arthuis et Philippe Folliot (composante de l’UDI exclue en raison de son soutien à Emmanuel Macron) ainsi que plusieurs partis locaux en Corse ou dans les outre-mer (tableau 1).
Tableau 1 – La majorité présidentielle
Enfin, dans les 46 circonscriptions sans investiture La République en marche, certains candidats LR, UDI, PS ou PRG se revendiquaient également de la majorité présidentielle. La confusion a atteint son comble dans la 18e circonscription de Paris, où concurrents PS (l’ex-ministre Myriam El Khomri) et LR-UDI (Pierre-Yves Bournazel, élu) s’en réclamaient tous deux.
La droite
Quatre nuances du ministère de l’Intérieur correspondent à la droite : Union des Démocrates et Indépendants (UDI), Les Républicains (LR), divers droite (DVD) et Debout la France (DLF) de Nicolas Dupont-Aignan, sorti des divers droite depuis les élections régionales de décembre 2015.
Les deux principaux partis de droite, LR et l’UDI, ont signé en mars 2017 un accord pour les législatives. Au final, l’union LR-UDI a présenté 533 candidatures uniques (436 LR et apparentés, 94 UDI et apparentés, 3 divers droite) et organisé ou subi 41 primaires de premier tour (tableau 2).
Tableau 2 – Les candidats investis ou soutenus par LR et l’UDI
L’absence d’investiture LR-UDI dans trois circonscriptions s’explique par plusieurs raisons : le retrait d’un UDI au profit d’un REM (Hautes-Pyrénées 1ère) ; un soutien LR au président du Parti chrétien-démocrate (10e circonscription des Yvelines)6 ; une absence, enfin, à Saint-Pierre-et-Miquelon où la droite est représentée par le parti local Archipel demain.
Outre LR et l’UDI, d’autres partis classables à droite présentaient un nombre significatif de candidats (tableau 3).
Tableau 3 – Les principales forces de droite hors LR-UDI
La gauche
Cinq nuances du ministère de l’Intérieur visent à délimiter la gauche : Parti communiste français (COM), La France insoumise (FI), Parti socialiste (SOC), Parti radical de gauche (RDG) et divers gauche (DVG).
La grille dressée pour les législatives de 2017 ne comporte en revanche plus de catégorie spécifique pour le parti Europe Écologie-Les Verts (EELV, ex-Verts), qui se retrouve comme avant 2002 noyé dans une catégorie Écologiste (ECO). Il s’agit sans doute du choix le plus dommageable effectué : même en considérant que son poids électoral ne mériterait plus une case propre, il eut été politiquement plus pertinent de placer EELV parmi les divers gauche (DVG).
La victoire de Benoît Hamon – et non de Manuel Valls – à la primaire PS n’a plus permis de séparer clairement gauche de gouvernement (courant majoritaire du PS, PRG, UDE) et gauche critique (courant minoritaire du PS, Nouvelle Donne, EELV, PCF, La France insoumise).
Comme nous l’avons effectué pour la majorité présidentielle, détaillons successivement les candidats soutenus par le PS, la France insoumise et le PCF (tableaux 4, 5 et 6).
Tableau 4 – Les candidats investis ou soutenus par le PS
Tableau 5 – Les candidats investis par la France insoumise
Tableau 6 – Les candidats investis ou soutenus par le PCF
Les 67 circonscriptions où le PS est directement ou indirectement absent témoignent souvent de la perturbation provoquée par le phénomène « Macron », issu du centre gauche. Dans 13 d’entre elles, le candidat PS initialement investi est en effet directement devenu celui de La République en marche (et, dans deux, son suppléant).
D’autres partis de gauche alignaient un nombre significatif de candidats. Le PS a d’ailleurs conclu des accords électoraux avec EELV (après le retrait de Yannick Jadot et le soutien à Benoît Hamon pour la présidentielle), le PRG, l’UDE7 et le MCR (ex-chevènementistes) (tableau 7).
Tableau 7 – Les autres principales forces de gauche
À noter que des membres de certaines de ces formations ont été élus sous l’étiquette La République en marche : selon nos pointages, cinq PRG, deux Mouvement des progressistes et quatre Le Parti écologiste.
L’extrême droite
Le ministère de l’Intérieur distingue les classes Front national (FN) et extrême droite (EXD), ce qui permet au premier de récuser le second qualificatif. En fait, le bureau des élections extrait un parti d’une grande catégorie lorsque celui-ci atteint un certain poids électoral. C’est-à-dire, pour le FN, depuis les législatives de 1986 à la représentation proportionnelle8. La nuance extrême droite hors FN devrait donc plutôt s’intituler « divers extrême droite » et non « extrême droite », sur le modèle des « divers gauche » et des « divers droite »9.
L’offre d’extrême droite se compose essentiellement du FN et du regroupement Union des patriotes, qui incarne en quelque sorte le lepénisme « canal historique » en réconciliant Jean-Marie Le Pen et Carl Lang (tableau 8).
Tableau 8 – L’extrême droite
L’extrême gauche
La nuance extrême gauche (EXG) se compose essentiellement de Lutte ouvrière et du Parti ouvrier indépendant démocratique. Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou ne tient en revanche plus la comparaison (selon nos archives, 314 candidats en 2012 contre seulement 27 en 2017) (tableau 9).
Tableau 9 – L’extrême gauche
Le reste de l’offre politique
Une des principales critiques de la grille des nuances du ministère de l’Intérieur est qu’elle amalgame partis (PCF/COM, FI, PS/SOC, PRG/RDG, REM, MoDem/MDM, UDI, LR, DLF, FN), positionnements politiques (EXG, DVG, DVD, EXD) et, surtout, deux familles idéologiques : les écologistes et les régionalistes.
Or, ceux-ci peuvent potentiellement être ventilés sur tout l’échiquier politique, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Pour ceux qui ne peuvent pas l’être, les classes Écologiste (ECO) et Régionaliste (REG) devraient donc être des sous-classes de la catégorie Divers (DIV).
Ce scrutin a été marqué par la victoire de trois régionalistes corses, soutenus par la fédération Régions et peuples solidaires (tableau 10).
Tableau 10 – Les régionalistes soutenus par Régions et peuples solidaires
En dehors des régionalistes, plusieurs mouvements, en particulier écologistes et dits « citoyens », présentaient un nombre significatif de candidats ou ont fait parler d’eux (partis musulmans) (tableau 11).
Tableau 11 – Le reste de l’offre électorale
Plaidoyer pour la centralisation
Le choix d’agréger l’offre politique en grandes catégories rend les statistiques électorales françaises parmi les plus imprécises des démocraties. Le mode de scrutin uninominal complique certes l’agrégation des candidats, mais la législation sur le financement des partis ou groupements politiques, d’abord basée sur les voix obtenues au premier tour des élections législatives, pourrait permettre au ministère de l’Intérieur d’affiner les résultats qu’il diffuse.
Autre difficulté : si l’identité française jacobine est souvent brocardée comme étant inadaptée au XXIe siècle, la déconcentration aux préfectures de l’attribution des nuances politiques aboutit à ce que quasiment aucun parti n’ait l’ensemble de ses champions étiquetés de la même façon10. Ce qui rend malheureusement les données du ministère de l’Intérieur non seulement imprécises, mais également erronées.
Laurent de Boissieu
Journaliste à La Croix, fondateur du site Internet france-politique.fr
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- À la seule exception, à notre connaissance, du Monde, mais loin du degré de précision des « dossiers et documents » d’antan. ↩
- L’ensemble des résultats détaillés seront accessibles parallèlement à la publication de cet article à l’adresse Internet suivante : https://www.france-politique.fr/elections-legislatives-2017.htm#RESD. ↩
- Voir également notre article « Élections départementales 2015 : la valse des étiquettes et la vérité des chiffres », Revue Politique et Parlementaire, avril-juin 2015. Pour les législatives, nous avons ainsi vérifié une à une les étiquettes de 7 452 candidats sur 7 877. ↩
- Le nom officiel du parti n’est toutefois ni « En marche ! » ni La République en marche, mais Association pour le renouvellement de la vie politique. ↩
- Nous intégrons François-Michel Lambert, dont l’investiture a été suspendue puis reconfirmée, ainsi que Pierre Cabaré, dont l’investiture a été suspendue en raison d’une ancienne condamnation à une peine d’inéligibilité. ↩
- L’UDI n’a soutenu aucun candidat, le sien étant devenu le suppléant de la candidate REM ex-LR juppéiste (Aurore Bergé, élue). ↩
- Créé par des dissidents du MoDem et d’EELV. ↩
- En s’en tenant aux résultats du ministère de l’Intérieur, il n’est donc pas possible de connaître précisément le score du FN aux législatives de 1973, 1978 et 1981. ↩
- De même qu’il devrait logiquement et politiquement exister une nuance « divers centre ». ↩
- Y compris le FN, dont l’isolement électoral facilite pourtant le repérage des candidats : Francis Nadizi, candidat dans la 1ère circonscription de Corse-du-Sud et secrétaire territorial, est étiqueté divers extrême droite et non FN. ↩