Le paléoanthropologue Pascal Picq analyse dans ce livre les rapports entre les hommes politiques, les grands singes et les robots et porte un regard scientifique sur le monde politique en général.
En quoi les singes et les grands singes appelés à disparaître peuvent-ils nous instruire sur notre monde de plus en plus urbanisé ? Comment l’homme, qui a éliminé les grands singes et créé les robots, va-t-il gérer ces nouvelles intelligences pour sa propre évolution sociale ? « Ma réponse d’éthnologue et de paléoanthropologue est qu’il nous faut d’abord comprendre les intelligences naturelles qui accompagnent notre évolution, à savoir celle des singes et des grands singes. Sinon nous serons les esclaves des robots » écrit Pascal Picq.
L’auteur nous entraîne à la découverte des différentes espèces qui ont inventé des réponses adaptatives pour des questions qui sont au cœur des grandes mutations actuelles que ce soit le rapport à l’économie, à la redistribution, à la gouvernance, à l’écologie… Il interpelle nos systèmes politiques et quelques unes de nos personnalités politiques rappelant la crise anthropologique majeure qui avait déjà été anticipée il y a cinquante ans par Pierre Boulle, auteur notamment de « La Planète des singes », mais qui s’accélère grandement.
Il explore les origines très lointaines de la politique que nous partageons selon lui avec nos frères d’évolution, les chimpanzés, « l’autre animal politique au sens d’Aristote ». « Le niveau des débats politiques a énormément baissé ces dernières années. Or, à partir du moment où le discours n’est plus porteur de programme, d’espérance, il ne reste plus que le comportement. Et si on fait de la politique sans le langage, on revient chez les chimpanzés, chez qui on observe beaucoup de traits liés à la politique – luttes d’influence, coalitions, trahisons – mais où l’on retrouve également beaucoup de figures, comme celle du fourbe, du magnanime ou du tyran… Plus profondément, je voulais aussi toucher aux grandes questions induites par la politique : la domination, le partage, la solidarité, l’échange, l’ éducation… Et dans la mesure où les singes sont bien plus humains que nous ne l’imaginons, nous avons beaucoup à gagner à mieux les connaître » écrit Pascal Picq.
L’auteur détaille enfin la vague du numérique, la robotisation, l’intelligence artificielle, les objets connectés, tout ce qu’on appelle l’ubérisation qui bouscule dans ses fondements nos sociétés dont les valeurs reposent sur le travail, le salariat, la production de biens, de richesses et des services, et les différentes formes décidées par nos choix politiques. « Nous sommes face à une situation inédite depuis l’époque des Lumières puisque tout change, mais sans vision de progrès, sans construction idéologique capable de s’opposer au retour des fondamentalismes de toutes obédiences » souligne-Pascal Picq. Le danger n’est pas celui des robots, comme dans Terminator, c’est le fait que nous allons nous engager dans une paresse intellectuelle et physique. « Les robots ne vont pas prendre le pouvoir, mais si, en raison de la facilité apportée par l’intelligence artificielle, nous cessons d’être actifs physiquement et intellectuellement, nous allons nous mettre nous-mêmes en état d’esclavagisme, de dépendance. C’est ce que La Boétie appelle la servitude volontaire. » martèle Pascal Picq. Si on laisse les robots prendre trop de place, si on s’installe dans la paresse physique et intellectuelle, alors on se prépare un monde dans lequel on va à notre perte explicite-t-il. « Ce ne sont pas les robots qui vont prendre le pouvoir, comme les singes dans le roman, c’est nous qui allons le leur donner. Passivement. »
Cet ouvrage étayé scientifiquement est agrémenté par l’humour de l’auteur qui fait passer imperceptiblement des messages appropriés. Un livre captivant et délectable.
Pascal Picq
Odile Jacob, 2017
330 p. – 22,90 €