Pour Jean-Michel Claverie, la décision récente qui restreint l’utilisation du Plaquenil aux malades en « état grave » (c’est-à-dire en pleine pneumonie) est l’illustration parfaite de l’absurdité des demi-mesures politiques guidées par la volonté de ne déplaire ni aux uns (le corps médical majoritairement contre, si on en croit ses collègues qui se succèdent à la télé), ni aux autres (le grand public qui vote avec ses pieds devant l’IHU de Marseille).
Si l’hydroxychloroquine est aussi efficace chez les malades qu’elle l’est in vitro pour inhiber la multiplication virale, c’est bien sûr le plus tôt possible après l’infection qu’il faut l’administrer pour enrayer l’évolution vers la pneumonie, pas quand il sera trop tard. Quand on a une pneumonie (toujours grave, quel qu’en soit la cause), on meurt du fait que ses poumons sont abimés et ne fonctionnent plus. Ce n’est pas à cause de la présence du virus qui en a déclenché la destruction. Essayer de le détruire à ce stade, est inutile.
N’autoriser l’hydroxychloroquine que dans les cas graves ou désespérés, c’est peut-être le meilleur moyen de conclure (éventuellement à tort) à sa non-efficacité.
En tant que scientifique, virologiste, mais non médecin, l’attitude conservatrice des grands patrons de médecine, « attendons les résultats d’études mieux conçues et de plus grande ampleur » me surprend. Alors que j’ai toujours pensé que le rôle de la médecine était d’abord de soigner des patients, sans toujours bien savoir comment « ça marche » (le rôle du scientifique), nous voyons maintenant le corps médical officiel le plus médiatisé se réfugier derrière les délais que lui imposerait une approche scientifique. La Science devient ici la justification de la perte généralisé du goût du risque, figé dans le principe de précaution qui inhibe désormais toute velléité d’innovation, et plus encore la recherche fondamentale qui, à chaque instant, risque de nous faire découvrir des choses… que nous n’avions pas prévu.
Mais rien n’est plus faux : la démarche scientifique, comme en convient l’épistémologie moderne, c’est par essence le risque de voir chaque jour s’écrouler des certitudes du passé.
Ce n’est pas une assurance sur l’avenir.
Mais revenons à l’épidémie du Covid-19 et au débat sur la chloroquine. Nous avons sous les yeux une étude préliminaire critiquable, faite dans l’urgence (un principe d’habitude louable) sur un faible nombre de patients. Néanmoins, les effets mesurés sont parfaitement significatifs (c’est-à-dire qu’ils ont une faible probabilité d’être dues au hasard des fluctuations). L’administration du Plaquenil peut donc être généralisée dès aujourd’hui, avec un risque mineur d’effet secondaire. En face, on annonce une étude européenne « scientifique » (Discovery), testant 3 200 patients, dont 800 en France, dont les résultats sont annoncés pour dans six à huit semaines. Probablement sous la pression de l’opinion publique, cette étude a incorporé le Plaquenil, mais sans l’associer à l’azithromycine, un antibiotique classique qui semble en augmenter les effets.
Maintenant un petit calcul « scientifique » : pendant les six semaines à venir, on déplorera 21 000 morts en Italie, et 8 400 en France, au rythme actuel.
Dans l’arène médiatique qui oppose désormais les partisans de la « rigueur scientifique », le gouvernement, et l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, la plus grande prise de risque n’est peut-être pas du côté de ceux qui en ont perdu le goût…
Jean-Michel Claverie
PU/PH Emerite Aix-Marseille Université/APHM
Biostatistique/génomique
Institut de Microbiologie de la Méditerranée (AMU-CNRS)