Il existe évidemment de mauvaises purifications comme la « purification ethnique », il en existe au contraire de bonnes comme la « purification civique (voir mon intervention sur BFMTV le 2 mars dernier). Notre société – et cela depuis maintenant plusieurs décennies -, se trouve en pleine « déconfiture morale ».
Élevé dans l’esprit de l’excellence, tant à la maison qu’à l’école, dans la beauté de la langue, grâce à des professeurs dévoués et portés par un civisme constant, je ne supporte ni la médiocrité ni la vulgarité – lesquelles règnent aujourd’hui en maître jusqu’au plus haut sommet de l’État. Bien sûr, je m’astreins le plus possible à ne commettre ni l’une ni l’autre. Une chose est sûre, quand l’exemple ne vient plus d’en-haut (et c’est le cas), les portes sont alors grandes ouvertes à la bassesse et aux calomnies. Élevé également dans la foi catholique (mais cette foi aurait pu être tout autant juive ou musulmane, tant il est vrai qu’il n’y a qu’un seul Dieu), je crois à la purification des hommes, autrement dit à leurs progrès.
Je n’ai à cet égard aucun goût ni pour la laïcité, dès lors qu’elle devient intolérance, ni pour le blasphème dès lors qu’il se veut « le blasphème pour le blasphème » c’est-à-dire qu’il n’est plus que signe de médiocrité et la marque extrême de la vulgarité.
La société française s’enfonce de plus en plus dans le chaos ; les insultes fusent de tous côtés. Dans les cours de récré (dès l’école primaire voire maternelle), dans les bureaux, publics ou privés, dans les stades (en tribune ou sur le terrain), dans les gymnases, dans les transports, sur les routes, jusque dans les enceintes parlementaires, ce ne sont qu’invectives, injures, menaces (de plus en plus, menaces de mort). On se souvient du « Casse-toi, pauvre con » du président Nicolas Sarkozy (premier personnage de l’État) ou, plus récemment, du « Qu’il ferme sa gueule » du président du Sénat (deuxième personnage de l’État) à l’adresse de Jean-Luc Mélenchon. Plus banal désormais, il y a le « fils de pute » qui a remplacé le « sale con » d’antan.
A côté de ces violences verbales, nommées jadis « incivilités », se développent, parallèlement ou concurremment, les violences physiques que l’on trouve désormais à chaque coin de rue. Il y a quelques jours encore un sexagénaire juif était violemment agressé dans le 20ème arrondissement de Paris et l’on apprend ce matin, 4 mars, qu’un chauffeur de car de 67 ans, toujours à Paris, est accusé de viols sur des adolescentes handicapées. Car aux violences physiques s’ajoutent désormais les violences sexuelles dont le mouvement #metoo a révélé l’ampleur sur les femmes et les jeunes filles.
Bref, sur les « simples citoyens » comme sur les élus de la République (maires de plus en plus), ce ne sont plus que bordées d’injures et coups assénés.
Sur les réponses à ces violences, deux camps s’opposent : celui qui baisse les bras et dit qu’il n’y a plus rien à faire et celui qui au contraire les lève (avec arme au poing) et estime qu’il faut redoubler de fermeté envers les auteurs de violences. Le choix serait ainsi entre le renoncement et l’escalade – les deux camps agissant au nom des « valeurs de la République » qu’il faudrait, pour l’un et l’autre camps, rétablir au plus vite.
Mais qu’est-ce que la République ? Le cadre politique de l’action sociale.
C’est donc cette dernière qui importe d’abord. Ce sont les valeurs sociales du « vivre-ensemble » qu’il faut relever en premier lieu car si la République n’est pas en danger (la Vème peut-être), le corps social est, lui, menacé de désintégration donc de disparition. Ces valeurs se nomment respect (de l’autre), tolérance, bienveillance, gentillesse (pourquoi pas ?), dialogue dans le calme et l’acceptation des différences. Or que voit-on aujourd’hui ? Des rapports de forces installés partout et dès le plus jeune âge. Dans l’affaire récente du lycée Maurice Ravel du 20ème arrondissement de Paris, il semble bien qu’il y ait eu de part et d’autre (proviseur, élève refusant de retirer son voile) des malfaçons langagières et peut-être physiques. S’il y a eu commandement du proviseur, sous la forme (sèche peut-être) d’un : « Enlève ton voile » ou « Enlevez votre voile », il y a manifestement erreur de langage et de ton. Il semble que nombre de collègues de ce proviseur soient dans le même esprit que lui et tiennent le même langage. Ainsi lors de la manifestation des chefs d’établissement parisiens, place de la Sorbonne, le 4 mars, une proviseure s’est insurgée contre ces élèves qui ne souhaitent pas « obtempérer ».
Mot-lapsus ? Nous aimerions le croire. Mais la logique du commandement, au nom de la hiérarchie, semble bien installée.
Les textes de l’Éducation nationale sont pourtant clairs. A une élève qui refuse d’enlever son voile, il faut expliquer la règle du retrait pour la convaincre d’agir en ce sens. Ainsi, eut été plus adéquate une formulation du proviseur du genre : « Je comprends mademoiselle votre attachement au voile, mais, vous le savez comme moi, il y a une loi qui en interdit le port dans nos écoles. C’est ainsi, nous devons, vous comme moi, respecter ce texte. Aidez-moi dans cette obligation ». C’est plus long mais c’est le langage qui sied mieux en toute démocratie (régime fondé sur la persuasion des citoyens).
J’en appelle donc aujourd’hui à une « purification civique » ou à un « réarmement moral » selon un terme que j’avais utilisé en 2013, ou à un « réarmement civique » pour reprendre l’expression du président Macron.
Car, redisons-le, si les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité manquent assurément d’efficience, les valeurs sociales manquent, elles, à présent, d’existence. Leur rétablissement devient donc une urgence absolue.
Il est temps en effet d’entreprendre un combat massif pour assainir les esprits et pacifier, partout, les esprits, ceux des petits comme des grands. Alors par exemple, plutôt que de s’entêter à vouloir établir, pour la seule classe d’âge des 15-15 ans, un Service national universel (qui n’a donc rien d’universel), pourquoi ne pas instaurer progressivement, sur le modèle suisse, un Service civique national de six mois, à répartir sur toute la durée d’une vie pour les 15-50 ans ?
Pour le reste, développons le principe de « discussions morales » (hebdomadaires ou mensuelles) dans tous les lieux de l’activité sociale : familles, écoles, lieux de travail, lieux sportifs et culturels, etc.
Nul citoyen, jeune ou adulte, ne doit pouvoir échapper à l’indispensable re-moralisation, à retrouver la voie de la « civilisation des mœurs » (Norbert Elias).
Retrouvons également le goût de la langue française dans sa beauté éternelle, en réapprenant l’orthographe et la grammaire, en réétudiant les mots qui permettent l’expression des pensées. Redécouvrons les grands auteurs, et pas seulement ceux des Droits de l’Homme. Relisons Bossuet, Voltaire, Ernest Renan… La « résilience » (pour reprendre ce mot affreux ») du passé, au nom d’une modernité, ici dégradée et donc dégradante, est une absurdité. Retrouvons la « politesse des mots » qui doit précéder à nouveau la « politesse du cœur » (mais les deux forment un beau couple, j’en conviens).
Michel FIZE,
Sociologue, politologue
Auteur de « De l’abîme à l’espoir » (Mimésis, 2021)