Après Édouard Philippe ou LFI, François Fillon à son tour réclame la démission du président de la République, « pour ne pas faire perdre dix-huit mois au pays ». Il est vrai que le bilan d’Emmanuel Macron est largement négatif. Pour autant, le pays aurait plus à perdre qu’à gagner à précipiter l’échéance présidentielle.
François Fillon a raison. Le président de la République « n’a pas été élu sur un projet mais sur un rejet ». L’ancien candidat à la présidentielle a encore raison quand il précise que ce rejet est « l’une des raisons du blocage politique dans lequel le pays est plongé ».
Coincé entre l’aile gauche et l’aile droite de ses soutiens qu’il n’a pas su agréger autour d’un projet clair, Emmanuel Macron est réduit à l’immobilisme depuis la crise des gilets jaunes. Toute action marquée froisse une partie des siens et le conduit à renoncer. Le seul ciment du macronisme est celui qui unit les briques de sa maison pour se protéger de ceux qui refusent de s’y abriter. Le rejet est le moteur de son action puisqu’il est la source de son élection.
Que le rejet d’un candidat en passe de l’emporter à la présidentielle mobilise les abstentionnistes ou les réticents, cela n’a rien de nouveau, mais l’élection de Jacques Chirac face à Jean-Marie Le Pen en 2002 a marqué un tournant : pour être élu président de la République, il faut parvenir au second tour face à un Le Pen, le rejet de l’extrême droite fait le reste.
Quinze ans plus tard, Emmanuel Macron a exploité le filon. Si François Fillon a chuté, ce n’est sans doute pas à cause d’un programme qu’il n’a pas eu le temps de développer, mais parce que l’affaire des costumes a suscité le rejet de sa personnalité. A l’inverse, Emmanuel Macron n’a pas gagné parce qu’il défendait un projet précis (la politique de l’offre qu’il a menée ensuite par exemple), mais par un non-programme revendiqué, le « en même temps », et le rejet de « l’ancien monde ». Une fois arrivé au second tour, le rejet de Marine Le Pen a fait le reste. La technique est si efficace que le président sortant l’a reprise en 2022. Aucune campagne électorale, aucune défense du moindre programme, aucune vision tranchée de l’action de l’État (quels impôts, quelles dépenses, quelles priorités ?) sauf le rejet du RN.
La même méthode appliquée aux européennes de 2019 avait pourtant montré ses limites. La liste de Jordan Bardella était arrivée en tête de justesse. Cela n’a pas empêché Emmanuel Macron de s’obstiner dans la même erreur aux européennes de 2024, avec un résultat désastreux et la dissolution qui a suivi avec la même technique du rejet. De fait, le parti de Marine Le Pen n’a pas obtenu la majorité absolue à l’Assemblée, mais les troupes macronistes sont au tapis, et cette brève campagne électorale n’a pas permis d’aborder les véritables enjeux et les véritables alternatives en lice.
Pourtant le clivage droite gauche réapparait clairement aujourd’hui dans le cadre du débat budgétaire. Aux extrêmes, LFI et le RN s’appuient encore sur le réflexe protestataire du rejet du président. Mais les partis du socle macroniste, LR, le PS, les écologistes voire les communistes s’efforcent de défendre leur vision de la société. Elles sont opposées. Cependant, la nécessité d’adopter un budget, impératif auquel sont sensibles ces partis de gouvernement, brouille leurs efforts de différenciations. Il est alors tentant d’accuser celui qui est à l’origine de cette confusion générale c’est-à-dire Emmanuel Macron. Non seulement il en a davantage tiré profit en étant élu et réélu à l’Élysée et il continue d’entretenir cette confusion dangereuse. Par l’intermédiaire de son Premier ministre, Sébastien Lecornu, la responsabilité des incohérences du Budget est renvoyée sur les parlementaires.
Droite comme gauche souhaitent sortir de ce magma d’immobilisme et de renoncements. C’est souhaitable. Mais une présidentielle anticipée permettrait-elle de trancher entre deux visions de la société ? Est-il possible de projeter les électeurs dans un projet cohérent en 35 jours ? En 40 jours dans le cas d’une dissolution ? Comment prioriser les besoins du pays sans tomber dans la caricature ou les déclarations de bonnes intentions ? Aucune formation politique ne dispose à ce jour d’un projet économique et social abouti. Pas même le RN qui réclame une dissolution mais se garde bien de s’impliquer dans le débat budgétaire. Dans ce cadre, un scrutin précipité conduirait aux mêmes pratiques : favoriser le rejet des concurrents pour être seul face au RN, avec le risque d’être perdant. Soit au second tour parce que le rejet du RN ne fonctionnerait plus. Soit après l’élection, parce que faute d’adhésion à un projet clair, le vainqueur serait réduit à la même impuissance qu’Emmanuel Macron.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste












