A priori, l’on pensera que le métier de sociologue ne dispose pas à l’analyse psychologique. Il est vrai que le sociologue préfère les grandes notions – qu’il appelle volontiers « concepts » -, comme pouvoir, travail, religion, famille, culture, etc., aux plus petites notions, comme dirigeant, ouvrier, enseignant, etc. C’est une erreur. Le sociologue a vocation à appréhender la réalité sociale, aussi dans sa dimension humaine. Toute socio-analyse est en même temps une psycho-analyse. C’est à celle de M. Macron à laquelle je me suis livré dans mon dernier ouvrage.
Qui est donc Emmanuel Macron ? Sa personnalité, nous semble-t-il, dépasse sa fonction. Voici un personnage fort singulier qui, par exemple, ne se reconnait aucune vraie filiation : ni intellectuelle (malgré sa prétendue proximité avec Paul Ricoeur), ni familiale (en raison surtout de sa distance avec son père). Cet homme ne semble donc s’inscrire (ou vouloir s’inscrire) dans aucune généalogie. Il se serait en quelque sorte « auto-engendré » – ce qui naturellement flatte son ego. Me revient alors à l’esprit ce propos de Nietzsche : « Ceux-là sont mes ennemis qui veulent renverser, et non pas se créer eux-mêmes ». L’on comprend ainsi l’aversion du président de la République pour ses opposants majeurs à savoir Marine Le Pen/Jordan Bardella et Jean-Luc Mélenchon qui rejettent sa politique et veulent (le) renverser, sans (pense-t-il) créer eux-mêmes quelque chose qui soit crédible et/ou ne soit pas dangereux pour le pays (pense-t-il encore).
D’une manière générale, M. Macron n’aime pas qui n’est pas lui, et s’il va vers les autres (des autres qu’il choisit ou fait sélectionner par ses équipes), ce n’est pas avec le vrai désir d’entrer en communication avec eux, de s’exposer à leur critique.
On le sait, aller vers l’autre, c’est accepter de sortir (un peu) de soi-même, et Emmanuel Macron n’a pas cette force : il est « submergé par lui-même », pour reprendre un mot de Kafka, tourne en permanence autour de sa personne. Rappelons qu’à l’ère de l’individualisme, il est normal que l’autre ne nous intéresse pas vraiment – sauf s’il nous apporte du plaisir. L’autre est ainsi « chosifié ». En ce sens, Emmanuel Macron est à l’image de ce temps égotique.
Pensant avoir raison sur tous et sur tout, M. Macron n’admet jamais commettre d’erreurs et, même si ici ou là, il adresse (s’adresse ?) quelques mea culpa, ceux-ci manquent toujours de sincérité. Cet homme est en somme très indulgent avec lui-même, ce qui n’est pas sans nous rappeler ces vers de la fable La Besace de Jean de la Fontaine : « Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes ». En réalité, pour reprendre un propos d’Alain : « Qui peut méconnaître dans l’esprit de domination un mécontentement de soi ? ». Nous voici peut-être au plus près de cette « volonté de puissance » qui, si l’on en croit Alfred Adler, exprimerait avant tout « un sentiment d’infériorité ». M. Macron sur le registre supériorité-infériorité, pourquoi pas ?
M. Macron est assurément un être hybride, mi-adulte mi – « gamin ». Nombre de ses comportements sont effectivement d’une totale nature infantile. Souvenez-vous notamment de ses accolades sans fin aux médaillés des JO de Paris, puis de ses sautillements, lors de la Parade des champions, aux côtés d’athlètes … en fauteuil roulant ! Nombre d’autres conduites sont au contraire – fort heureusement – pleinement adultes. Sont-ce pour autant des conduites intelligentes ?
On prête à Emmanuel Macron beaucoup d’intelligence. A-t-on raison d’affirmer cela ? Si l’on définit l’intelligence comme la capacité à créer des liens (inter-ligare) ou à s’adapter à des situations (quelles qu’elles soient), l’on peut raisonnablement en douter.
Emmanuel Macron ne s’adapte à aucun événement ; il essaie d’adapter l’événement à sa propre personne – ce qui, en politique, n’est, naturellement, qu’un leurre, un irréalisme, ni plus ni moins.
Donc pas de réelle intelligence chez cet homme pourtant « capable ». Songeons ici à ce propos du philosophe Henri Bergson : « Un être intelligent, disait-il, porte en soi de quoi se dépasser lui-même ; et il faut user de l’intelligence pour dépasser l’intelligence » (L’Evolution créatrice). M. Macron n’a pas cette capacité de dépassement. Il n’arrive pas à partager avec les autres membres de la société la signification qu’ils donnent, tous ensemble, au monde social. On pourrait donc parler chez M. Macron d’un « défaut d’intégration sociale ».
Poursuivons. Emmanuel Macron, qui aime être le premier en tout, est aussi le premier « mégalothymiaque » de France. Le Président est avide de reconnaissance, comme tout narcissique ordinaire. Hegel disait à ce sujet que toute conscience (de soi) est désir d’être reconnue et saluée comme telle par les autres consciences. On pourrait parler avec Freud d’un narcissisme primaire, légitime, qui est conforté par autrui. Ce sont en effet les autres qui nous créent et nous permettent de dépasser notre condition animale. Toute relation est aussi et d’abord acte de reconnaissance (Phénoménologie de l’esprit). M. Macron veut être admiré, aimé même. Aurait-il oublié l’avertissement de Pascal : « Il est faux, écrivait ce dernier, que nous soyons dignes que les autres nous aiment. Il est injuste que nous le voulions » ?
La mégalothymia est un narcissisme déviant, outré. Pour qu’il y ait cependant comportement pathologique, certaines conditions doivent être remplies. J’aime cette phrase de Freud : « Est pathologique, disait-il, la conduite de celui qui ne peut aimer ou qui ne peut travailler ». Or, si M. Macron travaille sans doute beaucoup (se plaisant à le rappeler souvent), aime-t-il (qui n’est pas lui) de la même manière ? De la réponse à cette question dépend la qualification de ses conduites.
Poursuivons. Le mégalothymiaque, enfermé dans sa réalité psychologique, a toujours raison, éprouvant même un sentiment d’infaillibilité. Paul Ricoeur disait (en 1998) qu’intégrisme voulait dire intégralité, qu’un intégriste était donc celui qui pensait : « J’ai l’intégralité de la vérité ». En ce sens, l’on peut dire que M. Macron est un « intégriste » qui s’autorise à parler de tout et qui veut, sur tout, avoir le dernier mot. Il n’est donc (ne se sent) jamais coupable ; les responsables, ce sont les autres ou les circonstances. Malgré de modestes mea culpa, il ne se remet jamais vraiment en question. Le mégalothymiaque ne partage pas le pouvoir, surtout quand celui-ci est absolu. Ainsi est M. Macron. Tout ceci le conduit à faire preuve de beaucoup d’arrogance, à faire (en permanence) la leçon de morale. Rappelons-nous l’affaire Yassine Belattar, cet humoriste franco-marocain, très controversé (on lui prête une proximité avec les milieux islamistes), choisi par le Président pour l’accompagner dans son voyage officiel au Maroc. D’un ton moralisateur, Emmanuel Macron écarte toute critique en ces termes : « Je ne ferai aucune remarque sur des choses qui n’ont aucun intérêt et qui sont très anecdotiques ». Une façon de dire (de nous dire) : « Moi, je sais ce qui est important ».
M. Macron a pourtant besoin des autres. Le pouvoir, disait Camus, parce qu’il signifie la souffrance de l’autre, avoue le besoin de l’autre. Et puis, l’on sait que l’on ne s’assure de sa propre existence que dans le regard d’autrui. Mais, bien sûr, les autres ne sont que notre miroir. Comment à cet instant ne pas penser à ce petit garçon de Louis-Ferdinand Céline ? Il suffit de remplacer le mot de « garçon » par celui d’« homme », ce qui donne la sentence suivante : « C’est un homme sans importance collective, c’est tout juste un individu ». Oui, mais un « individu-roi » qui, parce que mégalothymiaque, se croit supérieur.
M. Macron, en effet, a un « besoin catégorique » de voir reconnu sa supériorité sur tout le genre humain, devenant du coup un « narcissique pathologique ».
Pour se faire entendre, il n’hésite donc pas à aller au conflit avec ses interlocuteurs, n’ayant pas compris, comme le proclamait Pierre Favre dans une lettre du 7 mars 1546 à Jacques Lainez qu’« il faut établir la communication d’abord en ce qui unit plutôt qu’en ce qui paraît soulever des divergences de sens ».
La mégalothymia est une espèce de « folie normalisée ». Ces deux pathologies du reste se ressemblent au moins sur deux points : une même transgression des interdits, une même imprévisibilité comportementale.
Le mégalothymiaque ne calcule rien. Il n’a aucune inhibition : sa parole, quelle qu’elle soit, lui tient lieu de conduite et d’action (chez lui l’action est de l’activisme) – une parole qui varie naturellement selon son humeur du moment … et les circonstances : ici familière, voire vulgaire sinon grossière (voir encore sa dernière sortie sur ces Haïtiens qui ont « des comportements de cons »), là grandiloquente (pleine d’emphase dans ses discours commémoratifs par exemple).
M. Macron, prototype mégalothymiaque, n’agit donc pas, ne décide pas, selon des critères politiques mais selon des déterminismes psychologiques. Il est enfermé dans « un corset mental » qui le prive d’une vraie liberté d’action. On peut même se demander si cet homme est un « politique » (lui qui avoue volontiers ne pas aimer ce monde).
En tout cas, le politique est celui qui tient un certain langage, avec une certaine retenue. Or, depuis son accession au trône présidentiel en 2017, il multiplie les « gaffes » diplomatiques.
Quand M. Macron a dit, il y a un an ou deux, en plein conflit ukrainien, qu’il « ne fallait pas humilier la Russie », il tient un propos de bon sens, mais « un Président ne doit pas dire ça ». Quand, plus récemment (septembre 2014), à la tribune de l’ONU, il déclare que « la guerre que le pays hébreu mène à Gaza [qu’il qualifiera à un autre moment de barbarie] n’a que trop duré », « que les dizaines de milliers de victimes civiles palestiniennes n’ont aucune justification », ou bien que l’Etat d’Israël doit sa création à l’ONU [ce qui est en grande partie exact] », ou bien enfin, quand, lors du G 20 de novembre 2024, alors que la Russie multiplie les bombardements sur l’Ukraine, il quitte délibérément son siège pour venir, arborant un grand sourire, saluer le ministre des Affaires étrangères russe, M. Lavrov, il contrevient une nouvelle fois aux usages diplomatiques les plus élémentaires : un Président ne peut pas ainsi dévier d’une posture politique pour adopter une posture purement morale (ou démagogique) : ce n’est pas son rôle ! Voilà encore un homme qui additionne les incohérences et les revirements d’opinions – selon les circonstances ou les interlocuteurs, répétant par exemple qu’il n’usera jamais de l’arme de la dissolution – pour la décider finalement brutalement, sur « un coup de tête » ?. Finalement, M. Macron, c’est beaucoup de gesticulations, beaucoup de « com ».
Bon, M. Macron voudrait-il sincèrement changer qu’il ne le pourrait pas. Il est le jouet de sa propre « folie ». Alors, il continuera à faire la « leçon de morale » à la terre entière
Le mégalothymiaque, à bien y réfléchir, est plus « agi » qu’il n’agit. L’ancien ministre Philippe de Villiers, qui a bien connu M. Macron, dit que cet homme est toujours dans l’instant, qu’il ne fait jamais d’anticipation ». En somme, il obéit aux trois I : Intuition, Instant, Instinct. Il est bien entendu en permanence submergé par son « moi », qui est évidemment surdimensionné. Le mégalothymiaque tourne cyniquement autour de lui-même : « absolument submergé par moi-même, ne pensant qu’à moi », s’écriait Kafka en 1915.
Homme, non sans qualités ni capacités, mais totalement dénué de convictions, le président de la République est un peu le « bras droit » de la finance internationale, comme Louis-Philippe fut en son temps l’agent d’exécution de la haute finance. « Président des riches », il l’est assurément.
Après sept ans de présidence, Emmanuel Macron a perdu sa légitimité à gouverner, son « autorité de la parole souveraine » (Kafka). Son bilan est de surcroît catastrophique : une dette publique abyssale : 3 200 milliards d’euros, un déficit budgétaire de 50 milliards cette année, un chômage qui repart à la hausse.
Par ailleurs, depuis sa dissolution ratée en juillet dernier et la nomination d’un Premier ministre, qui n’est pas de son camp, à savoir Michel Barnier, il souffre assurément de la perte du « monopole absolu du pouvoir ». « Le roi est nu » désormais, malgré ses gesticulations verbales sur la scène internationale, qui n’impressionnent plus personne. Il peut bien au G20 à Rio s’empresser d’aller saluer le ministre des Affaires étrangères russe, M. Lavrov, ou s’entretenir avec le président chinois, sa parole ne percute plus. Son Premier ministre, aujourd’hui embourbé dans la discussion budgétaire et confronté au retour des agriculteurs dans la rue (pour protester contre le Mercosur), pourtant n’en profite pas. Il sait ses jours comptés à la tête du gouvernement – la motion de censure le menace à court terme. Car c’est aujourd’hui l’Assemblée nationale qui est à la manœuvre ; plus précisément, le Rassemblement national, lui qui tient entre ses mains le sort du gouvernement Barnier.
A bien y réfléchir, la présidence d’Emmanuel Macron aura constitué une séquence politique inédite, hors-normes, qui aura fait de lui un président réellement a-normal.
L’un des enseignements à tirer, cette fois, sur le plan institutionnel, c’est peut-être que tout prétendant à la fonction suprême devrait, avant tout dépôt de candidature, être soumis à un examen de santé physique et mental. L’exemple de Joe Biden, aux Etats-Unis, montre que cet homme, qui présentait déjà de vrais signes de sénilité en 2020, n’aurait jamais dû obtenir l’investiture démocrate. Et l’on peut raisonnablement se poser aussi la question pour le président-élu Donald Trump, non ?
Michel Fize
Sociologue, politologue
Auteur de Un président a-normal, essai sur la mégalothymia d’Emmanuel Macron » (Ed. Perspectives libres, nov. 2024)
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