Dans une économie fortement socialisée, pour lutter contre l’inflation il n’y a d’autre solution que de soutenir le pouvoir d’achat des ménages en injectant encore de l’argent public. Le cercle est devenu vicieux : le niveau de socialisation de l’économie force aujourd’hui à socialiser l’inflation. Dans une économie administrée, on ne peut pas agir contre l’inflation, on finance le maintien du pouvoir d’achat !
Les causes de l’inflation sont identifiées et dénoncées. Ce sont les blocages logistiques consécutifs à la crise Covid, l’augmentation du coût des intrants que l’on importe, le tout aggravé, ô combien, par la guerre. Des causes qui font oublier que le (nécessaire) quoi qu’il en coûte avait des effets inflationnistes en finançant une non-consommation forcée, en maintenant en coma artificiel des entreprises zombies, en permettant une épargne de précaution dont le déconfinement a soutenu le rebond de croissance de fin 2021 ; un rebond de croissance financé, quoi qu’il en coûte, par la dette !
En finançant le maintien du pouvoir d’achat par de l’argent public, il faut craindre que l’ambition affirmée de n’avoir ni impôts nouveaux ni dette supplémentaire ne puisse pas être tenue. Ce « ni-ni » reposait sur l’hypothèse, habituelle chez les politiques et les économistes, que toutes choses sont égales par ailleurs. Les variables de l’équation budgétaire qu’il faut résoudre pour tenir cette ambition ne sont plus les mêmes, les choses ne sont plus égales ! Le retour des taux en territoire positif, et l’effondrement de la croissance s’ajoutent à l’inflation.
Les variables de l’équation n’ont plus la même valeur. La politique budgétaire du « ni-ni » devient une mathématique du hasard.
Le relèvement des taux ? Une part significative de la dette souveraine, qu’il faut refinancer, va coûter plus cher. Dans ce contexte, pour maintenir le cap de pas d’impôts nouveaux ni de dette supplémentaire, il faut pouvoir compter une croissance forte et durable pour financer le surcoût du service de la dette.
La croissance ? La remontée des taux n’alourdit pas seulement les finances publiques, elle pèse aussi sur les investissements privés, et donc sur le potentiel de croissance. Le rebond de croissance de fin 2021 a fait occulter que les fondamentaux de l’économie nationale ne s’étaient pas améliorés. Les heureuses perspectives de croissance de début d’année confortaient l’euphorie qui n’était qu’aveuglement. Avec une perspective de croissance révisée à la baisse (+2,5% en 2022 puis +2,4% en 2023) les conséquences sur les rentrées fiscales viennent encore modifier l’équation initiale et compliquer l’atteinte de l’objectif de n’avoir ni impôts ni dette supplémentaires.
Il y aurait bien la solution d’introduire dans l’équation la variable « dépense publique » qui jouerait comme un minorant des effets de taux et de moindre croissance. Maîtriser effectivement, sinon diminuer, le niveau de la dépense publique faciliterait l’atteinte du « ni-ni », cet objectif initial et salutaire. On appellerait ça politique de rigueur, un régime qui permet de passer les crises. Mais, voilà que la variable inflation s’est invitée dans l’équation. Elle pourrait participer à résoudre l’équation en diminuant le coût effectif de la dette et en soutenant les rentrées fiscales ; elle le pourrait si elle ne forçait pas à prendre en compte une autre variable : le pouvoir d’achat. L’inflation n’arrive jamais seule !
La mathématique initiale qui faisait promettre ni dette ni impôts nouveaux est bouleversée, le pouvoir d’achat n’est pas une variable : c’est un invariant social qui transforme l’équation initiale en conjecture.
Dans ce contexte, hausse des taux, croissance atone, inflation, les paradigmes sont renversés ; on s’affole, et l’on oublie l’effroi qui agitait les économistes et la haute finance qui, lorsque les taux sont passés en territoires négatifs, nous avertissaient que nous entrions dans l’inconnu. Au moment où l’on sort (violement) de cet inconnu, auquel on a donné le nom rassurant de quantitative easing, nous en sommes prisonniers, nous nous étions habitués – syndrome de Stockholm autant que mythe de la caverne.
Sous l’urgence sociale le Politique prime, les fondamentaux de l’Économie sont mis au second plan et nombre d’entrepreneurs non schumpetériens, habitués eux aussi à demander le secours de l’État, se joignent au concert. Et tant pis si le maintien du pouvoir d’achat par l’injection d’argent public, qui ne garantit pas le maintien du niveau de consommation, a un effet cliquet sur l’évolution des prix. Les chèques inflation sont, finalement, bien nommés parce qu’ils subventionnent l’inflation en mettant en dynamique un multiplicateur keynésien pervers, qui devrait remettre à la réflexion les leçons de l’effet Cantillon.
A la salutaire ambition qui ne voulait ni d’impôts nouveaux ni de dette supplémentaire se substitue, non pas un nouveau quoi qu’il en coûte mais le concept, et la réalité, d’une économie de guerre.
Il faut économiser, il faut rationnellement se rationner ; il faut aussi, et urgemment, verdir le modèle économique. Les économistes, dont l’expertise est d’expliquer pourquoi les choses sont advenues, seront réconciliés avec le Politique : une économie de guerre c’est, en même temps, l’impôt, la dette, l’inflation… et un risque pour les démocraties.
L’économie administrée, ce placébo pas vraiment social ni, forcément, libéral a ouvert une route de la double servitude, celle de l’impôt et de la dette. Sur cette route ce n’est pas d’avancer en territoire inconnu qu’il faut redouter, mais l’hérésie politique et une nouvelle hétérodoxie économique qui normaliseront l’irrationnel.
Michel Monier
Ancien Directeur général adjoint de l’Unédic
Membre du think tank CRAPS