Depuis le fameux décret « Alstom », adopté en 2014, puis la loi Pacte de 2019, les investissements étrangers en France sont soumis à une vigilance renforcée. C’est notamment le cas dans les activités dites sensibles (comme la défense ou les infrastructures). L’objectif est de réduire les risques pour la sécurité nationale ou l’ordre public. Cette initiative française a réussi à créer une véritable dynamique au niveau de l’Union européenne (« UE »). En effet, pendant de nombreuses années, l’UE se distinguait comme étant le seul grand bloc économique à ne pas posséder d’outils de contrôle des investissements étrangers. Ainsi, début 2024, la Commission a adopté de nouvelles mesures visant à renforcer la sécurité économique de l’UE, tout en conservant la volonté d’ouverture sur le monde. Il s’agit de fixer des limites adéquates pour les investissements étrangers, avec une vigilance particulière dans certains secteurs stratégiques.
On note que l’UE, comme les États-Unis, a récemment adopté une posture beaucoup plus agressive à l’égard de Pékin. Aux Etats-Unis, les contrôles sont depuis longtemps renforcés et ciblent maintenant explicitement la Chine, à cause de ses pratiques jugées déloyales. Depuis 2019, l’UE a qualifié la Chine de rival systémique, ce qui a pour conséquence d’imposer des règles plus strictes de filtrage des investissements pour les entreprises chinoises investissant dans les pays européens. De manière générale, l’UE s’efforce d’améliorer la cohérence et d’élargir les compétences des états membres, en matière de contrôle des investissements. Les évolutions règlementaires sont significatives dans plusieurs pays européens comme, par exemple, l’Allemagne, historiquement très peu concernée par ce sujet, ou encore l’Italie.
Les entreprises chinoises, mais aussi américaines, qui cherchent à investir dans des secteurs stratégiques en Europe peuvent donc s’attendre à faire l’objet d’une surveillance réglementaire accrue.
Le contrôle des investissements étrangers en France, est exercé par la Direction générale du Trésor. Peu commenté durant la récente période électorale, le dernier rapport de la DGT indique que les 309 dossiers étudiés ont donné lieu à 255 décisions, dont 135 autorisations. Dans l’analyse du dossier, les autorités de contrôle identifient la nationalité de « l’investisseur ultime ». Les investisseurs ultimes des opérations contrôlées en 2023 sont à 67 % hors Union européenne (États-Unis, Royaume-Uni ou encore Canada).
Il apparaît donc que les États-Unis sont en dernier ressort (via différentes sociétés, dont certaines basées au sein de l’UE), le premier pays investisseur en France.
Un durcissement de la politique de contrôle ne signifie pas pour autant une perte d’attractivité. En effet, dans un contexte général de repli des investissements étrangers à destination de l’Europe en 2023, la France a su conserver la confiance des investisseurs. Si le volume des investissements étrangers en France est souvent mis en avant politiquement comme une preuve d’attractivité et donc de validation des orientations économiques, les procédures de contrôle ont pour objet de protéger notre souveraineté. Ainsi, la France a su donner, jusqu’à la récente dissolution de l’Assemblée nationale et l’instabilité politique qui en découle, des perspectives de long-terme aux investisseurs, dans un cadre règlementaire clair.
On remarque, par exemple, que la France est la première destination en Europe pour les investissements étrangers dans l’intelligence artificielle.
En dépit d’un nombre élevé de projets d’investissement, la France accuse un retard dans la création d’emplois. En cause, le coût du travail qui reste élevé en France et crée un écart de compétitivité par rapport à d’autres pays européens. En outre, plusieurs obstacles sont mentionnés par les investisseurs étrangers, comme la longueur des procédures ou encore la rareté du foncier pour les sites industriels. Pourtant, la France s’est dotée d’une stratégie industrielle ambitieuse, qui va de la réduction significative des délais d’implantation, ou encore la structuration de filières. Toutes ces mesures devraient permettre de rendre l’Hexagone plus compétitif pour les projets industriels.
A ce titre, il faut noter que les investissements dans de nouveaux projets, crées ex nihilo, dits « greenfield », sont exclus des procédures de contrôle pour les étrangers. Cela explique sans doute pourquoi la composition des investissements chinois en Europe est en train de subir un changement fondamental, les projets « greenfield » devenant la forme dominante d’investissement. En conséquence, l’Europe a connu un déclin radical de l’activité chinoise en fusions et acquisitions : en 2016, le volume de ces transactions s’élevait à 45,9 milliards d’euros et ne représente plus qu’environ 7 milliards actuellement. La transition vers les investissements « greenfield » a été notamment stimulée par quelques projets de grande envergure, concentrés dans le secteur de l’automobile. En effet, les géants chinois de la fabrication de batteries ont investi dans la construction d’usines en Allemagne, en Hongrie, au Royaume-Uni et en France. En revanche, les investissements chinois dans certaines infrastructures européennes critiques en Europe, dont les ports, ne sont pas bien perçus par les instances européennes. Par exemple, China Merchants Port possède des parts dans les ports d’Anvers en Belgique, ainsi que Fos et Le Havre en France.
Après avoir renforcé ces dernières années leurs mesures de contrôle des investissements étrangers « entrants » sur leur territoire, afin de se prémunir des risques qu’ils posent en matière de souveraineté ou de protection de la propriété intellectuelle, les États-Unis et l’UE étendent à présent leur réflexion aux risques liés aux investissements « sortants », en direction de certains pays étrangers dits « préoccupants », principalement la Chine.
Toute opération d’investissement direct (réalisée à l’étranger par un résident français ou réalisée en France par un non-résident) de montant supérieur à 15 millions d’euros doit être déclarée à la Banque de France pour l’élaboration de la balance des paiements. Ainsi, le solde des transactions courantes, sous ensemble de cette balance des paiements, indique l’aptitude de la France à équilibrer ses échanges avec les autres pays. Or, dans l’analyse macroéconomique, c’est un indicateur fondamental, car il mesure si un pays vit au-dessus (ou en dessous) de ses moyens. Le solde des transactions courantes en France a enregistré un déficit historiquement élevé de 53,9 milliards d’euros (soit 2 % du PIB) en 2022, à cause de la hausse de la facture énergétique liée à la guerre en Ukraine. En règle générale, la France dépense plus qu’elle ne produit, donc qu’elle ne génère de revenus. Cela engendre un besoin de financement qui provient de l’épargne étrangère, qui vient se placer en France sus forme d’investissements directs étrangers.
Là où le bât blesse, c’est que si la croissance n’est pas au rendez-vous, alors l’économie française devra se préparer, tôt ou tard, a une crise financière, faute de ne pouvoir générer le rendement attendu par les investisseurs extérieurs.
En somme, le contrôle des investissements étrangers « entrants », ainsi que des investissements « sortants » doit faire partie d’une politique économique cohérente, dans un monde ou les enjeux géopolitiques deviennent plus complexes. La finalité, au-delà des aspects évidents de souveraineté, doit être d’équilibrer notre balance courante à long-terme pour se protéger d’une crise. Il faut donc donner l’opportunité aux épargnants français et européens d’investir dans la zone, avec un meilleur « fléchage » de l’abondante épargne européenne. En effet, l’épargne d’aujourd’hui fera l’investissement de demain et la croissance d’après-demain. Gageons que l’Union des marchés de capitaux pourra, au moins partiellement, répondre à cet enjeu. Si ce n’est pas le cas, les bijoux de la couronne et autres pépites nationales seront bientôt toutes vendues.
Guillaume du Cheyron
Spécialiste de la Finance d’Entreprise
Président de G2C Corporate Finance
Senior Advisor chez Kingsrock