Entre débats éthiques, religieux et culturels, Frédéric Saint-Clair revient sur la question de l’habillement dans l’espace public.
Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education Nationale, se sentant obligé de donner des conseils vestimentaires aux millions d’élèves français, apparemment pour contrer une vague d’indécence déferlant sur la jeunesse de France, a exigé qu’ils s’habillent de façon « républicaine ». Les réseaux sociaux n’ont pas tardé à tourner en dérision une consigne dont le sens devrait demeurer obscur même pour les plus zélés des macronistes… Comment ne pas songer immédiatement à la Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix, et s’interroger : les seins nus, offerts à la vue de tous et auréolés d’un drapeau tricolore, sont-ils moins républicains que la tenue islamique de Maryam Pougetoux qui a fait se lever et quitter la commission d’enquête plusieurs députés LR, ainsi qu’Anne-Christine Lang, élue LREM ayant affirmé : « pas de signe religieux quand on s’adresse à l’Assemblée » ? En 2020, en France, sans nul doute, le lien entre vêtement et République pose problème !
Il ne s’agit pas ici de développer une théorie du vêtement en régime démocratique, mais de questionner brièvement notre rapport à la symbolique du vêtement.
Car, finalement, au travers de ces deux exemples, c’est bien de symbolique dont il s’agit, voire de confrontation de deux symboliques.
La première concerne les limites toujours repoussées du dévoilement du corps, la problématique de la silhouette (joliment analysée par Georges Vigarello), la problématique de la nudité, dont l’histoire de l’Art garde le souvenir comme d’un dialogue que l’Occident a engagé avec lui-même, et peut-être plus encore avec sa part féminine, depuis l’Antiquité grecque. La seconde concerne une symbolique importée, qualifiée de religieuse, perçue comme « l’expression d’une foi », mais qui n’en demeure pas moins l’expression culturelle, au sein de l’espace public, d’un ensemble civilisationnel, celui de la civilisation islamique.
Deux problématiques donc. La première est endogène. La seconde est exogène mais, du fait du nombre d’adeptes et de la nationalité désormais française de la plupart d’entre eux, se rêve endogène et souhaiterait être traitée comme telle. Au regard des droits de l’Homme, abstraits et politiquement circonscrits malgré leur prétention à l’universel, cela peut avoir un sens. Au regard de l’histoire et de la dynamique civilisationnelle occidentale, cela n’a aucun sens. Pour le dire autrement : lorsque Jean-Michel Blanquer demande aux petits shorts, qui soulignent probablement d’un peu trop près le pli de la fesse, de rester à l’extérieur de l’école il adresse un message que toute la France s’approprie naturellement, qu’on soit pour ou qu’on soit contre, car il s’inscrit dans le dialogue civilisationnel séculaire que ce pays a engagé avec cette problématique esthétique.
A l’inverse, lorsqu’une militante clame haut et fort son souhait de voir le port du voile islamique légitimé, elle ne parle à personne en France, à part peut-être à un juge des droits de l’Homme potentiellement requis pour trancher cette question et aux quelques soutiens militants qui y voient un intérêt. La question du voile, contrairement à ce que la quasi-totalité des commentateurs politiques et des responsables politiques affirment, n’a rien à voir avec le combat féministe ou celui contre l’islam politique, même si les partisans de ces combats ont tout à fait le droit de se saisir de cette question.
C’est la civilisation française dans son entier qui rejette le voile, indépendamment de nos opinions personnelles et circonstanciées, et non la République.
C’est le poids de plus d’un millénaire de traditions et une dynamique esthétique multiséculaire qui privent cette symbolique islamique de pertinence au sein de notre pays. En revanche, la République a le devoir de protéger la civilisation française, et elle ne le fait pas.
Dès lors, lorsqu’Anne-Christine Lang demande à ce que le voile soit exclu de l’Assemblée Nationale, ou lorsqu’Eric Ciotti propose un projet de loi visant à interdire le port du voile lors des sorties scolaires, voire lorsque des commentateurs politiques tels Mohamed Sifaoui ou Eric Zemmour s’indignent face à ce symbole qu’ils associent à une forme de militantisme islamiste, ils enferment cette problématique dans le cadre étroit de la démocratie libérale du début du XXIème siècle, et se condamnent à échouer. Echouer car le principe de laïcité républicain ne saurait imposer à un citoyen de renoncer à exprimer publiquement sa foi en tel ou tel lieu, sachant qu’une telle expression ne trouble pas l’ordre public, et que le principe de neutralité ne peut être exigé que des représentant de l’Etat et non des usagers du service public. Echouer car le procès d’intention fait à toute femme musulmane portant un hidjab, et l’accusant d’être une militante islamiste en puissance, est non seulement moralement intenable, mais il est sociologiquement faux, religieusement absurde et politiquement indémontrable.
Les principes de « liberté » et d’« égalité » que ces démocrates ont placé plus haut que tout dans leur système de valeurs républicaines leur imposent de renoncer, sous prétexte de féminisme, à limiter la liberté qu’a une femme de se voiler ou pas ; ces principes démocratiques leur imposent de renoncer à l’attitude sexiste qui consiste à rabaisser toute femme musulmane voilée au rang de servante dominée par son mari, par un prêcheur salafiste ou par une communauté patriarcale. Leur libéralisme leur impose de laisser les femmes décider pour elles-mêmes si elles souhaitent se voiler ou non, et leur attachement à l’égalité leur impose de traiter de façon identique une femme voilée et une femme qui ne l’est pas. En clair, leur libéralisme leur commande de se cantonner au rang de spectateur de l’islamisation de la France. Et peut-être aussi d’acter le fait que leur indignation récurrente n’a en réalité que peu d’intérêt…
La problématique du vêtement islamique est-elle pour autant sans solution ? La réponse tient en un mot : civilisation. Sortir le voile de la catégorie religieuse – laquelle est protégée par les droits de l’Homme – pour le ranger dans la catégorie civilisationnelle, ou culturelle – laquelle a vocation à être règlementée par le pouvoir politique, est le seul moyen d’agir efficacement.
Qu’est-ce qu’un symbole culturel, ou civilisationnel ? C’est un symbole – religieux ou autre – qui se laisse voir dans l’espace public.
Pour le dire autrement : un symbole religieux, lorsqu’il s’exprime dans l’espace publique, perd sa spécificité strictement religieuse, c’est-à-dire spirituelle, pour acquérir une dimension culturelle, une dimension qui a une influence sur la société civile, sur sa « morphologie sociale », sur la culture du pays, son histoire, son avenir.
Emmanuel Macron a pris position dans ce sens au sujet du burkini lors du Grand Débat National face aux intellectuels en affirmant : « Le burkini n’est pas un symbole religieux, c’est un symbole culturel. » Il en est en réalité de même de toute la symbolique islamique, et notamment du voile. Une question demeure : Emmanuel Macron a-t-il pris la mesure de la portée et de l’exigence de son propos ? L’histoire de notre civilisation réaffirme à qui veut bien l’entendre que, si la spiritualité musulmane a toute sa place en France, la symbolique islamique en revanche, sous toutes ses formes, a vocation à en être exclue, en tout point de l’espace public, pour des raisons qui ne sont ni républicaines ni religieuses, mais culturelles.
Frédéric Saint-Clair
Analyste politique
Image : Wikipédia