La France, la République, les principes universalistes sont plus que jamais en danger face aux impérialismes marchands et communautaristes qui détruisent notre modèle politique, économique, social et culturel.
Les dimanche 12 et 19 juin 2022 ont eu lieu les élections législatives. Les résultats en étaient attendus de manière diffuse. On savait que la majorité absolue d’Ensemble ! et a fortiori de LREM était menacée ; on savait que la NUPES aurait un nombre appréciable d’élus par l’effet de l’union mais que le pourcentage de votants à gauche stagnerait ; on savait que le RN aurait probablement un groupe à l’AN ; on savait que LR-UDI risquait gros.
Le paysage est désormais clairement dessiné d’une France dont plus de la moitié des citoyens ne votent plus et dont le reste se divise entre trois blocs.
Un petit tiers à gauche, un petit tiers à l’extrême droite et un gros tiers au centre et à droite, marquant un net déplacement du centre de gravité de la politique française vers la droite.
La surprise réelle ou feinte des médias – qui ont toujours besoin d’hystériser leurs réactions et de forcer le trait pour être entendus dans un PAF très vociférant – vient plutôt du fait que ces tendances perçues et probables ont été très affirmées. LREM passe de plus de 310 sièges à 170 et Ensemble ! est, à plus de 40 sièges, loin de la majorité absolue ; la NUPES dont on disait encore il y a quinze jours qu’elle atteindrait peut-être 80 élus, en a 143 avec les apparentés ; le RN devient le premier parti d’opposition à l’AN avec 89 sièges ; la droite classique LR-UDI atteint difficilement 64 sièges.
Le premier enseignement est qu’il n’y aura donc pas de majorité pour M. Macron et le gouvernement de Mme Borne dont les jours paraissent comptés. Cela signifie que les majorités « godillots » qui se succèdent depuis 20 ans, à la minime exception des « frondeurs » du PS, ne seront plus à la disposition du président en exercice pour faire passer aveuglément les mesures préparées par le gouvernement. Cela signifie en conséquence que l’ère technocratique du « cercle de la raison » est désormais achevée et que les politiques vont devoir faire… de la politique.
Au risque de choquer les lecteurs, je m’en réjouis personnellement. L’AN va enfin redevenir un lieu de démocratie et pas une chambre d’enregistrement.
Le président pourrait être tenté par la dissolution. Mais c’est un outil dangereux qui ressemble souvent à un boomerang… Il y a eu des dissolutions liées à l’élection d’un président d’une autre couleur que l’AN, comme en 1981 et en 1988 (lorsque François Mitterrand fut élu puis réélu alors que l’AN élue en 1978 et celle élue en 1986 avaient une majorité de droite), la dissolution technique de 1962 après la fin de la Guerre d’Algérie et le passage à l’élection du président de la République au suffrage universel, « la dissolution de la peur de 1968 » ; toutes manœuvres dont on connaissait à l’avance le résultat. Mais les quelques dissolutions conflictuelles n’ont pas porté chance aux présidents qui les avaient décidées… Nombreux ont encore en tête le dérapage chiraquien de 1998, la pire manœuvre politique de l’histoire parlementaire de la France. Certains se souviennent que la première tentative de ce genre, en 1877, lorsque le président Mac-Mahon ne voulut pas se soumettre à la majorité républicaine nouvellement élue, se termina par sa démission… La leçon fut si cuisante que plus un seul président de la IIIe République n’osa s’avancer dans cette voie…
Se soumettre ou se démettre ; M. Macron devra avoir en tête cette alternative s’il décide de se lancer dans cette périlleuse opération…
Le second enseignement est que le peuple français, avec son intelligence collective, que l’on souligne avec émerveillement et admiration à chaque élection, a su prendre acte de la nouvelle donne politique. Ce faisant les électeurs ont brisé le bipartisme d’assemblée inscrit dans les gènes de la Constitution de 1958 pour transformer le scrutin majoritaire à deux tours en un miroir fidèle du multipartisme qui s’est instauré depuis cinq ans. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, à l’exception des élections à la proportionnelle de 1986, la diversité politique de la France est correctement représentée à l’AN ! Et de cela, tout démocrate, tout républicain, devrait être satisfait, même si l’émergence soudaine de figures inquiétantes et de partis populistes au Palais-Bourbon promet des lendemains difficiles.
Ne peut-on cependant espérer que, tous les Français étant désormais représentés, les manifestations violentes dans la rue s’apaisent voire se raréfient ?
Après tout, le régime représentatif a bien pour objet de transformer les germes de guerre civile en débats, même très vifs.
L’arrivée à la Chambre basse de 70 députés de gauche radicale (LFI) et de 89 députés d’extrême droite, dont de très nombreux béotiens, fait en effet entrevoir des moments périlleux. Mais seule la longue anesthésie du régime semi-présidentiel et de plus en plus personnel initié par de Gaulle en 1958 et surtout en 1962, nous fait oublier que la République française fut parlementaire et qu’elle ne s’en porta pas si mal. Que les plus grandes démocraties du continent européen sont parlementaires et qu’elles ne s’en portent pas si mal.
C’est pourquoi, malgré l’étonnement de nombre de nos compatriotes et l’inquiétude de ceux qui, fabriqués au moule de la Ve République ne sont plus en mesure de comprendre les mécanismes du jeu parlementaire, qui fit les beaux jours de très grands dirigeants français, de Gambetta à Ferry, de Jaurès à Clemenceau, de Mandel à Blum, d’Edgar Faure à Pierre Mendès-France, nous pensons que la configuration actuelle peut faire émerger une autre manière, beaucoup plus démocratique et donc satisfaisante de gouverner.
Cependant, au péril que représente l’instabilité que nous constatons mais qui n’est pas sans remède ou sans espoir, s’ajoutent aujourd’hui des dangers institutionnels qui nous paraissent bien plus préoccupants.
Constatons tout d’abord que plus de 52 % des inscrits ne se sont pas déplacés au premier tour. Si l’on y ajoute les 3 à 5 millions de Français en âge de voter qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales et sans même parler des « mal inscrits » qui se comptent eux aussi par millions, on peut avancer que six à sept Français sur dix en âge de voter n’ont pas jugé bon de le faire le 12 juin. Le deuxième enseignement est que 70 % des moins de trente-cinq ans se sont abstenus. Il est important d’étudier les chiffres du premier tour, puisque par définition, c’est le moment où l’offre politique est la plus variée et où les Français votent tous par conviction.
Ces chiffres font apparaître une très grave fracture démocratique.
Ceci est particulièrement vrai dans notre République française qui, à la différence de la plupart des pays du monde, est une nation politique égalitaire où la seule expression légitime du peuple est le suffrage universel par lequel il exerce sa souveraineté.
Pour fixer les ordres de grandeur, cela signifie que les deux coalitions arrivées en tête du premier tour représentent chacune moins de 12 % des inscrits et moins de 10 % des Français en âge de voter. S’il n’est pas question ici de mettre en cause la légitimité institutionnelle de la majorité et des minorités qui seront issues de ce scrutin, on doit cependant craindre qu’un socle d’électeurs aussi étroit ne rende très difficile le gouvernement de la France.
Si on s’intéresse maintenant aux quatre coalitions et partis (Ensemble, NUPES, Rassemblement national, Les Républicains) qui ont atteint de 25 à 11 % des suffrages exprimés (soit entre 10 et 4% des Français en âge de voter), on peut voir que derrière les reclassements récents et les nouvelles alliances, la segmentation qui caractérise la politique française depuis la fin des années 1990 est toujours d’actualité. La gauche, quoique regroupée autour d’un parti radical plutôt que d’un parti modéré, a toujours besoin de s’unir pour avoir des élus. Elle est minoritaire dans le pays, mais n’est pas résiduelle. La droite a vu elle aussi son centre de gravité se déplacer du gaullisme vers l’orléanisme, ce centrisme libéral en économie, moins enclin à faire respecter l’autorité de l’État que la tradition gaulliste qui a dominé cette partie de l’hémicycle pendant cinquante ans. Une extrême droite enfin, qui s’est durablement installée dans le paysage politique et qui, comme toujours lorsqu’elle n’est plus rassemblée autour d’un chef plus ou moins charismatique dans le cadre de l’élection présidentielle mais éclatée en 577 combats locaux, ne sait plus comment se comporter comme le démontre le silence d’entre-deux-tours de Mme Le Pen et ses propres évaluations, elle qui jusqu’au vendredi 17 juin 2022 annonçait que le RN aurait trente à quarante élus Notons que même ce courant est aujourd’hui divisé.
On pourrait donc conclure que, hors la question lancinante et inquiétante de l’abstention et du désintérêt des citoyens pour le gouvernement de leur pays, tout a changé pour que rien ne change. Mais cela serait sans compter avec deux maladies graves qui sont en train d’abattre la République.
D’une part, nous l’avons dit et répété, l’abstention. Il est de bon ton de se lamenter sur l’effondrement de la démocratie représentative et d’envisager de grandes réformes toutes moins démocratiques les unes que les autres, à base de confuses consultations populaires et de conseils nationaux constitués d’individus sans autre légitimité que le tirage au sort dans le meilleurs des cas ou le fait du prince dans le pire. Mais nous ne devons, ni ne pouvons oublier ce que nos ancêtres avaient exprimé de la manière la plus claire, la plus simple et la plus frappante à l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Aussi, plutôt que de bâtir de chimériques châteaux en Espagne et de repenser à grands renfort de brillantes théories l’ensemble de nos institutions dans un bouleversement dont personne ne veut, peut-être suffirait-il modestement de réparer cette Cinquième République abîmée par quatre coups de poignards dont elle ne s’est jamais remise.
Le péché initial d’abord, avec le passage à l’élection au suffrage universel du président de la République, qui s’est traduit par l’érection d’une légitimité césariste, incarnée par un seul homme, face à la véritable légitimité démocratique, celle de la représentation du peuple par ses députés et sénateurs.
Ensuite, la longue descente aux enfers d’une Assemblée nationale dont les prérogatives souveraines n’ont cessé d’être rognées depuis 1962 pour en faire au mieux une chambre d’enregistrement, au pire le théâtre d’un simulacre de démocratie.
On peut craindre d’ailleurs que la nouvelle donne issue du vote du 19 juin 2022 pousse nos dirigeants à tenter de limiter encore ses pouvoirs.
Le troisième coup porté à la Cinquième République a été la calamiteuse réforme du quinquennat votée par référendum en 2000, qui a brutalisé la politique française et mis fin à la délicate et très intelligente articulation entre les fonctions du Président et celles du Premier ministre, tout en plongeant toutes les institutions dans le court-termisme. Non content d’avoir soutenu cette modification catastrophique, Lionel Jospin, alors Premier ministre de cohabitation qui n’en était pas à sa première faute politique majeure, faisait voter par le Parlement la loi organique du 15 mai 2001, applicable dès 2002 inversant le calendrier des élections présidentielle et législatives. Il subordonnait ainsi l’élection démocratique par essence, celle des députés, à l’élection césariste par essence, celle du président de la République au suffrage universel direct. C’est ainsi que l’abaissement de l’Assemblée nationale a été scellé, ne faisant de celle-ci qu’un pâle reflet de la volonté d’un homme au point même que nous avons vu en 2017 comme en 2022 cet homme sélectionner lui-même « ses » députés à l’Assemblée.
Il serait impossible, sans une volonté politique puissante et sans un consensus construit par la persuasion et totalement improbable, de revenir sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct, que l’on a pris l’habitude de considérer comme la quintessence de la démocratie, alors qu’elle en est l’opposé. Il serait en revanche très simple de revenir au septennat et de découpler ainsi mécaniquement élection présidentielle et élections législatives. Ceci rendrait aux secondes toute leur importance démocratique et réinsufflerait dans les institutions un véritable dynamisme. Mais pour cela, il faudrait que nos hommes politiques cessent de considérer la Constitution comme une opportunité de renforcement de leur pouvoir sans contrôle et veuillent le bien public plutôt que leur propre confort politique. D’autres causes politiques, sociales et culturelles dont il serait trop long de faire ici l’inventaire jouent en défaveur de la participation des Français aux élections législatives, mais ce retour à la cohérence des institutions constituerait un premier pas décisif. Constatons d’ailleurs un léger mieux, puisque 3 % de Français de plus ont voté à ce deuxième tour, par rapport au deuxième tour de 2017, laissant entrevoir le fait que lorsque l’offre est variée et que la démocratie joue, l’intérêt pour la politique renaît.
On ne saurait bien entendu, et il s’agit là du quatrième coup de poignard, passer sous silence le désastre démocratique dont on n’a pas fini de mesurer les effets, qu’a constitué le reniement par Nicolas Sarkozy de la décision indiscutable du peuple français par le référendum de 2005 de ne pas s’engager dans les traités constitutionnels européens. Quoi que l’on pense de ce vote, il était souverain et son contournement a détruit la confiance du peuple dans ses institutions et dans les personnes chargées de les servir et de les faire respecter.
Nous voyons dans cet acte, que l’on pourrait qualifier de forfaiture, l’une des causes principales de l’effondrement du corps politique de la nation.
Voici donc, selon nous, certaines des causes majeures de cette abstention et plutôt que de gloser et de se lamenter avec des larmes de crocodile sur ce constat, peut-être faudrait-il s’attacher à rétablir les conditions de fonctionnement normal de la Cinquième République par le retour au septennat et l’autonomisation des élections législatives. Il faudrait d’autre part mettre en place, pour le coup, des commissions parlementaires chargées de réfléchir à des mesures techniques et pratiques permettant un contrôle plus démocratique de l’action présidentielle et gouvernementale. Ces commissions pourraient aussi faire des propositions d’assouplissement des possibilités de recours référendaire pour permettre aux Français d’agir plus directement et plus horizontalement sur les décisions politiques. Ces mesures simples et une représentation plus adéquate des courants politiques et de leur poids réel devraient permettre progressivement de réconcilier les Français avec leurs institutions politiques.
La deuxième maladie que nous évoquions au début de ce texte est moins visible, mais probablement plus grave. Elle touche au cœur même de l’imaginaire politique du peuple français, comme le fait remarquer le politiste Stéphane Rozès. Il s’agit de la question républicaine. Depuis le Traité de Rome de 1957, une bataille permanente se déroule entre les instances de l’Union européenne – sous ses différents avatars – et les Nations. Aucune de ces dernières n’a sans doute été plus rétive et plus résistante à la normalisation démocratique fondée sur la tradition et les principes politiques de l’Europe du Nord et du monde anglo-saxon que la France, paradigme de la nation politique, ayant éradiqué l’influence religieuse en politique et le communautarisme, ces deux mamelles de l’idéal européen. La personnalité du général de Gaulle et la puissance de l’idéal républicain mis en œuvre par le programme du Conseil national de la Résistance ont permis à la France pendant une quinzaine d’années de contrer l’enveloppante insistance normative et régulatrice de l’Europe, les grandes évolutions économiques néolibérales, la domination culturelle américaine. Sur le plan intérieur, l’affaiblissement de la pensée de la Nation chez les orléanistes de la droite libérale depuis Valéry Giscard d’Estaing et chez les socialistes mutés en sociaux-démocrates depuis François Mitterrand ont puissamment entamé la volonté de conserver les acquis de la Révolution, de la Troisième et de la Quatrième République.
Plus exactement, le personnel politique français a progressivement adopté contre la volonté et contre l’imaginaire politique du peuple français, des positions qui sont celles de l’Europe opposée aux Nations et de la culture communautaro-religieuse diffusée par les Etats-Unis.
Comme l’écrivait Karl Marx dans L’Idéologie allemande en 1845 : « À toute époque les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ». C’est ainsi qu’un consensus que l’on n’hésitera pas à qualifier d’anti-laïque et d’anti-républicain s’est peu à peu constitué dans les classes dirigeantes françaises en lien avec les puissances économiques. L’arrivée au pouvoir d’un orléanisme réaffirmé personnifié par Emmanuel Macron a achevé d’éloigner de la République laïque les dirigeants de la droite et du centre, après un premier quinquennat incertain dans ce domaine et un dévoilement récent mais sans plus aucune ambiguïté des idées du président.
On ne peut prendre pour argent comptant les rodomontades opportunistes d’un Rassemblement national qui ne fut jamais de ce côté-là ni dans ses paroles, ni dans ses écrits ni dans ses actes et qui au contraire fait le plus grand mal à l’idéal républicain laïque en le rabattant grossièrement sur la xénophobie anti-maghrébine.
Quant aux héritiers de la droite gaulliste, après avoir trahi tant de fois et de tant de manières leur icône, on ne compte plus parmi eux aujourd’hui que quelques républicains laïques et sincères, ici une sénatrice, là un président de région. Les autres ont choisi secrètement ou ouvertement le ralliement à l’orléanisme de l’extrême centre ou à la xénophobie de l’extrême droite. Cette « situation » de la droite et du centre face à la république laïque est, partiellement, une régression par rapport aux années de l’après-guerre et du gaullisme. Elle n’est cependant pas une nouveauté dans l’histoire politique du pays. La droite a toujours été globalement méfiante vis-à-vis de l’idéal républicain et de l’idéal laïque ; nous n’oublierons pas que nous lui devons entre autres décisions marquantes et lourdes de conséquences que nous payons plus que jamais aujourd’hui, le concordat d’Alsace-Moselle et la loi Debré.
Face à cette droite et à ce centre souvent anti-laïques et anti-républicains, parfois hésitants et confus, qui restent cependant marqués d’individualités sincèrement attachées à nos idéaux, la gauche restait jusqu’aux années 2000 dépositaire du trésor républicain laïque, malgré le basculement de ses élites sociales-démocrates et écologistes dans la doxa économique et culturelle européenne et dans la praxis de la gauche américaine. Lionel Jospin et François Hollande en furent les fossoyeurs avérés pour ce qui concerne la gauche modérée de gouvernement.
Jean-Luc Mélenchon a de manière tout à fait inattendue au regard de son parcours politique et de ses déclarations passées, fait à son tour basculer la gauche radicale dans ce gouffre. Le paradoxe veut que ce ne soit pas au nom des principes européens et de la culture américaine qu’il le fasse, mais sur la base d’un opportunisme électoraliste qui le pousse avec acharnement depuis au moins 2017 à rechercher dans le communautarisme et dans ses accointances avec l’islamisme et « l’antisionisme, les « 600 000 voix » qui l’obsèdent jour et nuit ; celles, dit-il, qui lui manquèrent pour être président de la République. Le second paradoxe consiste dans les méthodes de soulèvement populaire utilisées par LFI depuis cinq ans, directement issues des pratiques de community organizing de la gauche américaine ; elles renvoient Monsieur Mélenchon, peut-être à son insu, à la culture communautariste, ethnique et religieuse des Etats-Unis qu’il critique tant mais donc il importe en France les pires méthodes.
On ne peut s’étonner que les Verts aient rejoint les premiers la NUPES, sans difficulté majeure autre que des tractations d’arrière-boutique sur le nombre de candidats éligibles, les évolutions décrites ayant plutôt rapproché LFI de EELV que l’inverse. Il est plus difficile de comprendre le PS qui pourtant semblait sur une voie de retour à la république laïque depuis quelques années et a fortiori le PC, dont le candidat a affirmé et continue d’affirmer son engagement laïque et républicain, si l’on ne privilégie pas une lecture tactique consistant à passer un accord strictement électoral. On ne peut qu’espérer que, s’ils sont passés sous les fourches caudines de la France insoumise, la manœuvre pratique destinée à préserver l’avenir parlementaire et financier des deux partis se volatilisera instantanément dès le 20 juin 2022. Jean-Luc Mélenchon n’avait évidemment aucune chance d’être Premier ministre. On imagine évidemment que pas un des négociateurs de ces deux partis n’a cru une seconde à cette éventualité. Signer un accord de gouvernement dans ces conditions était fort peu contraignant. Si le marché de NUPES fut un marché de dupes, c’est autant pour LFI que pour le PS et le PC. On a d’ailleurs dès dimanche 19 juin au soir, entendu Fabien Roussel prendre ses distances et reprendre sa liberté et dès le 20 juin, les 3 autres formations de la NUPES rejeter unanimement la proposition de Jean-Luc Mélenchon de ne former qu’un seul groupe à l’Assemblée avec LFI.
Il n’en reste pas moins que cette conjonction de la liquidation des principes et des idéaux de la république laïque dans les deux coalitions dominantes, leur quasi-disparition dans la droite post-gaulliste et leur insupportable travestissement xénophobe à l’extrême droite, ont littéralement fait disparaitre cette question, fondamentale parce qu’elle est le socle de notre vie en commun et de notre bien public, de l’élection présidentielle et des élections législatives. Au point même que la quasi-totalité des rares candidats qui se réclamaient de ces principes et de ces idéaux et qui n’appartenaient à aucun des deux rassemblements ont été pour la plupart sèchement battus. Évoquons aussi ceux qui, ayant rejoint l’une ou l’autre coalition pour y défendre la position laïque et républicaine, ont été particulièrement maltraités et méprisés. Cette disparition est d’autant plus complète que l’effondrement de l’école, fabrique du citoyen républicain, a modifié la réalité sociologique d’une jeune génération tentée par le wokisme, fascinée par la repentance et gangrénée par le communautarisme.
Enfin, la violence économique et sociale qui frappe le monde et la France depuis 2008, l’accroissement sensible des inégalités, l’appauvrissement des classes populaires et des classes moyennes dont les salaires et les pensions sont en chute libre depuis des décennies, sous l’effet de mesures successives qui les rabotent sans cesse, l’éruption inflationniste, poussent les Français à tenter de sauver les meubles, leurs meubles, et à ne plus se battre pour une émancipation politique, économique et sociale collective. Le fait que les classes populaires choisissent désormais soit de s’abstenir massivement soit de voter majoritairement pour le RN, en est un signe qui ne trompe pas.
Face à cette constatation, de nombreux républicains laïques appellent à une sorte d’union nationale laïque et républicaine, qui regrouperait les bonnes volontés dans un arc allant de la gauche radicale à la droite démocratique, en passant par le parti du président. Nous pensons qu’une telle coalition n’a aucune chance de voir le jour, du fait des éléments que nous venons d’exposer. Nous sommes beaucoup plus persuadés de la nécessité impérieuse de reconstruire un parti de progrès humain, un parti progressiste et démocratique, un parti populaire, qui rendra au mot progrès son sens véritable. Depuis quinze ans, ce mot a été volontairement vidé de son sens et perverti par les différents présidents et gouvernements qui se sont succédé et qui ont baptisé ainsi le « bougisme régressif », social et politique, qui semble leur seule ligne de conduite.
En politique, tout est affaire de dynamique. Aujourd’hui, cette dynamique est l’apanage de LFI et du RN.
Le centrisme technocratique du « cercle de la raison », qui tente depuis cinq ans de convaincre qu’il n’y a pas d’alternative, vient de connaître un cuisant échec.
La droite classique est à la renverse. La gauche classique est déjà renversée. Si nous ne voulons pas qu’en 2027, les deux termes de l’alternative soit un choix entre Mme Le Pen et M. Mélenchon, il est temps de se mettre au travail.
Le programme est clair. Il est défini par la première phrase de l’article 1er de notre Constitution, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Ajoutons que la préoccupation écologique est désormais centrale, mais pas sous la forme répressive et hostile à l’espèce humaine considérée comme fautive, pas sous une forme anti-humaniste. Il faut adjoindre cette dimension à nos projets, en visant l’amélioration des conditions de la vie humaine grâce une exploitation respectueuse et raisonnée de la nature.
Unité Laïque va désormais œuvrer avec tous les acteurs politiques qui veulent s’appuyer sur ce programme constitutionnel pour reconstruire une République des « Jours heureux », émancipatrice et solidaire.
Jean-Pierre Sakoun
Président,
Unité Laïque