Dans une certaine mesure, la situation inédite dans laquelle le « cher et vieux pays » se réveille au lendemain du 2e tour des législatives à la suite de la reconduction par défaut et sans réelle adhésion à son projet de son président signe la fin des impostures et la limite des manipulations qui ont achevé de lasser les électeurs et ont eu pour effet d’alimenter un score de l’abstention atteignant le taux vertigineux de près de 54 % des 48,7 millions de Français en situation de participer au vote !
Plus d’un inscrit sur deux désavouant une consultation vitale pour l’avenir de la France dans un contexte international d’une extrême dangerosité !
Le peuple souverain a sifflé la fin de la farce sinistre ou tragi-comique, selon les sensibilités, du « En même temps » qui se jouait à son détriment depuis trop longtemps en infligeant un revers cuisant à la majorité sortante qui régresse de la position d’absolue à celle de relative. D’aucuns diront qu’il était temps, d’autres resteront dans le déni de la crise profonde dans laquelle la France se débat et se cramponneront à l’illusion d’une politique où la communication spécieuse a pris le pas sur l’action, la sincérité et la persévérance dans un cap tangible et identifiable sans tous les artifices qui ont caractérisé la mandature précédente et qu’un pouvoir aveugle et sourd aux signaux d’accident imminent pensait prolonger en tablant sur les craintes légitimes suscitées par le conflit en Ukraine et sur l’angoisse d’un avenir brumeux et anxiogène.
Il est arrivé le moment où plus personne n’est encore dupe des faux-semblants et des formules creuses – Grand débat, Etats généraux de ceci ou cela, Conseil national de la refondation, etc. -, la liste est longue de ces initiatives et artifices qui ne servent in fine qu’à gagner du temps et différer le chantier du redressement et des réformes dont le pays a cruellement besoin à l’heure actuelle et ce qui devait advenir à force d’escamoter les réalités et refuser le débat nécessaire à toute démocratie pour sortir de l’ornière d’une crise profonde et inscrite dans la durée des trois quinquennats précédents a fini par se concrétiser.
L’exécutif se retrouve bel et bien pris en tenaille entre deux des trois blocs antinomiques que sa chimère de refondation ou plutôt démolition du paysage politique traditionnel français sans avoir réellement eu quelque chose de nouveau à apporter a pu engendrer.
C’est un séisme qui succède à une longue fuite en avant mais il était fatalement inscrit dans la poursuite du jeu de bonneteau auquel on a assisté en fin de mandat et aujourd’hui tout est à rebâtir pour éviter au pays une impasse politique et à terme un naufrage encore plus profond que celui du 19 juin au soir.
A quelques jours de l’anniversaire de l’Appel du 18 juin 1940, celui lancé par le chef de l’Etat du tarmac de l’aéroport d’Orly, avant son envol pour la Roumanie, la Moldavie et sa visite à Kiev aux côtés du chancelier allemand et du président du Conseil des ministres italien, n’a pas eu l’effet escompté. Tout au contraire, il restera sans doute dans les annales du régime comme l’illustration d’une erreur d’appréciation et d’un rendez-vous raté avec l’histoire, en dépit d’une mise en scène dramatique mais hasardeuse où la grandiloquence des formules employées – « aucune voix ne doit manquer à la République… », « intérêt supérieur de la nation… » etc. – n’a pas convaincu les Français (ces fameux Gaulois irréductibles mais non sans mémoire…) d’accorder à nouveau les pleins pouvoirs à une majorité tout sauf solide au lendemain d’un scrutin de 2e tour inédit à ce jour…
Les chiffres des résultats scellent l’échec d’une manœuvre qui aura tourné au pari perdu pour l’exécutif et la « macronie ».
Ils illustrent, fait majeur et non prédit, la progression et percée historiques du Rassemblement national diabolisé et vilipendé sans nuances dans les dernières campagnes par ses adversaires d’une manière uniforme de plus en plus irrationnelle aux yeux des millions de Français qui se reconnaissent dans cette formation en passe d’achever sa mue de parti paria en opposant crédible au fil des élections parce qu’elle répond à l’attente, qu’on le veuille, le déplore ou non, d’un électorat populaire incarnant une droite non élitiste, éternel perdant du déclassement et de l’appauvrissement qui se sont accentués au fil des décennies de mondialisation, victime de l’insécurité « ordinaire », aux antipodes des premiers de cordée de la « start-up nation ».
Le score de la coalition de gauche NUPES, s’il n’ouvre pas les portes de Matignon à son artisan, le tribun de LFI arrivé en troisième position de la présidentielle, constitue l’autre coup de tonnerre du séisme du 19 juin 2022 sur fond de régression inexorable des ex-partis de gouvernement espérant jouer, malgré la vérité crue et sans fard des chiffres, le rôle d’arbitre de touche dans cette Assemblée nationale à la composition d’autant plus saisissante qu’elle est toujours régie par le mode de scrutin majoritaire à deux tours !
Images et symboles crépusculaires tout au long d’une soirée électorale qui marquera un tournant décisif, rompant avec l’atonie des derniers mois et le tempo désespérément lent des premières semaines de la deuxième mandature du vainqueur paradoxal du 24 avril 2022, aux décisions comme suspendues dans l’attente de ce grave accident de navigation, rien n’aura manqué pour souligner le caractère hors norme de cet épisode raté et lourd d’incertitudes et d’interrogations pour la suite des événements dans le cours de ce deuxième quinquennat…
Le discours mécanique d’une Première ministre élue à Vire (Calvados) certes mais avec une marge faible face à un jeune candidat du parti des Verts âgé de 22 ans au score plus qu’honorable, censée assurer la victoire à son camp, appelant à respecter le jeu de la démocratie, tranchait singulièrement avec le dynamisme de celui des leaders des oppositions de gauche et nationale. La défaite de deux figures de proue de la « macronie », l’influent détenteur du perchoir à l’Assemblée nationale et le chef du groupe parlementaire LREM, ex ministre de l’Intérieur honni par les Gilets jaunes, l’éviction de trois ministres, illustrations de la parité homme-femme dans le gouvernement appelé à être urgemment remanié, augurent bien mal d’une séquence 2 entamée avec un tel désaveu pour un président et son camp renvoyés à leurs contradictions, certitudes infondées et erreurs d’appréciation sur la profondeur du malaise installé durablement dans le pays.
Tout est à repenser et il est urgent de regarder la situation en face s’il est encore possible d’éviter la paralysie pour un exécutif confronté au réveil brutal de ceux qui l’ont reconduit désormais sous conditions de résultats et de changement de méthodes et pratiques, faute de quoi les incantations et appels à compromis (compromissions ?) s’avéreront lettre morte et le « cher et vieux pays » paiera au prix le plus dommageable l’ambiguïté d’une réélection présidentielle où le « pour quoi faire? » se transformera en la mauvaise posture de trop…