En tant que constitutionnaliste nous en avons soupé d’écouter cette symphonie du référendum qui est jouée depuis quelques années. Tant au sommet de l’Etat que quelques étages plus bas. A gauche comme à droite et même (surtout) aux extrêmes ! Et nous déplorons que certains collègues se prêtent au jeu cette référendite aigue de mauvais aloi. Attention que les choses soient claires ! Nous ne sommes pas contre le référendum qui est certainement le plus beau procédé démocratique. Mais nous plaidons pour une utilisation conforme à la seule règle qui vaille : la Constitution de 1958. Celle-ci fixe un cadre qu’il convient de rappeler.
En France, la possibilité d’organiser des référendums est donc inscrite dans la Constitution à plusieurs articles :
- l’article 11 prévoit le référendum législatif qui permet l’adoption d’une loi ;
- l’article 89 le référendum constituant dans le cadre d’une révision constitutionnelle ;
- l’article 72 autorise l’organisation d’un référendum local dans l’ensemble des collectivités du territoire français ;
- le référendum d’initiative partagée, prévu également par l’article 11, est aussi un référendum législatif. Il peut être déclenché après qu’une proposition de loi a été soutenue par un dixième du corps électoral.
Reprenons-les pour mieux fixer les règles parmi les plus démocratiques de notre République.
- L’article 11 de la Constitution de 1958, prévoit donc le référendum législatif. Il est organisé à l’initiative du président de la République, soit sur proposition du Gouvernement, soit sur proposition conjointe de l’Assemblée nationale et du Sénat. Contrairement à ce qu’avancent certains politiques, on ne peut pas faire de référendum sur n’importe quel sujet. Le texte soumis au référendum peut porter uniquement sur les sujets suivants : l’organisation des pouvoirs publics ; l’autorisation de ratifier un traité international ; les réformes affectant la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et les services publics y concourant.
Ce type de référendum a été utilisé, par exemple, en 1992 pour la ratification du traité de Maastricht sur l’Union européenne ou en 2005 sur le projet de constitution européenne.
Sauf à ne pas savoir lire ou avoir l’esprit embrumé, il n’est donc pas possible de faire un référendum « sur l’immigration » de façon générale. Interroger le peuple sur « êtes-vous pour ou contre l’immigration ? » comme le suggèrent certains, serait tout bonnement inconstitutionnel. Il en va de même sur la peine de mort.
Le président Macron et son gouvernement semblent tellement obsédés par le référendum, qu’ils sont même prêts à mettre en place « un référendum à plusieurs questions » voire « un pré référendum ». Référendum à plusieurs questions, nous avons déjà eu cela avec le général de Gaulle en 1969. Deux questions furent posées, l’une sur la régionalisation, l’autre sur la fusion Sénat/ Conseil Economique et Social. Plutôt que de répondre intelligemment à ces questions pourtant essentielles et d’avenir, l’électorat a préféré régler son compte à l’Homme du 18 Juin. Il faut se méfier de ce type de questions. Il convient de les manier avec précaution et clairvoyance. D’abord pour une raison majeure et qui pourra choquer mais peu importe : l’électorat est de moins en moins en moins éclairé. Désolé mais notre société depuis une vingtaine d’années subit scolairement un nivellement par le bas.
Que ce soit dans le privé ou dans le public, les recruteurs constatent une baisse du niveau général (culture, savoirs fondamentaux,) des candidats. Nous le constatons assez régulièrement dans les jurys où nous siégeons.
On le sait, et nous le déplorons depuis belle lurette, une immense majorité de nos concitoyens n’ont jamais lu la Constitution. Certains ne savent même pas qu’elle existe ! Quant à la lucidité de l’électorat, on peut avoir de sérieux doutes depuis les dernières municipales et la « vague verte » qui a emporté certaines villes (Lyon, Bordeaux, Strasbourg par ex). On voit ce qu’elles sont devenues tant en matière économique que sécuritaire….
“J’ai rencontré dans la vie plusieurs animaux pas beaucoup plus idiots que bien des électeurs.” (Alphonse Allais). Nous nous interrogeons parfois sur l’éventualité de revenir au suffrage censitaire voire capacitaire….
- Veran a évoqué le « pré référendum ». Qu’est-ce que ce concept abscons ? « C’est un concept qui nous permettrait de tester plusieurs sujets à la fois au cours d’un même vote. Vous pouvez poser des questions multiples aux Français. Je ne dis pas que c’est ce qui est sur la table, mais aucune porte n’est fermée ». Ce n’est ni plus ni moins qu’une usine à gaz dans le plus pur style macronien ! Comme le souligne aussi notre collègue Benjamin Morel «l’organisation pratique d’une multiplicité des référendums, une urne par vote, rendrait cette option difficile ». Impossible même !
Les domaines du référendum législatifs sont clairs, nets et précis. Il n’est qu’à y recourir selon la lettre de l’art. 11. A notre sens, mais le gouvernement Borne ne s’y risquera pas, un référendum sur les retraites pourrait être envisagé. On est incontestablement dans le domaine des réformes sociales. Mais il conviendra de bien formuler la question afin que celle-ci soit intelligible.
Quant à ce référendum législatif, il va de soi qu’il y a toujours un risque pour le président de la République à le mettre en action. En effet depuis la dérive plébiscitaire impulsée par le général de Gaulle, l’électorat a tendance à plus s’intéresser à celui qui pose la question qu’à la question posée. Et comme le relevait malicieux VGE en 2005 « c’est une bonne idée d’avoir choisi le référendum, à condition que la réponse soit oui. » En l’espèce un référendum mis en place par E. Macron risque d’être problématique ! Convenons toutefois que même si la réponse est négative, le mandat du chef de l’Etat n’est pas du tout en cause. Seule la réforme passe aux oubliettes !
-
L’art. 89 : le référendum constituant
Le référendum constituant permet la révision de la Constitution. La révision constitutionnelle peut être initiée par le président de la République sur proposition du Premier ministre (c’est alors un projet de révision) ou par le Parlement (c’est une proposition de révision).
Dans le cadre de la procédure de révision, les deux assemblées ont les mêmes pouvoirs. C’est pourquoi le projet ou la proposition de révision constitutionnelle doit être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. Une chambre peut donc bloquer la procédure (le Sénat s’y est adonné quelques fois).
Le référendum n’est pas obligatoire pour les projets de révision constitutionnelle. En cas de projet de loi constitutionnelle, le président de la République peut écarter le recours au référendum et soumettre directement le texte à l’approbation du Parlement. Le texte est adopté s’il obtient les trois cinquièmes des suffrages exprimés des deux chambres réunies en Congrès à Versailles. En revanche, en cas de proposition de loi constitutionnelle, le recours au référendum est obligatoire.
Les puristes vont nous maudire mais nous ne saurions faire l’économie d’étudier l’usage du référendum législatif pour réviser la Constitution. C’est la technique utilisée par le général de Gaulle dès 1962. Cette année-là, afin de faire passer son projet d’élection du président de la République au suffrage direct, le général décide de passer par le référendum de l’art. 11. Que n’a-t-il pas entendu !
Le président du Sénat en personne, G. Monnerville, parle alors de « forfaiture ». La majorité des constitutionnalistes de l’époque se positionnent d’ailleurs de la même façon. Comme les leaders de la gauche (Mitterrand, Mendès-France). Le général fait fi de cela et obtient une large victoire : 62,2% des suffrages exprimés approuvent le projet de loi prévoyant l’élection du président de la République au suffrage universel direct, 37,8% se prononçant contre. L’onction du suffrage universel clôt le débat sur la constitutionnalité de la procédure. F. Mitterrand, lui-même, admettra en 1994 que cette dernière est devenue un des moyens de révision de la constitution !
Mais l’autre grande nouveauté de ce référendum c’est sa « plébiscitarisation ». En effet le général de Gaulle rattache la pérennité de son mandat à la victoire du oui. Et si le non l’emporte, il annonce quitter le pouvoir. C’est ce qu’on appelle le référendum-plébiscite dans le plus pur style napoléonien.
« Au fond mon père était élu par référendum » nous confia un jour l’Amiral de Gaulle. Et il est vrai que la présidence du général fut ponctuée de 5 référendums : 1958 (adoption de la Constitution), 1961 (autodétermination algérienne), deux en 1962 (accords d’Evian et élection directe du président), 1969 (régionalisation et fusion Sénat /CES). Avec 11 ans de présidence, cela fait environ un référendum tous les 2 ans. Si l’on rajoute les deux élections présidentielles de 1958 et 1965, cela permet au général d’être venu devant les électeurs tous les 1, 5 ans environ. Qui dit mieux depuis 1958 ? Pas mal pour celui que certains esprits crétins ont traité de « dictateur » ! …..
-
Le référendum local
Le référendum local permet au corps électoral de se substituer à l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale pour prendre une décision sur un sujet lié à la politique locale. Ce type de référendum est ouvert à toutes les collectivités territoriales depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 (article 72-1 alinéa 2). D’après les modalités fixées par la loi organique du 1er août 2003, le scrutin vaut décision s’il réunit les conditions suivantes :
- si la moitié (ou plus) des électeurs inscrits a pris part au scrutin ;
- s’il réunit la majorité des suffrages exprimés.
- L’exécutif local est seul compétent pour proposer à l’assemblée délibérante l’organisation d’un référendum local.
2022 aura été l’année record pour la démocratie directe locale en France, avec 74 référendums locaux et consultations locales, contre 26 en 2021, 8 en 2020 et 10 en 2019. Rien que sur les éoliennes il y en a une quinzaine. On peut constater qu’avec près de 36000 communes, c’est assez peu. L’immense majorité de ces référendums sont organisés au niveau communal, parfois départemental et quasiment jamais au régional. Il existe une certaine frilosité des élus à recourir à cette procédure qui est pourtant un beau moyen d’expression démocratique. Mais il est vrai qu’il est aussi assez complexe à mettre en œuvre.
Pouvant être organisé par toute collectivité territoriale française, un référendum local permet à la population de décider de la mise en œuvre ou non d’un projet à la même échelle. Il se distingue ainsi de la consultation locale, qui est une consultation des électeurs pour simple avis.
Lorsqu’un projet est adopté par référendum local, la collectivité à l’origine du scrutin doit suivre les règles de publicité et de contrôle en vigueur pour ses délibérations. L’application juridique de la décision est obligatoire. Il s’avère que sur les 74 votes recensés en 2022, à peine une dizaine rentraient formellement dans le cadre légal, les autres étant organisés comme des référendums classiques, mais uniquement à portée consultative (www.lefigaro.fr/, 10 /1/2023). Il conviendrait de revoir les règles en la matière et assouplissant le cadre fixé en 2003. JP Raffarin lui-même qui en fut l’artisan principal en a convenu avec nous voici quelques années.
-
Le référendum d’initiative partagée (RIP)
Pendant des mois les gilets jaunes ont réclamé un Référendum d’Initiative Citoyenne. S’il y avait besoin d’une seule preuve de l’incurie totale de certaines franges de notre population, elle serait dans cette revendication saugrenue. Ce type de référendum existe déjà ! Gardons en tête que certains partis l’ont soutenu. LFI par exemple qui n’est pas, il est vrai, à une imbécillité près. Une fois encore on constate que la Constitution est ignorée du plus grand nombre. « Même sous la constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave » (Condorcet). Nous y sommes ! Mais les esclaves se rebellent un peu depuis quelques années.
Introduit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le référendum d’initiative partagée peut être enclenché si une proposition de loi recueille le soutien :
- d’un cinquième des membres du Parlement ;
- d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.
Attention, le référendum d’initiative partagée est différent du référendum d’initiative populaire ou citoyenne. Le référendum d’initiative populaire existe à l’étranger.
En Italie, il peut être lancé à la demande de 500 000 électeurs tandis qu’en Suisse, 50 000 électeurs suffisent. Autant il fonctionne bien en Suisse et depuis des décennies, autant en Italie c’est plus compliqué.
Rappelons que, le 10 avril 2019, des parlementaires, en nombre suffisant, ont déposé une proposition de loi parlementaire « visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris ».Dans sa décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, le Conseil constitutionnel a jugé que cette proposition de loi était conforme aux conditions fixées par l’article 11 de la Constitution et par l’article 45-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958. Le ministre de l’intérieur a ensuite mis en œuvre, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, le recueil des soutiens apportés par les électeurs à la proposition de loi. Dans sa décision n° 2019-1-8 RIP du 26 mars 2020, le Conseil constitutionnel a constaté que la proposition de loi n’avait pas obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, ainsi que le requiert l’article 11 de la Constitution pour permettre la poursuite de la procédure devant le Parlement et, le cas échéant, conduire à l’organisation d’un référendum. À l’issue du conseil des ministres du 11 mars 2020, la porte-parole du gouvernement a précisé que, dans le contexte provoqué par le coronavirus COVID-19, les conditions de marché ne permettent d’envisager la privatisation d’ADP.
Les parlementaires de gauche ont demandé à deux reprises, au printemps dernier, la mise en place d’un RIP pour fixer l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans. Conformément à la Constitution, les propositions de loi ont été examinées par le Conseil Constitutionnel. Pour la seconde fois, ce dernier a rejeté le texte au motif comme non conforme. Les Sages « ont notamment estimé que la demande de référendum “ne porte pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une réforme relative à la politique sociale” (principal point que le Conseil devait vérifier).
Il est assez incontestable que le Conseil s’est montré fidèle à sa ligne précédente en la matière. Un peu moins d’un mois avant, rappelons qu’il avait validé l’essentiel de la réforme des retraites.
Les choses sont claires à cet égard. En voulant fixer le départ à la retraite à 62 ans, la démarche parlementaire avait aussi comme but d’abroger la réforme Borne. Il apparait que l’abrogation d’un texte infra législatif et supra décrétale (ndlr : ce qu’est une ordonnance) n’est en aucun cas prévu par l’article 11.
Voilà donc ce que l’on pouvait dire en quelques mots sur ce procédé démocratique essentiel qu’est le référendum. Au moment de conclure précisons qu’il n’est sûrement pas à mettre entre toutes les mains. Or depuis quelques décennies ceux qui ont cette procédure à disposition (ie ceux qui nous gouvernent) ne nous semblent pas aptes à cela.
Les deux derniers référendums datent de 2000 (quinquennat) et 2005 (TCE). Ils avaient été impulsés, on le sait, par J. Chirac. En bon héritier pompidolien, ce dernier n’a pas du tout personnalisé les scrutins. Ils se sont déroulés dans un contexte assez apaisé.
Notamment celui sur le quinquennat en 2000 qui approuva à 73 % mais avec une abstention record (69,8 % des inscrits) et les bulletins blancs ou nuls (16,1 % des votants) atteignant un niveau inégalé pour un scrutin national en France. Un certain nombre électeurs se sont fichus de cette réforme. Ce qui prouve bien aussi leur ignorance coupable de l’importance de la réforme. Cela étant ceux qui l’ont approuvé n’ont certainement pas mesuré les conséquences de celle-ci. Une dénaturation de la fonction présidentielle par une implication décuplée du locataire de l’Elysée.
Au risque d’une lapalissade, cinq ans c’est plus court que sept ! Cinq ans c’est un an de plus que le mandat du président américain.
Donc ce quinquennat incontestablement américanise le régime et la présidence. Le président a, bien plus qu’avec le septennat, très vite l’obsession de la réélection (sauf F. Hollande qui fut assez vite hors-jeu). Notons que c’est un des premiers référendums depuis 1958 à avoir été l’œuvre commune du président et du Premier ministre (L. Jospin). En pleine cohabitation, notons qu’aucun des deux n’a cherché à tirer avantage du résultat.
Le dimanche 29 mai 2005, au terme d’un débat démocratique d’une exceptionnelle vitalité, le peuple français rejette à une écrasante majorité (55%) le projet de constitution européenne. Il y a même une forte participation (70%) et une abstention modérée (30%). Comme nous l’a confié JP Raffarin, « un grand nombre d’électeurs a voté contre Chirac et notre politique plutôt que pour le texte ». C’est d’ailleurs à l’issue de ce vote qu’il quitta Matignon. Rappelons que le projet de constitution est remplacé par le Traité de Lisbonne que N. Sarkozy fait approuver par la voie parlementaire comme l’y autorise l’art. 3 de la Constitution. N’en déplaise à tous les Cassandre qui estimaient qu’il fallait à nouveau recourir au référendum. Là encore que d’inepties racontées….
Durant le grand raout qu’a organisé (à quel prix !) E. Macron à l’Ecole de la Légion d’Honneur la semaine passée, il a encore été question du référendum. Mais dans un flou artistique total ! Vu le rejet qu’il suscite, il est évident qu’E. Macron devrait s’abstenir de faire un référendum.
Il est le processus démocratique par excellence. Si la République est bien le “gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple”, selon la formule d’Abraham Lincoln reprise par la Constitution française, alors il est normal de demander au Peuple, seul souverain, ce qu’il veut. Il s’avère que depuis 2005, plus aucun référendum n’a été organisé. Doit-on y voir le symptôme d’une « populophobie » de nos élites pour reprendre l’expression de Guillaume Bigot ? Certainement. Nous revenons à ce que nous disions ci-dessus. Et au risque de choquer, ce qu’est devenu une partie du peuple nivelé par le bas et insécure pour moult raisons, pose gravement question.
« Donne au peuple du pain et des jeux, il ne se révoltera pas. Donne-lui la peur et l’inconfort, il se baissera pour prendre un pavé au sol » (Jean Dufaux)
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités