Le Premier ministre, Edouard Philippe, doit présenter mercredi prochain l’intégralité du projet de réforme des retraites qui doit fondre 42 régimes existants en un système unique à points. Réaction de Laurence Taillade, présidente du Parti Républicain Solidariste.
La question de la réforme des retraites mérite mieux qu’un simple débat comptable qui oppose les avis d’experts. La France est une république sociale qui fonde son contrat sur la solidarité. Les générations ne sont pas exemptes de ce principe. L’arbitrage entre retraite à points ou maintien du régime actuel, avec des aménagements d’envergure pour assurer une réelle équité, doit nous pousser au-delà de la simple question technique mais vers une question d’éthique et de principes fondamentaux.
Le régime actuel fut fondé selon les principes de Léon Bourgeois qui avait théorisé l’hypothèse selon laquelle, « L’individu isolé n’existe pas ». Ce qu’il dénomme « solidarisme » repose sur le postulat d’une solidarité fondée sur l’obligation morale et juridique. Basé sur les règles de l’équité, ce concept autant philosophique que politique, présuppose de l’existence d’un contrat librement consenti par les membres d’une collectivité donnée, plutôt que sur une action contraignante de l’État. L’impôt s’en trouve justifié par le « quasi-contrat » « rétroactivement consenti » par tout individu qui se réclame d’un groupe social et se vit comme l’acquittement d’une dette envers la société, selon des règles communément admises et régulièrement renégociées par les membres de la société.
Ainsi, droits et devoirs deviennent les conséquences d’un contrat moral, réunis sous le concept de « sentiment social », que les Hommes décident librement de respecter pour vivre en collectivité. L’impôt, les cotisations sociales, les réglementations diverses deviennent les conditions d’exercice des libertés individuelles qui ne peuvent s’exprimer pleinement que dans un cadre accepté par tous.
Impossible d’évoquer le solidarisme sans s’inquiéter du sort réservé à nos retraités, abandonnés par le système.
La précarité est prégnante chez les femmes, notamment, qui ont consacré une grande partie de leur vie à des activités que l’on qualifie de non productives, bien qu’ayant pleinement contribué à ce contrat social. Éducation des enfants, soutien à un conjoint commerçant, activité associative bénévole, soutien à des personnes handicapées ou en situation de dépendance, elles sont ces mains généreuses qui ont contribué à alléger la dette sociale pour la faire leur. Ce travail pour la communauté est bien mal reconnu et rémunéré, à l’heure de la retraite. Alors que l’État s’est exempté d’assumer la charge de la garde des enfants, des activités culturelles et sportives, de l’assistance aux personnes dépendantes, handicapées, principalement assurées par des associations, ou des femmes qui ont renoncé à travailler, sans qui ces pans entiers de notre société seraient réduits à peau de chagrin tant ils semblent superficiels pour les gouvernements successifs de ces années passées.
Or, cette générosité est totalement méconnue, lorsqu’il s’agit du départ en retraite et ces personnes qui ont pleinement rempli leur part du contrat se trouvent exclues de reconnaissance de droits à une dette que la société a contractée envers elles. Cela doit cesser.
Il est temps que cette générosité paye, soit reconnue à son juste niveau, d’autant plus que, sans elle, c’est tous ces pans de la collectivité qui se retrouveraient non traités, non pris en charge.
Il n’est pas tolérable de fermer les yeux sur ces petites retraites, comme si elles étaient la conséquence d’une vie oisive et inutile. C’est même scandaleux. Pourtant, la réforme annoncée laisse à penser que tout minima sera suspendu à une obligation de validation de trimestres. La question réside dans l’ouverture de droit à des trimestres : le bénévolat permettra-t-il d’y accéder ?
On se rend bien compte, au contact du réel que le système est bien à remettre à plat, mais pas à mal, tel qu’on semble vouloir nous le faire accepter, à coup de campagnes de projections critiquables à bien des égards et souvent contredites, notamment sur la viabilité du système actuel. En effet, selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), le déficit du régime à horizon 2025, s’établirait de 8 ou 17 milliards d’euros selon les calculs. Mais l’équilibre, du fait de l’évolution démographique, devrait être de retour après 2030, ce que le gouvernement actuel se garde de dire, pour nous faire accepter un système plus idéologique qu’utile. En effet, selon le COR, « plus les économies sont importantes en matière de rémunération des agents publics, plus la masse salariale du secteur public se contracte et plus les ressources affectées au système de retraite sont faibles. Ainsi la maîtrise des dépenses publiques à travers la maîtrise des rémunérations et de l’emploi dans la Fonction publique se traduit, du fait de la convention utilisée, par des ressources moindres pour le système de retraite et partant, à une dégradation du solde ». Le problème, qui a bien été compris par les fonctionnaires, dont le point d’indice est gelé depuis de trop nombreuses années, est le niveau des salaires qui conditionne aussi le volume des cotisations.
L’une des clés de l’équilibre passe, inévitablement, par une hausse des salaires (source d’impôts sur le revenu), compensée par une baisse des charges patronales. Le mécanisme, comme on a pu le constater avec l’augmentation de la prime d’activité, contribue directement à relancer l’activité économique par une hausse de la consommation des ménages, elle-même génératrice de ressources fiscales.
L’autre piste passe par la protection des seniors et leur maintien dans l’emploi. En effet, le taux d’emploi des 55-64 ans est de 51%, dans notre pays. Il est le fruit de fins de carrières anticipées et de périodes de chômage longue durée. L’État doit pouvoir assurer une fin de carrière pérenne à cette classe d’âge. Il est temps d’imaginer une solidarité intégrant l’accompagnement intergénérationnel dans l’entreprise, ce qui favoriserait, aussi, l’apprentissage chez les plus jeunes. Nos seniors ont des compétences à transmettre ; à nous de savoir les valoriser tout en favorisant, dans un même temps, un décrochage dégressif de la carrière, par exemple.
Le système universel, que demande une majorité de Français, à juste titre, ne peut sérieusement être envisagé sans une période transitoire au cours de laquelle doivent cohabiter deux régimes.
L’un pour les fonctionnaires, aujourd’hui sous-rémunérés et ne pouvant pas absorber un calcul sur une carrière complète, ni même sur les 25 meilleures années, comme pour le privé. L’autre pour le régime privé, qui doit être maintenu en l’état, et vers lequel le régime public pourra converger, progressivement, au rythme de la ré-indexation des salaires des fonctionnaires sur des niveaux de rémunération décents.
Il est impératif qu’une retraite universelle voie le jour, intégrant un dispositif de minimum vieillesse au niveau du smic, valorisé pour toutes les personnes en capacité de justifier un investissement dans une structure contribuant à l’intérêt général. Mais celui-ci ne peut s’inscrire que dans le cadre d’une refonte globale de notre système de solidarité, de société, dont le Revenu Universel d’Existence1 pourrait-être une des composantes majeures.
Enfin, le France doit créer ses propres fonds de pension, pour financer les compléments retraite, dont les investissements devront être fléchés, exclusivement, vers le financement des entreprises françaises. Nous ne pouvons pas laisser les assurances privées s’emparer du marché juteux qui semble leur avoir été promis, en compensation de lourds efforts sur les remboursements optiques, auditifs et dentaires. L’argent des salariés français doit être placé dans des entreprises qui les emploient et créent des richesses sur notre sol.
La réforme, telle qu’elle se profile aujourd’hui, semble être une tentative désespérée d’alignement sur des modèles européens qui ont massivement appauvri les plus anciens.
En Suède, la retraite par point a causé la baisse des pensions de base d’un tiers et provoqué une augmentation massive des activités salariées de complément. Ainsi, 38 % des plus de 67 ans travaillent encore ; 14,8 % des retraités suédois étant classifiés comme pauvres, selon l’OCDE, contre 7,3 % pour la France.
Aucune personne sensée ne peut souhaiter une chose pareille. Pourtant c’est à priori le modèle vers lequel le rapport Delevoye nous entraîne. Nous avons hérité notre système de longues années d’une philosophie unique, qu’il nous revient de préserver, en sortant des dogmes libéraux qui semblent vouloir broyer l’humain sous les rouleaux compresseurs de la financiarisation de la société.
Laurence Taillade
Présidente du Parti Républicain Solidariste
- https://www.huffingtonpost.fr/laurence-marchand-taillade/revenu-unique-existence-societe-economie_b_9457166.html ↩