Suite à la publication du rapport annuel de la Cour des comptes, Laurence Taillade, Présidente de Forces Laïques, revient sur les conséquences de la réforme territoriale pour la Revue Politique et Parlementaire.
Douche froide sur la réforme territoriale suite à la publication du rapport annuel de la Cour des comptes ! Le passage de 22 régions à 13, dont l’objectif était de faire 10 milliards d’économies, aura généré une augmentation des dépenses de 207 millions d’euros.
Seules deux régions ont baissé leurs dépenses, l’Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts de France, quand d’autres les ont faites exploser, à l’image de l’Occitanie dont le budget a progressé de 11,7 %.
Comptant probablement sur l’éthique des élus, François Hollande, qui a imaginé cette grande fusion des régions, a sans doute négligé que le bal des égos l’emporterait sur l’intérêt général. Pourtant, dès les premières minutes de négociation de cette réforme, comprenant la suppression des départements, les tensions ont été vives au sein de la majorité, les petits barons locaux ne s’imaginant pas perdre les mandats qu’ils occupaient depuis des décennies.
Ainsi, les régions ont-elles fusionné, sans logique réelle qu’elle soit territoriale ou budgétaire.
Pour tout effort d’économie, les conseils régionaux ont aligné les indemnités des élus à la hausse, les frais de déplacement des agents et des conseillers régionaux ont explosé, pour maintenir les anciennes capitales régionales, les frais de fonctionnement se sont maintenus (alors qu’ils auraient dû, mécaniquement, baisser par le biais d’économies marginales à minima touchant aux assurances, dépenses d’énergie et achat de fournitures).
Il semble que l’erreur de base ait été de revenir sur la réforme du conseiller territorial, qui permettait un passage de 6.000 à 3.500 élus1. Erreur à laquelle il faut ajouter l’absence de contrainte en termes de dépenses, de recrutement, de compétences.
De ce fait, les régions ont éloigné un peu plus les citoyens des centres de décision sans que les objectifs escomptés n’aient été atteints.
Ce premier renoncement à la nécessaire décentralisation est aggravé par la suppression en cours de la taxe d’habitation, puisqu’elle touche directement à l’autonomie financière des territoires locaux, pourtant le meilleur échelon pour agir directement dans le quotidien des Français.
Cette décentralisation est un double échec. Échec de l’objectif visé, sur le plan des d’économies d’échelle, parce qu’elle a été envisagée via un compte de résultat, comme un pur acte administratif, en faisant abstraction des hommes à qui elle a laissé une trop grande marge de manœuvre. Échec local, car les greffes ne prennent pas : on ne fera jamais accepter à un Auvergnat d’être Rhônalpin et inversement. L’émergence de la marque Auvergne, par exemple, en est la preuve évidente.
La grande réforme de l’Etat, urgente et nécessaire pour les économies d’échelle qu’elle doit générer ne vient pas, probablement par manque de courage. Pour être pleinement efficace, elle doit s’articuler sur trois axes.
D’abord une suppression des superpositions de couches administratives et électives : dans les départements, les structures politiques – les conseils départementaux – et les structures administratives d’État – les préfectures – cohabitent sur la même zone géographique, alors que les communautés d’agglomération montent en compétences. La logique voudrait qu’on abandonne les conseils départementaux au profit d’une plus grande autonomie de gestion des communes, échelon de proximité dont les Français ont besoin et seule à même de répondre avec efficacité aux problématiques locales. Pour s’assurer d’un lien de proximité entre le canton et la région, la restauration du conseiller territorial serait une solution acceptable, à condition de revenir à l’ancien découpage régional. Le budget actuel des conseils départementaux – 80 milliards d’euros, dont une large partie est dédiée à des frais de fonctionnement – semblerait tout aussi utile redistribué entre les acteurs régionaux et municipaux, tout en fixant l’objectif de suppression de postes de fonctionnaires excédentaires.
Ensuite, il semble inévitable de décider d’une répartition des compétences claire entre les différents acteurs territoriaux, afin d’éviter, une fois encore, des inégalités de traitement géographiques, mais aussi la superposition de mesures peu efficaces. Saupoudrer à chaque niveau revient à faire bien peu quand on pourrait mutualiser les ressources : aux régions la formation, l’emploi et les transports, aux communes la solidarité, par exemple. Il faut cesser ce principe de compétences élargies qui ne marche pas et crée des doublons administratifs, notamment en nombres de fonctionnaires et d’infrastructures coûteuses.
Enfin, il faut donner une réelle autonomie fiscale aux équipes municipales, par la liberté sur le vote des taux d’imposition, afin de permettre une visibilité à long terme et une dynamique d’investissements dans des infrastructures locales, des routes, des écoles… Aujourd’hui, les Maires sont trop dépendants des dotations de l’Etat pour se permettre autre chose que de la gestion au quotidien, en mode projet.
Le retour à une démocratie de proximité est au prix de ces réformes de fond qui permettraient de réelles économies d’échelle et de fonctionnement.
C’est le type de choix courageux qui doit être inscrit à la réforme constitutionnelle, plutôt que de supprimer 30 % de parlementaires, promesse démagogique calquée sur des sondages. On ne peut vider les territoires de leurs élus sans courir le risque de les déconnecter des réalités de terrain dont ils doivent s’inspirer. Or, supprimer des parlementaires, c’est élargir les circonscriptions et, donc, éloigner les élus de leur base, sans réaliser d’économie, puisque cette réforme est promise à budget constant.
Redonnons le pouvoir local à ceux qui connaissent le terrain, les Maires. Revenons à des structures à échelle humaine, proches des citoyens, par des régions dans lesquelles les Français se reconnaissent. Partageons les compétences pour mieux agir sur chacune d’entre-elles. Cherchons l’efficacité de chaque centime investi pour qu’il ne se perde plus en dépense de fonctionnement mais soit bien dirigé au profit de l’intérêt général et, surtout, de ceux qui en ont le plus besoin.
Laurence Taillade
Présidente de Forces Laïques
- Conformément à la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, les conseillers territoriaux devaient remplacer les conseillers régionaux et les conseillers généraux. Les premiers conseillers territoriaux devaient être élus en 2014. ↩