Soulignant, dans sa déclaration de politique générale du 14 janvier devant l’Assemblée nationale, que la réforme des retraites était « vitale pour notre modèle social », François Bayrou n’en a pas moins exprimé sa volonté de « remettre ce sujet en chantier avec les partenaires sociaux pour un temps bref et dans des conditions transparentes ». La « réforme de la réforme » ainsi annoncée s’avère cependant problématique.
Si le Premier ministre a ouvert la porte à une « réforme de la réforme des retraites » à l’automne (I), certains estiment souhaitable et possible de remettre en cause la loi de 2023 à plus brève échéance. Nous ne le pensons pas, d’abord parce que la loi de 2023 a commencé à produire des effets irréversibles (II 1), ensuite parce que les moyens envisageables pour l’abroger ou la suspendre à bref délai rencontrent tous de sérieuses difficultés (II 2). Quel qu’en soit le terme, la remise en cause de la réforme de 2023 se heurte, sur le fond, à des objections essentielles (III).
I. Le Premier ministre a ouvert la porte à une « réforme de la réforme des retraites »
Une conférence sociale se tiendra pendant trois mois, a indiqué le Premier ministre le 14 janvier. Si au cours de ce « conclave », les partenaires sociaux trouvent un accord (même partiel) ne dégradant pas l’équilibre financier du système, cet accord sera traduit dans la loi. En revanche, s’ils ne parviennent pas à s’accorder, « c’est la réforme actuelle qui continuera à s’appliquer ». Ce dernier point ne pouvait manquer d’irriter les représentants du parti socialiste, comme tous les autres opposants à la réforme, qui demandaient une nouvelle loi quel que soit le résultat du « conclave ». Pour autant, le débat de fond étant ainsi différé, le Premier ministre parvient provisoirement à enfoncer un coin au sein d’une gauche jusqu’ici unie dans son opposition radicale à la loi de 2023.
La réforme des retraites ne sera donc, dans l’immédiat, ni abrogée, ni suspendue.
Mais elle pourra être aménagée à l’issue de la conférence sociale, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 : « La loi de 2023 a prévu que l’âge légal de départ passerait à 63 ans fin 2026. Une fenêtre de tir s’ouvre donc. Je souhaite fixer une échéance à plus court terme : celle de l’automne, où sera discutée la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. J’ai la conviction que nous pouvons rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem ni tabou – pas même l’âge de la retraite –, à condition qu’elle réponde à l’exigence fixée : nous ne pouvons pas laisser dégrader l’équilibre financier que nous cherchons et sur lequel presque tout le monde s’accorde. Ce serait une faute impardonnable contre notre pays. »
Les partenaires sociaux sont ainsi appelés à « repenser » la réforme des retraites sans autre a priori que l’équilibre des finances publiques. La concertation se fondera sur les données les plus actuelles, certifiées par une « mission flash » de la Cour des comptes.
Le Premier ministre desserre ainsi la contrainte calendaire jusqu’à la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, soit, si la procédure budgétaire redevient normale, en octobre 2025. Selon le précepte de François Mitterrand (qui l’empruntait lui-même à Cervantes), il s’agit de « donner du temps au temps ».
La déclaration de politique générale du 14 janvier a été suivie non d’un vote d’investiture (qui, pour d’évidentes raisons d’absence de majorité absolue, n’a plus lieu depuis 2022), mais d’un simple débat. L’ouverture du chantier annoncé par le Premier ministre n’a toutefois pas évité le dépôt d’une motion de censure de la France insoumise, à laquelle se sont ralliés les groupes écologiste et communiste, mais ni le groupe socialiste, ni celui du RN.
Débattue jeudi 16 janvier, cette motion ne pouvait pas prospérer, contrairement à la motion de censure votée le 4 décembre 2024 par 331 députés. Seuls 131 députés ont voté la censure le 16 janvier, soit un nombre de voix très inférieur à la majorité des membres composant l’Assemblée (289) requise par l’article 49 de la Constitution pour faire tomber le gouvernement.
L’épisode est sans incidence directe sur la réforme des retraites.
Il montre cependant une nouvelle fois que, dans la configuration actuelle de l’hémicycle, née de la décision du Chef de l’Etat de dissoudre l’Assemblée nationale, la conjonction des contraires peut devenir majoritaire sur toute question choisie par ceux-ci et à tout moment décidé par eux.
II. Quelles sont les possibilités de remise en cause de la loi de 2023 ?
En dehors du schéma exposé par François Bayrou (insertion de dispositions législatives modifiant la réforme des retraites dans le PLFSS pour 2026, si et seulement si la conférence sociale dégage une solution – ou tout au moins des pistes consensuelles – respectant l’équilibre financier), quelles seraient les possibilités de remise en cause de la loi de 2023 à brève échéance ? Celles évoquées jusqu’ici soulèvent toutes de sérieuses difficultés juridiques.
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Il faut d’abord souligner que la réforme des retraites de 2023 a déjà commencé à produire ses effets.
Cette réforme est entrée en vigueur en vertu de la loi de financement de la sécurité sociale rectificative du 14 avril 2023, laquelle fait évoluer l’âge de départ à la retraite, dans le cas général, selon le calendrier suivant :
« L’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné au premier alinéa de l’article L. 351-1 du présent code, à l’article L. 732-18 du code rural et de la pêche maritime, au 1° du I de l’article L. 24 et au 1° de l’article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite est fixé à soixante-quatre ans pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1968.
Cet âge est fixé par décret dans la limite de l’âge mentionné au premier alinéa pour les assurés nés avant le 1er janvier 1968 et, pour ceux nés entre le 1er septembre 1961 et le 31 décembre 1967, de manière croissante, à raison de trois mois par génération ».
La circulaire n° 2024-25 de la CNAV en date du 1er août 2024 (« âge légal de la retraite et durée d’assurances pour les assurés nés à compter du 1er septembre 1961 dont la retraite prend effet à compter du 1er septembre 2023 ») donne l’exemple suivant : « Un assuré né le 04/09/1961 remplira la condition d’âge minimum de 62 ans et 3 mois qui lui est opposable le 04/12/2023 et ne pourra prendre sa retraite qu’à effet du 01/01/2024 au plus tôt ».
La réforme est donc entrée en vigueur. Au demeurant, conformément au B du XXX de l’article 10 de la loi du 14 avril 2023, les dispositions de celle-ci s’appliquent aux pensions servies à compter du 1er septembre 2023.
Pour une personne née en 1962, l’âge légal est aujourd’hui de 62 ans et six mois en vertu de la loi de 2023. Si cette personne est née le 30 juin 1962, elle n’a pu prendre sa retraite que le 1er janvier 2025 et non le 1e juillet 2024 comme elle aurait pu le faire sous l’empire des dispositions antérieures à la loi de 2023. Une réforme qui rétablirait à 62 ans l’âge d’ouverture du droit à pension, pour les générations non encore touchées par la loi du 14 avril 2023, créerait donc une inégalité entre ces dernières et celles déjà entrées dans le processus de retardement de l’âge d’ouverture prévu par cette loi.
Une « réforme de la réforme des retraites » pourrait abaisser pour l’avenir l’âge d’ouverture du droit à pension, mais non revenir sur les effets déjà produits par la loi de 2023. Elle ne pourrait rétroagir sur la situation des personnes qui, depuis 2023, ont atteint 62 ans.
Si un arrêt sur images est imaginable, un flash-back est impossible.
2. Par quels moyens juridiques, autres que celui imaginé par le Premier ministre, pourrait d’ailleurs s’opérer la « réforme de la réforme » ?
a) Le gouvernement pourrait-il suspendre l’application de la loi de 2023 par voie réglementaire ?
Il ne saurait en être question dès lors que les décrets d’application ont déjà tous été pris et qu’ils ne pourraient être abrogés qu’en violation de la loi. La montée en charge du passage de 62 à 64 ans a en effet été déterminée par le pouvoir réglementaire en stricte exécution des dispositions législatives adoptées en 2023.
b) La « délégalisation » par le Conseil constitutionnel, en application de l’article 37, alinéa 2, de la Constitution, est-elle concevable ?
Certes, il appartient au pouvoir réglementaire de préciser les éléments quantitatifs du régime des retraites tels que l’âge des bénéficiaires et la durée minimale d’assurance.
Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la fixation de l’âge d’ouverture du droit à pension proprement dit, en dépit de ses enjeux politiques, pourrait relever du domaine du règlement en ce qu’elle porte sur un élément quantitatif et non sur la nature des conditions exigées pour l’attribution de la retraite (voir les décisions n° 75-85 L du 19 novembre 1975, nature juridique de certaines dispositions de l’article L. 328 du code de la sécurité sociale ; ou n° 2004-197 L du 10 juin 2004, nature juridique de dispositions du code rural et de l’ancien code rural en matière de retraites).
Cependant, abroger ou suspendre la réforme de 2023 exigerait plus qu’une simple modification de l’âge légal.
Ce ne serait pas les simples mots « soixante-quatre » qu’il faudrait modifier par décret, mais tout un dispositif comportant notamment un lissage calendaire complexe et de nombreux cas particuliers. Il serait surprenant que ce dispositif ne présente pas d’ « adhérences » législatives, au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
On renverra à cet égard à la décision n° 65-34 L du 2 juillet 1965 (« ll y a lieu de ranger au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale, et qui comme tels relèvent du domaine de la loi, … la détermination des prestations et des catégories de bénéficiaires ainsi que la définition de la nature des conditions exigées pour l’attribution des prestations, et notamment l’exigence de conditions d’âge et d’ancienneté de services ») ou encore à la décision n° 2004-197 L du 10 juin 2004 (« Considérant qu’il y a lieu de ranger au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale qui, en tant que tels, relèvent du domaine de la loi, l’existence même des pensions d’invalidité et de vieillesse, ainsi que la nature des conditions exigées pour leur attribution ; que relève notamment de la loi le principe selon lequel la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une pension à taux plein dépend de paramètres tels que l’espérance de vie à l’âge à partir duquel la liquidation d’une pension complète peut être demandée »).
Plusieurs arguments militent pour que l’âge de la retraite trouve sa place dans la loi.
D’abord, le législateur s’est emparé de longue date de la question de l’âge de la retraite. Citons la loi du 9 juin 1853 applicable aux fonctionnaires d’Etat, la loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, l’ordonnance du 19 octobre 1945 fixant le régime des assurances sociales applicables aux assurés des professions non agricoles, l’ordonnance du 26 mars 1982 relative à l’abaissement de l’âge de la retraite des assurés du régime général et du régime des assurances sociales agricoles, la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites ….
Ensuite, la jurisprudence la plus récente ne fait aucune réserve quant au fait que l’âge de la retraite relève de la loi. Ainsi, dans sa décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010, le Conseil constitutionnel n’a rien dit sur la mention, dans la loi, du relèvement progressif de l’âge de départ en retraite. De même, dans sa décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, il a validé la place en LFSS de la modification de l’âge et l’a examinée au fond sans évoquer le caractère législatif ou réglementaire de cette place. Il n’a rien dit non plus sur le partage loi règlement dans sa décision n° 2023-5 RIP du 3 mai 2023 sur la proposition de loi référendaire visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans.
S’y ajoute enfin une évidence politique : une remise en cause de la réforme des retraites, au stade d’application qu’elle a aujourd’hui atteint et compte tenu de l’importance du sujet dans le débat public, commande à l’évidence, d’emprunter la voie législative.
c) Le projet de LFSS pour 2025, s’il est repris et (en dépit des embûches rendant cette voie incertaine) adopté avec le retard dû à la censure du gouvernement Barnier, pourrait-il servir de véhicule à une remise en cause de la réforme des retraites de 2023 ?
La réponse est là encore négative, car, au stade où en est la navette sur le PLFSS 2025 (c’est-à-dire après accord de la CMP), un amendement ayant une telle finalité serait dépourvu de lien direct avec les dispositions du texte restant en discussion et se heurterait donc à la jurisprudence dite de l’ « entonnoir » dont on sait quel usage rigoureux fait le Conseil constitutionnel (voir notamment, s’agissant de la loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », sa décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024).
d)Une nouvelle proposition de loi pourrait-elle alors être déposée par les opposants à la réforme des retraites ?
Elle se heurterait au même obstacle que les tentatives antérieures du même type (« niche » RN du 31 octobre et « niche » LFI du 28 novembre 2024), à savoir l’irrecevabilité financière de l’article 40 de la Constitution.
Aux termes de ce dernier : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Cet article est opposable à toute initiative parlementaire « dépensière », même gagée. Dans la panoplie du « parlementarisme rationalisé », l’irrecevabilité financière de l’article 40 est, pour le gouvernement, un instrument puissant, car elle interdit de façon permanente aux initiatives parlementaires (qu’elles prennent la forme de propositions de loi ou d’amendements) de créer ou d’aggraver toute dépense publique, même en la compensant par la baisse d’autres dépenses ou par des ressources nouvelles.
Pour les amendements, le contrôle incombe au président de la commission des finances (voir l’article 89 du Règlement de l’Assemblée nationale). Toutefois, face au contrôle défaillant de ce dernier, la présidente de l’Assemblée nationale a rappelé les 8 juin 2023 et 30 octobre 2024 que l’abandon de la réforme des retraites serait constitutif d’une charge au sens de l’article 40 de la Constitution (servir immédiatement des pensions). Par ailleurs il entraînerait une perte de recettes (cotisations et impôts affectés) qui nécessiterait un gage de même niveau financier.
La procédure de contrôle du respect de l’article 40 de la Constitution est différente pour les propositions de loi. Ce sont les bureaux des assemblées qui décident. En pratique, le contrôle lors du dépôt est purement formel et tolère des charges assorties de gages, ce qui est contraire à la lettre de l’article 40. Aussi une proposition de loi comportant une disposition coûteuse peut-elle prospérer jusqu’à son élimination soit par la commission (Conseil constitutionnel, n° 93-329 DC 13 janvier 1994), soit par la séance publique. C’est ainsi qu’il a été fait échec aux tentatives de rétablissement de l’âge de 62 ans par les groupes LIOT et RN, « détricotées » en commission et dont la substance ne pouvait être rétablie que par amendements, irrecevables en séance publique. Quant à la proposition de loi de LFI, son examen en séance publique, le 30 novembre 2023, a été « arrêté par le gong » (ce qui a rendu inutile l’application de l’article 40) : les niches parlementaires prennent en effet fin à minuit.
Le Conseil constitutionnel a attaché à l’article 40 une importance telle qu’il a obligé les assemblées à mettre en place, dans leurs règlements, des procédures de contrôle interne du respect de cet article dès le dépôt de la proposition ou de l’amendement. En contrepartie de cette exigence de contrôle préalable, les délibérations parlementaires ne peuvent être arguées de contrariété à l’article 40 devant le Conseil que si le grief a été soulevé devant le Parlement. Mais n’importe quel parlementaire peut invoquer, à tout moment du débat, l’irrecevabilité financière du texte en discussion et le Conseil constitutionnel, dûment saisi du grief, devrait en tirer toutes conséquences que de droit.
En outre, comme il a été dit plus haut, on ne voit pas comment un texte pourrait rétroagir sur la situation des personnes qui ont atteint l’âge de 62 ans depuis l’entrée en vigueur de la loi.
III. La remise en cause de la réforme de 2023 se heurte également, sur le fond, à des objections essentielles.
L’équation financière du régime des retraites a été retournée dans tous les sens depuis de longues années. La conclusion a toujours été la même : lorsque, en raison de l’évolution démographique, le rapport actifs inactifs se dégrade et qu’on se refuse, à juste titre, à taxer plus lourdement le travail, à appauvrir les pensionnés ou à peser sur les contribuables, un système par répartition ne peut conserver son équilibre qu’en faisant travailler plus longtemps ses ressortissants. Les protestations et les manifestations ne peuvent rien contre cette évidence arithmétique. Aucun conclave ne découvrira la solution miracle permettant de revenir aux 62 ans sans creuser le déficit, car elle n’existe pas.
On n’imagine guère non plus les partenaires sociaux, en l’état des mentalités syndicales, ni, à leur suite, le Parlement actuel, avec son Assemblée éclatée, accoucher d’une réforme systémique des retraites (système universel à points, recours massif à la capitalisation…) ou d’une révolution fiscale assurant la pérennité de notre État providence (TVA sociale…).
Si la conférence sociale peut être opportunément conclusive sur d’autres questions que la condition d’âge ou que la durée de cotisation (carrières pénibles, carrières maternelles hachées, cumul emploi retraite), ce sont bel et bien la condition d’âge et la durée de cotisation que remettent en cause les oppositions et les syndicats. Or, même avec la réforme de 2023, le système est déséquilibré, comme l’indiquent les plus récentes projections du Conseil d’orientation des retraites : à droit constant, il manquerait encore 15 milliards d’euros en 2030, ce que la Cour des comptes pourra confirmer.
Quant à la remise en cause de la réforme de 2023, son coût serait considérable à terme, bien supérieur à celui qui a pu être chiffré pour la seule année 2025 (entre 3 et 4 milliards d’euros). Les travaux préparatoires de la loi de 2023 font ainsi état et de 17,7 milliards d’euros de moindres dépenses en 2030. S’y ajoute le surcroît de cotisations résultant de la prolongation d’activité. La Cour des comptes aura à préciser ces chiffres.
L’arrêt de la réforme de 2023 imposerait donc de trouver une ou plusieurs ressources nouvelles substantielles pour éviter une détérioration du financement de la branche vieillesse plus grave encore que celle induite par les insuffisances de cette réforme.
Quelles seraient-elles ? L’augmentation des cotisations aurait des effets désastreux sur la compétitivité de nos entreprises et sur l’emploi ; une nouvelle augmentation de la CSG, alourdissant la pression fiscale sur les ménages, devrait être réservée à la couverture de besoins tels que la santé et à la dépendance ; le rétablissement de l’ISF (se substituant à l’IFI) et son affectation à la branche retraite ne seraient pas suffisants.
La conférence sociale ménage peut-être une pause bienvenue dans une période politique tendue. Mais elle peut être aussi la chronique d’une frustration annoncée dès lors que le Premier ministre a fait de l’autofinancement de la « réforme de la réforme » une condition sine qua non et que cette condition est impossible à satisfaire en cas de rétablissement des 62 ans pour l’avenir.
Aussi le PS a-t-il clamé son insatisfaction : « Le compte n’y est pas » déclarait, dès le 15 janvier, Patrick Kanner, chef de file des sénateurs socialistes. Toutefois, non sans hésitations, le groupe socialiste a décidé, peu avant le début de l’examen de la motion de censure, que ses députés ne voteraient pas cette dernière. Huit dissidents l’ont cependant votée.
« Un nouveau chemin s’ouvre » a déclaré François Bayrou. Pour autant, l’attitude du groupe socialiste, qui attend du débat budgétaire de nouvelles avancées, n’est pas une garantie pour la suite. Il faut s’y résoudre : l’annonce d’une remise en chantier de la réforme des retraites sous l’égide des partenaires sociaux, ainsi que les autres concessions annoncées dans le cadre des discussions sur le budget 2025 (renoncement à aligner le régime des jours de carence du public sur celui du privé, renoncement à supprimer 4000 postes dans l’éducation, renoncement à mettre à contribution les collectivités territoriales …) n’apporteront pas de répit politique durable au gouvernement. Le PS n’a ni souscrit un engagement de non censure, ni, malgré sa fâcherie avec la France insoumise, dénoncé le pacte passé avec l’extrême-gauche dans le cadre du NFP. Le refus de voter la censure ne peut être lu comme une dénonciation de l’accord électoral scellé en 2022 puis en 2024. Celui-ci est-il rompu ? On le verra aux prochaines échéances électorales.
Compte tenu du poids des retraites dans les dépenses de la sphère publique (en 2019, avant la crise sanitaire, la part des dépenses de retraites dans la dépense publique atteignait près de 25 %) et dans l’endettement de l’Etat (la moitié de l’endettement supplémentaire accumulé depuis 2017), comme de la nécessité d’élever le taux d’activité en France pour stimuler notre croissance, l’abandon de la seule initiative conséquente concrétisée depuis 2017 pour rétablir nos comptes publics aggraverait encore la situation de ces comptes. Ce serait tourner le dos aux politiques suivies par nos voisins, chez lesquels il est considéré comme naturel que l’âge légal de départ en retraite (communément de 67 ans aujourd’hui) soit indexé sur l’espérance de vie. Ce n’est pas défendre le modèle social français que de condamner la France à la crise financière en la crispant, par démagogie ou par idéologie, sur des droits acquis insolvables.
Une politique de redressement des comptes publics, avec ses conséquences impopulaires, est certes une tâche particulièrement ardue pour n’importe quel gouvernement. Plus encore en France et plus encore pour un gouvernement privé de majorité stable. Mais le courage politique est plus propre à souder une majorité relative et à sensibiliser une opinion inquiète que le flou de conciliabules auxquels on semble déléguer l’avenir de nos enfants.
Jean-Pierre Camby, docteur en droit
Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel