Fondateur du Monde moderne, chroniqueur régulier pour divers médias (Cnews, Arte, France Info), Alexis Poulin décrypte l’adresse d’Emmanuel Macron aux Européens. Il y voit derrière les mots la poursuite d’une politique néo-libérale peu susceptible à ses yeux de permettre aux Européens de se réconcilier avec l’UE.
Par une longue lettre aux Européens, Emmanuel Macron a voulu donner sa vision d’une Europe fantasmée pour lancer la campagne de LREM.
Emmanuel Macron aime les grands concepts et l’emphase. Il a remis au goût du jour un style suranné et hautement précieux, que même Giscard et Pompidou, premiers présidents de la post-modernité française, trouvaient ridicule et inutile en leur temps.
Saluons donc la nouvelle performance épistolaire de notre président qui, cette fois, décide de liquider le concept de « renaissance », après avoir caricaturé à l’extrême l’idée de « révolution » dans un livre biographique et a-programmatique.
Dans une lettre aux citoyens européens, traduite en toutes les langues de l’Union européenne, Emmanuel Macron, las de lasser les Français dans son monolithique grand débat, a décidé d’interpeler tous les citoyens européens en une seule fois.
Une façon toute personnelle de se poser à nouveau en grand sauveur d’un projet devenu fantôme.
A lire le président des Français, l’heure est grave et l’Europe se trouve à la croisée des chemins, au cœur d’une crise d’une ampleur inédite, qui pourrait remettre en cause la construction débutée dans l’après guerre.
En publiant ce premier tract de campagne à grand renfort de communication, Emmanuel Macron souhaite dramatiser les élections européennes de mai 2019 et se poser en sauveur d’un idéal européen qui n’existe plus.
Tout dans les premières mesures du gouvernement va à l’encontre des idées développées dans cette missive qui appelle à une renaissance, quand le programme d’Emmanuel Macron a été celui d’une prolongation de la fin de vie d’un système caduque, hérité de la 3e voie anglo-saxonne et des pires théories du néo-libéralisme d’Etat.
Emmanuel Macron pose en héro européen, voulant créer des frontières commerciales à la Trump, quand il a été le promoteur et l’architecte des traités de libre-échange transcontinentaux (CETA avec le Canada, JEFTA avec le Japon, et bientôt un accord avec Singapour). Rien dans ces traités n’est écrit pour limiter le commerce et ses effets dévastateurs sur l’environnement et rien ne garantit la préférence européenne pour les marchés publics, ce qui est contraire à l’esprit même de ces traités.
De frontières, il est question aussi, dans « une remise à plat » de Schengen, où les pays membres se verraient contraints d’accepter leur part d’accueil de migrants, sous peine d’exclusion. Ce qui ferait de la France de facto, un pays exclu de cet espace, tant la politique d’accueil du gouvernement n’a jamais été à la hauteur des attentes des partenaires européens.
Rappelons-nous ici le sinistre périple de l’Aquarius, débouté des ports nationaux, car jugés trop éloignés, selon une géographie toute inventée de la Méditerranée.
Et tout dans cette tribune est ainsi, entre rêverie et invention, mensonge, délire et promesses sans lendemain, car se dessine d’abord la vision d’une Europe fantasmée par un seul, alors qu’en réalité 27 négocient autour de la table du Conseil européen.
Non l’Europe n’est pas française, ni allemande, ni même franco-allemande, n’en déplaise aux anciens empires continentaux, désireux de remettre la main sur un projet tout atlantiste.
Un des passages les plus ridicules est sans doute celui sur les plateformes, où le président souhaite une supervision européenne des grandes plateformes avec une sanction accélérée des atteintes à la concurrence et la transparence de leurs algorithmes. Belle posture rendue impossible par le lobbying efficace des GAFA, associées à chaque étape de l’écriture des lois à Bruxelles et proches des cercles de pouvoir dans chaque capitale européenne.
Pire encore, l’idée d’un « salaire minimum européen adapté à chaque pays et discuté chaque année collectivement », quand la plupart des Etats membres sont déjà doté d’un salaire minimum interprofessionnel ou de salaires de branches. Entre l’ancienne Europe de l’Est et celle de l’Ouest, les écarts restent importants et rien n’est fait pour proposer un salaire plancher, pour tirer par le haut, mais bien plutôt une mise en concurrence de main-d’œuvre, sur la base de salaires de compétition.
Finalement, ce qui traduit davantage la pensée réelle du président Macron, ce sont les non-dits et les oubliés de cette tribune.
Comme d’habitude, la lutte contre l’évasion fiscale est la grande absente de la pensée complexe. Emmanuel Macron ne mentionne que très brièvement un « juste paiement de l’impôt » mais ne dit mot sur les paradis fiscaux intra-communautaires : Chypre, Malte, les Pays-Bas, l’Irlande, la Belgique et le Luxembourg. Rien non plus sur la convergence fiscale, qui diminuerait la compétition entre les pays membres.
Dans un rapport à venir, le Parlement européen estime à 25 milliards d’euros les bénéfices des multinationales soustraits au fisc français et la Commission européenne évalue à 1 000 milliards d’euros annuels le montant total de la fraude et de l’évasion fiscale dans l’Union européenne, du fait de la concurrence fiscale de ces paradis fiscaux intra-communautaires.
Plus étrange encore, après son passage remarqué au salon de l’agriculture, pas un mot sur la PAC ou sur l’avenir des agriculteurs en France et en Europe, tandis que la qualité de la filière agricole européenne sera un enjeu crucial pour les années à venir et que les difficultés du monde agricole sont liées aux limites du modèle de surproduction.
Seuls comptent pour le moment l’encadrement de la concurrence politique, par des lois de financement des partis et des lois de contrôle de l’information, sous couvert de lutte contre la désinformation et les dépenses en armement pour préparer une impossible armée européenne mais assurer encore de belles années de commandes publiques à l’industrie de la défense.
« Liberté, protection, progrès », les trois mots clefs de cette tribune sonnent dans le vide d’un lancement de campagne anxiogène où seule brille la figure d’un ennemi inventé pour transfigurer un héros invisible, homme des lobbies et de la capitulation devant l’urgence climatique et sociale.
Alexis Poulin
Co-fondateur LeMondeModerne.media
Crédit Photo : Wikipédia