Tout en donnant globalement son aval au projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, le Conseil d’État, qui a rendu son avis dans un temps très contraint, formule plusieurs observations et réserves que le gouvernement et le parlement vont devoir prendre en compte dans le cadre de l’examen du projet de loi dont le vote est prévu au plus tard le 15 janvier 2022.
Sur le principe du pass vaccinal, le Conseil d’État l’inscrit dans le cadre de l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique. Toutefois, il émet un certain nombre de réserves non négligeables afin de conserver cet objectif et la préservation des libertés publiques protégées par la Constitution.
Autoriser un certificat de rétablissement et de contre-indication
Le projet de loi ne laisse plus que la possibilité de présenter un justificatif de statut vaccinal, « sans possibilité, en principe, de faire état de l’un des deux autres justificatifs ». Il souhaite donc que le décret mettant en œuvre le pass vaccinal précise les cas dans lesquels pourraient être admis un certificat de rétablissement ou un certificat de contre-indication, pour des raisons liées à l’état médical de l’intéressé.
Le décret pourrait également exiger, pour des raisons de santé publique, un cumul de plusieurs justificatifs, précise le Conseil d’État.
Le Conseil d’État rappelle qu’il lui appartient de concilier les nécessités de la lutte contre l’épidémie avec la protection des libertés fondamentales (Conseil constitutionnel n° 2020-808 DC du 13 novembre 2020 § 12).
Il reconnaît de nouveau, comme il l’avait fait pour le pass sanitaire, que le pass vaccinal est susceptible de porter une atteinte particulièrement forte aux libertés des personnes souhaitant accéder à un certain nombre d’activités, que cette mesure peut limiter significativement la liberté d’aller et de venir et est de nature à restreindre la liberté de se réunir et le droit d’expression collective des idées et des opinions (décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, § 37).
La proportionnalité des mesures gouvernementales
Il doit toutefois apprécier la proportionnalité de cette mesure alors même qu’elle s’inscrit dans l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé. Si la disposition instaurant le pass vaccinal « n’apparaît pas inadéquate », la haute juridiction alerte le gouvernement en affirmant que « l’impossibilité d’accéder aux activités concernées, quelle qu’en soit la nature, pour les personnes titulaires d’un certificat de rétablissement n’apparaît pas justifiée, eu égard au niveau de protection conféré pendant une certaine durée au moins par une infection à la covid-19 ». De surcroît, en l’état des recommandations des autorités scientifiques, une personne ayant un antécédent de Covid-19 ne peut entamer un schéma vaccinal qu’au bout d’une durée de deux mois à compter de son infection.
Le Conseil d’État suggère donc de modifier la rédaction du projet pour admettre expressément le certificat de rétablissement, par dérogation et dans des conditions définies par décret, comme un substitut du justificatif de statut vaccinal.
Il souligne également que l’impossibilité de faire état d’un test de dépistage négatif aura pour effet de priver les personnes non vaccinées de toute possibilité de prendre l’avion ainsi que le train ou le bus pour de longues distances. Cela « est de nature à porter une atteinte substantielle à leur liberté d’aller et venir et passé leur droit au respect de la vie privée et familiale ».
Une plus grande souplesse dans les transports de longue distance
Il suggère donc d’introduire la possibilité d’admettre la présentation du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid-19 en cas de déplacement pour des motifs impérieux de nature familiale ou de santé, même en l’absence d’urgence faisant obstacle à l’obtention du justificatif de statut vaccinal ou du certificat de rétablissement.
Le Conseil d’État rappelle que l’atteinte portée par l’obligation vaccinale au libre accès, par les citoyens, à l’exercice d’une activité professionnelle n’ayant fait l’objet d’aucune limitation légale, qui constitue une liberté publique, ne peut résulter que du législateur. Par suite, le pouvoir réglementaire est seulement compétent pour déterminer les conditions de mise en œuvre de cette obligation et les conséquences qui en résulteraient pour les personnes qui ne la respecteraient pas. Le Conseil d’État en déduit que le fait d’imposer un pass vaccinal à certains professionnels ne méconnaît pas les exigences constitutionnelles et conventionnelles précédemment rappelées.
Le contrôle du pass vaccinal par les professionnels limités en cas de « doute »
Le projet de loi permet aux personnes chargées du contrôle du pass sanitaire et du pass vaccinal, en cas de doute sur ces documents, d’exiger la présentation d’un document officiel d’identité. Le Conseil d’État constate qu’en l’espèce, la vérification de l’identité des clients soumis au pass sanitaire ou au pass vaccinal par les professionnels, en cas de doute sur l’authenticité de ces documents, est nécessaire pour prévenir le recours à des documents frauduleux. Il en déduit que la mesure est justifiée par un objectif de santé publique. Mais une telle demande doit être motivée par des considérations objectives, ce qui laissera la place à toutes les interprétations possibles ainsi qu’une réelle souplesse aux professionnels de la restauration et des débits de boisson.
Patrick Martin-Genier