Cette nouvelle vague d’Omicron confirme que ce sont bien la désorganisation et la peur qui auront marqué l’année politique. 2021 restera tout à la fois une année de colmatage, de transition mais aussi de recomposition.
Le colmatage n’est autre que le maintien à flot d’une économie catapultée par la crise sanitaire. La perfusion de la puissance publique a assuré l’essentiel : sauvegarder l’immédiat pour « cranter » électoralement 2022, mais au prix d’un accroissement de la dette dont les conséquences politiques, économiques et sociales sont à ce stade loin d’être soldées. Dans ce contexte, le retour des tensions inflationnistes ravive le spectre des années 1970, dans un monde plus fragmenté que jamais en apparence mais où un conflit primordial, celui de la Chine autocratique, capitaliste et conquérante avec l’Occident vient concurrencer d’autres divisions plus civilisationnelles, comme celle d’un islamisme agressif et protéiforme en butte aux aires chrétiennes et démocratiques.
Ces luttes surplombent à l’instar d’amoncellements nuageux les cieux tourmentés de nos démocraties, à commencer par la France.
Pour autant, les incertitudes qui invisibilisent toute esquisse de perspectives ne contredisent pas cet enseignement : face au surgissement de la crise, le « nouveau monde » macroniste n’aura pas trouvé d’autre alternative que le recours au bon vieil État providence pour éviter le pire, quand bien même le « quoi qu’il en coûte » pourrait constituer une bombe à retardement.
Mais la COVID qui n’en finit pas aura marqué de son empreinte 2021, suscitant le sentiment d’une métamorphose endogène des démocraties libérales, notamment encore une fois en France. Il s’agit là d’une transition qui s’accélère. Le modèle chinois du contrôle social imprègne, bien qu’ils s’en défendent, les pratiques des dirigeants. L’instauration du pass sanitaire, puis du pass vaccinal confirme une tendance qui n’aura connu que peu de résistances dans les instances parlementaires, pas plus dans l’opinion, encore moins au sein des organes chargés de veiller au respect de nos libertés fondamentales, qu’il s’agisse du Conseil d’Etat ou du Conseil constitutionnel qui ont justifié sans vrai recul toutes les mesures d’exception mettant à mal notre tradition libérale. La crise sanitaire résonne de ce point de vue comme une étape supplémentaire dans ce qu’il faut bien appeler le recul du libéralisme politique. Le paradoxe cruel veut que cela soit des gouvernants se prétendant libéraux qui initient ce mouvement d’acculturation à une autocratie post-moderne, sous couvert de protection sanitaire.
C’est sous le signe de la continuité épidémique que la recomposition politique s’est poursuivie – ou plutôt la décomposition.
Les élections régionales auront accéléré les processus de désinvestissements électoraux dont la démocratie française est l’objet, les classes populaires et moyennes manifestant au travers de l’abstention une forme d’objection de conscience civique à l’encontre d’une offre politique en laquelle ils ne semblent plus se reconnaître. C’est dans ce contexte de défiance croissante que les tectoniques de la présidentielle à venir se sont mises en place, laissant entrevoir trois grands courants se constituer mais respectivement eux-mêmes divisés en leur sein : une droite nationale pronostiquée autour de 30% selon les instituts de sondage, mais fracturée désormais entre une ligne sociale incarnée par Marine Le Pen et une ligne plus identitaire portée par l’offre nouvelle d’Eric Zemmour ; un centre techno-liberal partagé entre le macronisme et la droite républicaine qui s’est choisie sa championne en la personne de Valérie Pécresse ; une gauche sociétale fracturée entre une social-démocratie anémiée, une écologie scindée entre pragmatisme et gauchisme, et le mélenchonisme des insoumis. De cette configuration inédite dont l’évolution n’est pas achevée, loin s’en faut, dépend l’issue de la bataille du printemps prochain. Rien ne nous dit que son terme clôture définitivement la période de turbulences dans laquelle nous sommes entrés.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne