Quand la démocratie parlementaire se confronte aux lignes rouges, qui finissent par entraver ceux qui les posent, quand elle laisse place à des jeux d’égo, la démocratie sociale semble retrouver sa place. En invitant les partenaires sociaux à un « conclave », le Premier ministre nous donne à voir comme un retour de la méthode de 1958 quand le général de Gaulle invitait les « organisations patronales et ouvrières […] à prendre contact pour créer en commun un fonds de salaire garanti, pour procurer aux travailleurs la sécurité d’une rémunération de base et des facilités pour leur reclassement professionnel.
« Je sais à qui je m’adresse et je suis sûr d’être entendu. » C’est aujourd’hui le système des retraites qui fait revenir, après des années d’abandon, la négociation interprofessionnelle au premier plan.
Voilà les partenaires sociaux « au pied du mur ». Leur appel à « la stabilité, la visibilité et la sérénité » était comme une offre de service quand ils rappelaient que « la voie du paritarisme, qui passe par le dialogue, la négociation collective et la construction de compromis, est en capacité d’apporter des réponses concrètes ». Ils ont été entendus et ils l’ont été sur un domaine dont, réforme après réforme, on a oublié qu’il est une assurance sociale financée par le travail. Avec des accents que l’on peut voir inspirés de 1958, le premier ministre leur demande aujourd’hui de trouver « dans un temps bref, un accord d’équilibre et de meilleure justice ».
Il faut espérer que les partenaires sociaux seront, eux aussi, portés par un esprit de 1958.
Le syndicat non-signataire du communiqué du 17 septembre participera au conclave. S’il négocie toujours et signe par exception, on ne peut pas douter qu’il ne soit pas intéressé à travailler à une réforme des retraites qui soit de « meilleure justice ». Comme à chaque négociation interprofessionnelle, les positions de départ, nous les connaissons, sont éloignéesmais, mais les partenaires sociaux savent l’art du compromis. Sur les retraites, ils ont une réelle expertise, ils la démontrent dans la gestion et le pilotage prudentiel des retraites complémentaires. À n’en pas douter, cette expertise va jouer. Ce qu’il faut craindre, c’est la pression des partis politiques qui sera d’une autre force que ce qu’elle est habituellement, par exemple pour les négociations sur l’assurance chômage. Ce qu’il faut craindre aussi, c’est qu’un employeur, habituellement absent des négociations interprofessionnelles, vienne troubler le jeu habituel.
Cet employeur, c’est l’État-employeur, le premier responsable du déficit des retraites !
Si l’enjeu est pour les partenaires sociaux de faire la démonstration de leur capacité à « apporter des réponses concrètes » à un sujet politiquement bloqué, il dépasse largement le sujet qui leur est imposé. Ils ont là l’opportunité de faire valoir que la démocratie sociale est un facteur de démocratie politique, un régulateur des tensions politiques et sociales plus efficace que le jeu d’opposition dicté par des échéances électorales.
Il leur revient de jouer pleinement le jeu. Au-delà de l’accord auquel ils doivent, maintenant, arriver, ils doivent se présenter comme garants de son pilotage, un pilotage apaisé. Financé par des cotisations sociales, le système des retraites doit être préservé des passions politiques pour être recentré sur le travail, son organisation, sa pénibilité. Un pilotage apaisé du système, c’est un pilotage systémique qui prend en considération la formation professionnelle, l’égalité des rémunérations hommes-femmes, l’accompagnement aux mutations des formes du travail. Pour trouver cet accord d’équilibre et de meilleure justice, ils ne doivent pas penser, comme le craignait un responsable syndical à l’issue de la rencontre avec le Premier ministre, qu’on leur « refile la patate chaude ». C’est d’abord à eux, acteurs économiques et sociaux, qu’il appartient de s’accorder sur les assurances sociales financées par le travail. C’est du grain qu’ils ont à moudre et non pas une patate chaude !
Il faut croire qu’en se retournant vers les partenaires sociaux, le Premier ministre sait, comme le disait le général de Gaulle, à qui il s’adresse et qu’il est sûr d’être entendu.
Michel Monier, membre du Cercle de recherche et d’analyse sur la protection sociale – -Thinktank CRAPS, est ancien DGA de l’Unedic.
Retraite, Démocratie, Négociation