Alors que l’intégration de l’IVG dans la Constitution semble être à l’horizon, on commence à gloser çà et là sur le mode de révision. Une majorité de nos collègues s’enhardissent déjà à opiner que ladite révision doit se dérouler sur la base de l’article 89. Le recours à l’art 11, c’est-à-dire au référendum, relèverait d’une quasi forfaiture pour reprendre les mots de Monnerville en 1962. Une fois encore nous allons faire dissidence et plaider pour le référendum.
Que dit d’abord l’art. 89 C ? « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.
Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale.
Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.
La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision ».
C’est ici le processus orthodoxe de révision. Celui qui est utilisé classiquement depuis le départ du général de Gaulle en 1969.
Que dit l’art. 11 C ? « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.
Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation (…) »
Nous disions ci-dessus que le procédé de l’art.89 C a été utilisé après le général de Gaulle. En effet en ce qui le concerne ce dernier préféra recourir à l’art. 11. D’abord en 1962 lorsqu’il souhaita instaurer l’élection du président de la République au suffrage direct.
Si la grande majorité de nos concitoyens y était favorable, le Parlement n’avait pas du tout envie de se voir dépouiller de cette prérogative.
A l’Assemblée, hormis les gaullistes, on vilipende le dessaisissement du Parlement et on dénonce la tentative de pouvoir personnel opérée par le chef de l’État. Après s’être entouré des conseils avisés de grands professeurs de Droit (Cassin, Capitant, Noel par exemple), le général met en œuvre l’art. 11 C pour instaurer cette révision.
On l’a dit une fronde politique se fait jour dans le pays.
Monnerville crie à la « forfaiture » et est rallié par des personnalités essentiellement de gauche (Mitterrand, Mendes-France). Beaucoup de juristes dénoncent aussi un coup de force. Certains parlent même de haute trahison (passible de la Haute Cour de Justice). Le général soutenu par sa majorité tient le cap. Il estime, à raison selon nous, que cette révision repose sur un domaine précis de l’art. 11 C. L’élection du président de la République est, sans conteste, un axe majeur de l’organisation des pouvoirs publics.
Autre aspect non négligeable de l’opération référendaire, le général indique aux français que si la réponse est non, il quitte le pouvoir. C’est l’aspect plébiscitaire.
Le référendum du 28 Octobre 1962 se traduit par une victoire politique du chef de l’État : 62,2% des suffrages exprimés approuvent le projet de loi prévoyant l’élection du président de la République au suffrage universel direct (37,8% se prononçant contre). Même si la procédure utilisée n’était pas orthodoxe, son « inconstitutionnalité » présumée, a été couverte voire validée par l’assentiment populaire. N’en déplaise aux Cassandre en tous genres, vox populi, vox dei ! Cette réforme est si essentielle que l’on évoque à l’instar du professeur Gicquel, la constitution de 1962. Il s’agit, à notre sens, de la révision la plus importante de la Vé. Précisons qu’aux législatives de Novembre 1962, les gaullistes atteignent 40% des voix. Pour parachever le référendum en quelque sorte.
Alors en 1969, le général réédite la procédure référendaire pour une nouvelle révision. Celle-ci est à double détente en quelque sorte : instaurer les régions et fusionner le Sénat et le Conseil Economique et Social. Deux domaines de l’art. 11 C sont visés : organisation des pouvoirs publics et politique économique et sociale. Là encore, le général engage son mandat. Contre toute attente, le « non » l’emporte avec 52,41% des suffrages exprimés. En raison de l’enjeu politique majeur de la consultation, le taux d’abstention est le plus faible de tous les référendums organisés sous la Ve République : seulement 19,87%. Le général de Gaulle démissionne, le président du Sénat, Alain Poher, exerce l’intérim dès le 28 avril. Le débat sur une révision par voie référendaire n’a pas été aussi vif qu’en 1962. En revanche, la forte participation s’explique par une sorte de « ras-le-bol » par rapport à la personne du général notamment suite à la crise de 1968.
Après le général de Gaulle on va assister à un retour à la procédure orthodoxe de révision. Ainsi VGE, F. Mitterrand, J. Chirac et N. Sarkozy vont utiliser l’art. 89.
La proposition de loi, qui a été amendée par les députés, en novembre 2022, comporte un article unique, qui crée un nouvel article 66-2 dans la Constitution : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».
Le droit à l’avortement serait ainsi inscrit dans la Constitution au rang des libertés fondamentales individuelles, au même titre que l’interdiction de la peine de mort.
La proposition de loi doit désormais être examinée par le Sénat. Pour aboutir, elle devra être votée dans les mêmes termes par les deux Assemblées, avant d’être soumise à référendum par le président de la République puis approuvée par les Français, conformément à la procédure de révision définie à l’article 89 de la Constitution. Soulignons que depuis 1958, aucune révision constitutionnelle proposée par un parlementaire n’a abouti, le plus souvent faute d’accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Exemples : responsabilité pénale du président de la République en 2001, droit de vote des étrangers aux élections municipales en 2000 et 2011, ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en 2014. Même des présidents ont été bloqués par le Sénat : Pompidou en 1973, F. Hollande en 2015. Ils ont tout de même manqué un peu de courage !
Profitons de cette tribune pour dire que cette révision sur l’IVG est nécessaire. Comme l’avait fait J. Chirac en 2007 sur la peine de mort, il faut sécuriser en le constitutionnalisant ce droit à l’IVG consacré de haute lutte grâce à Simone Veil en 1975. Trop de dérives se produisent depuis quelques années déjà. Là en Hongrie, là en Pologne ou là aux Etats-Unis. Ce droit fait partie, sans aucun doute, du domaine de la politique sociale de la Nation énoncé par l’art 11 C.
Pour contourner le risque de blocage parlementaire (Sénat), il conviendrait assurément d’avoir recours au référendum. La caution que ne manquerait pas de donner le peuple validerait pour la seconde fois l’opération. Osez M. Macron !
Pour achever nous nous appuierons sur l’avis d’un expert (qui fut pourtant contre en 1962 et 1969 !) inspirateur de quelques constitutionnalistes actuels : « L’usage établi et approuvé par le peuple peut désormais être considéré comme une des voies de la révision, concurremment avec l’article 89. Mais l’article 11 doit être utilisé avec précaution, à propos de textes peu nombreux et simples dans leur rédaction ». F. Mitterrand prononça ces mots en 1988 (interview accordée à la Revue Pouvoirs) et les confirma en 1994 peu avant son départ de l’Elysée.
« On ne fait de grandes choses en France qu’en s’appuyant sur les masses ; d’ailleurs un gouvernement doit aller chercher son point d’appui là où il est. » (Napoléon Bonaparte).
Raphael PIASTRA
Maitre de Conférences en droit public des Universités