En se déclarant favorable (dans les colonnes du Figaro) à la possibilité d’un troisième mandat présidentiel consécutif, Richard Ferrand a déclenché involontairement un tollé, mais posé une question pertinente : est-ce aux règles électorales d’interdire d’élection des hommes ou des femmes politiques auxquels il n’est rien reproché d’autre que le fait qu’ils exercent déjà un mandat ? Pourquoi ne pas laisser les électeurs juger de l’usure du pouvoir ?
Pourquoi ce tollé autour de la prise de position de Richard Ferrand en faveur d’une révision constitutionnelle qui, en abrogeant le deuxième alinéa de l’article 6 de la Constitution (« Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs »), rétablirait la possibilité pour une même personne d’exercer un troisième mandat présidentiel consécutif ?
Relisons les propos tenus par Richard Ferrand au Figaro : il n’a nullement proposé de réviser la Constitution pour permettre à Emmanuel Macron de se représenter en 2027. Interrogé sur les regrets qu’il avait de ne pas voir EM pouvoir se représenter en 2027, il a simplement répondu : « Notre Constitution en dispose ainsi. Cependant, à titre personnel, je regrette tout ce qui bride la libre expression de la souveraineté populaire. La limitation du mandat présidentiel dans le temps, le non-cumul des mandats, etc. Tout cela corsète notre vie publique dans des règles qui limitent le libre choix des citoyens. Ça affaiblit notre vie politique en qualité et en densité, et la rend moins attractive. »
Il faut vraiment forcer ce propos pour y voir, comme la gauche, un appel à un troisième mandat d’Emmanuel Macron ; ou même seulement un ballon d’essai car celui-ci serait à la fois un ballon crevé et un chiffon rouge. Ni surtout, comme la France insoumise, jamais en retard d’une outrance, l’aveu « d’une dérive autocratique » en attendant de « restaurer l’Empire » (dixit Mathilde Panot).
Formant des vœux généraux, intemporels et personnels de vieux sage retiré de la vie publique, vœux déconnectés de l’échéance de 2027, l’intéressé a estimé, au détour d’une question, par une simple incidente, que les règles interdisant le cumul des mandats électoraux ou leur succession dans le temps « corsetaient notre vie publique ». Pas de quoi déclencher une tempête.
A titre personnel, Richard Ferrand regrette donc tout ce qui bride l’expression du suffrage universel : limitation d’un mandat dans le temps, non cumul des mandats. Il a posé ainsi un problème général de fonctionnement démocratique autrement plus intéressant que la polémique absurde déchaînée par la France insoumise : est-ce aux règles électorales d’interdire d’élection des hommes ou des femmes politiques auxquels il n’est rien reproché d’autre que le fait qu’ils exercent déjà un mandat ?
A cette question, j’apporte la même réponse que lui : c’est aux électeurs de décider s’ils veulent ou non renouveler un mandat ou s’ils veulent ou non élire un maire député.
On ne peut affirmer, de manière générale, que le titulaire d’un mandat s’use en étant aux affaires ni, comme le disait Nicolas Sarkozy en 2008 pour justifier l’interdiction d’un troisième mandat présidentiel consécutif, que l’énergie dépensée pour durer n’est pas dépensée pour agir. Cette pétition de principe fait bon marché de la clairvoyance des électeurs, qu’elle tient implicitement comme manipulables par les démagogues et incapables de juger de l’usure du pouvoir.
Sur cette question comme sur d’autres, la révision de 2008 a injurié l’avenir car elle a reposé non sur une étude d’impact sérieuse, mais sur un catalogue de fausse évidences politiquement correctes.
S’agissant de la limitation des mandats dans le temps, il aurait fallu faire du droit comparé. Ainsi, la limitation à un mandat, qui est la règle quasi générale en Amérique latine pour prévenir le caudillisme, a produit des effets pervers : des titulaires honnêtes n’ont pu se représenter ; la continuité de l’action publique a été compromise ; des équipes gouvernementales ou municipales n’ont pas eu le temps d’acquérir l’expérience nécessaire pour gérer convenablement les affaires publiques. Beaucoup de pays latino-américains tentent désespérément de faire sauter ce corset qui est généralement constitutionnel….
On rappellera toutefois malicieusement à Richard Ferrand que le projet de de réforme des institutions de 2018-2019 (qu’il a soutenu dans l’exercice de ses fonctions d’alors) prévoyait précisément de limiter les fonctions électives dans le temps. Ce projet comportait en effet un volet constitutionnel et un volet législatif (loi organique et loi ordinaire). Or ce dernier limitait le cumul dans le temps à trois mandats identiques pour les députés, les sénateurs, les représentants au Parlement européen, les présidents des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, les maires des communes de plus de 9 000 habitants et les titulaires de fonctions dans les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 25 000 habitants. La sagesse de Richard Ferrand sur cette question est une sagesse à retardement.
Pour dissiper les doutes sur ses propos de la veille, Richard Ferrand a précisé sa pensée par un tweet sans équivoque : « Il est consternant de voir s’agiter réseaux sociaux et médias paresseux sur une proposition stupide que je ne fais pas dans un entretien : modifier la Constitution pour la présidentielle de 2027 ». On ne peut être plus explicite. Comme il le dit lui-même, il serait choquant, du point de vue de la morale politique, de changer les règles du jeu en cours de partie.
Si, par extraordinaire, le Chef de l’Etat s‘engageait dans cette voie sans issue, – mais je crois vraiment que c’est une spéculation infondée -, ce serait un coup de force politique dont il n’aurait ni les moyens politiques (une majorité s’y opposerait, tant au Parlement que dans l’opinion), ni juridiques.
En vertu de l’article 89 de la Constitution, une telle révision supposerait en effet d’être votée dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale et au Sénat (avant d’être soumise au Congrès ou au référendum).
Or il n’existerait de majorité pour la voter ni parmi les députés, ni parmi les sénateurs.
Quant à l’article 11 de la Constitution, qui permet au chef de l’Etat de recourir au référendum sans l’aval du Parlement, il est hors de question de l’utiliser aujourd’hui pour une révision constitutionnelle. Il suffit de confronter les articles 11 et 89 de la Constitution pour constater que le référendum laissé par le premier de ces articles à l’initiative du chef de l’État (sur proposition du Premier ministre) n’est pas fait pour une révision constitutionnelle. La révision est traitée à l’article 89, nulle part ailleurs. Le fait que, une fois – et une seule – dans l’histoire de la Ve République (en 1962, pour prévoir que le président serait élu au suffrage universel), la Constitution a été révisée dans le cadre de l’article 11 ne vaut pas faculté donnée à l’exécutif, dans le futur, d’utiliser à sa convenance l’article 11 plutôt que l’article 89 pour une révision. S’il avait le choix entre les deux articles, pourquoi d’ailleurs l’exécutif ne s’affranchirait-il pas toujours de la nécessité d’un agrément parlementaire en optant systématiquement pour l’article 11 ? Aujourd’hui, une tentative de réviser la Constitution ou de déroger à celle-ci par l’article 11 se heurterait, bien avant le scrutin, au Conseil d’Etat (Assemblée, Sarran, 30 octobre 1998) et au Conseil constitutionnel (Hauchemaille et Meyet, 24 mars 2005 ; Hauchemaille et Le Mailloux, 25 mai 2005).
Jean-Eric Schoettl