92 % des maires rapportent avoir été victimes d’incivilités, d’injures, de menaces, ou d’agressions physiques dans le cadre de leur mandat. C’est le résultat effrayant d’une enquête menée par le Sénat.
Après l’émotion suscité par le décès du maire de Signes en août dernier, la haute Assemblée a lancé auprès des élus une consultation pour prendre la mesure des violences dont ils sont victimes.Les résultats ont permis de dresser une typologie des comportements malveillants, de recueillir les témoignages des élus locaux au plus près du terrain et d’examiner les suites données par les autorités sur le terrain. Douze propositions pour lutter contre ces violences ont été faites par le Sénat, dont une partie a été intégrée dans le projet de loi « Engagement et proximité » voté définitivement par le Parlement fin 2019.
J’ai reçu 9 coups de couteau et j’ai été annoncé comme mort au journal de 20 heures », « Un automobiliste en contresens, auquel j’ai indiqué son incivilité : deux coups de poing dans la figure », « Désignation sur les réseaux sociaux de l’adresse de mon domicile privé. », « Depuis mi 2018, un homme a créé un compte Facebook où tout le monde se défoule sur moi, ma famille et mes amis »…
Des témoignages glaçants, recueillis par le Sénat, dans le cadre d’une enquête inédite lancée après la mort du maire de Signes en août dernier. Le décès de cet élu du Var, Jean-Mathieu Michel, avait suscité beaucoup d’émotion et mis en lumière les violences auxquelles les élus locaux, et en particulier les maires, sont confrontés dans l’exercice de leur mandat. « Les maires sont en danger », a alerté cet été François Baroin, le président de l’Association des maires de France. S’ils restent de loin les politiques préférés des Français (83 % ont une bonne opinion de leur maire, selon un sondage Ifop pour le JDD), ils ne sont pas non plus épargnés par la crise démocratique et ses dérivés, parfois violents. C’est sans doute parce qu’ils incarnent, au niveau local, l’autorité publique, que les maires subissent des incivilités, des injures, des menaces et même des agressions physiques.
Et, à en lire le rapport du Sénat, nos concitoyens seraient devenus sans pitié avec leur maire, ne se gênant pas pour les interpeler, parfois brusquement, dès qu’ils sont mécontents. Jusqu’à la menace ou la violence, physique ou verbale.
En 2018, 361 maires et adjoints ont ainsi été victimes d’atteintes volontaires à l’intégrité physique, selon la seule note connue du ministère de l’Intérieur.
Entre 2016 et 2018, menaces et violences ont même augmenté plus vite que les atteintes contre les autres professions.
Nombre d’élus reconnaissent ne plus être en mesure de répondre aux demandes des administrés de plus en plus exigeants. « C’est comme les réseaux sociaux, ils veulent de l’instantané, ils sont demandeurs de services si possible immédiats » explique un élu de la région parisienne. « La mairie devient le bureau des pleurs et le service des réclamations ; les administrés estiment que tout leur est dû parce qu’ils paient des impôts ». Les réseaux sociaux constituent d’ailleurs une préoccupation croissante pour les maires. Plusieurs d’entre eux sont la cible d’attaques en ligne, d’injures ou de propos diffamatoires.
Pour approfondir ces données et mieux prendre la mesure de ce phénomène, la commission des lois du Sénat, en lien avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) a lancé, en août dernier, une grande consultation auprès de tous les maires de France. Avec un objectif : mettre au jour les risques auxquels les élus sont confrontés dans l’exercice de leurs fonctions.
À travers une dizaine de questions, les maires ont pu préciser les circonstances des faits, leur fréquence, et donner leurs avis sur les moyens dont ils disposent pour faire respecter leurs pouvoirs, et les actions à mener pour empêcher les agressions.
3 812 maires au total ont répondu à ce questionnaire, soit près de 11 % des élus, issus de la quasi-totalité des départements.
92 % des réponses font état d’incivilités, d’injures, de menaces ou d’agressions physiques.
Un chiffre impressionnant, mais à relativiser : les maires ou adjoints qui ont répondu l’ont fait en connaissance de cause, pour témoigner. Un chiffre qui n’est donc ni représentatif ni scientifique. Mais ce recueil d’expériences n’en témoigne pas moins de la difficulté à être maire et parfois de la violence que subissent les élus. « Les maires subissent aujourd’hui des atteintes physiques ou verbales que notre République ne saurait tolérer, car la commune est une petite République dans la grande. Notre démocratie doit la protéger, ainsi que ses représentants », avertit Philippe Bas, le président de la commission des lois du Sénat. Ces violences seraient en augmentation depuis les dernières municipales de 2014, selon plus de la moitié des réponses au questionnaire, et elles touchent aussi les familles ou les proches des élus selon 16 % des témoignages.
Les principaux chiffres de la consultation 3 812 élus participants (maires, adjoints, conseillers municipaux) ; |
Cette consultation lancée par le Sénat a permis pour la première fois à de nombreux maires de s’exprimer sur les violences subies. Beaucoup disent leur sentiment de solitude. Ainsi, le maire d’une commune rurale indique que les élus sont souvent démunis face aux violences. Un autre déclare « j’ai le sentiment d’être seul et laissé en première ligne, sans moyens, pour faire respecter le droit et la sécurité ».
C’est surtout dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs de police que les maires sont les plus fortement exposés. Près de 45 % des élus ayant répondu au questionnaire du Sénat ont été victimes d’agissements malveillants alors qu’ils géraient un trouble du voisinage, des autorisations d’urbanisme, des stationnements gênants ou des dépôts sauvages de déchets. Ce maire d’une petite commune témoigne ainsi « à la suite d’une plainte pour dépôt sauvage d’ordure, j’ai reçu des menaces de mort, des insultes, ma voiture a été dégradée. Mais l’affaire a été classée sans suite par la justice…».
De trop rares condamnations qui font que les maires s’autocensurent et ne portent pas plainte. À la question « avez vous porté plainte auprès des services de police ou de gendarmerie compétents ? », la réponse n’est positive que dans 37 % des cas d’agression, ce chiffre diminuant même dans les toutes petites communes de moins de 500 habitants. Ainsi, même après une agression physique, trois maires sur dix ne portent pas plainte. La raison invoquée ? Des plaintes qui n’aboutissent pas faute de moyens et d’effectifs des gendarmes et de la justice. Ou faute de soutien… Ce maire d’une commune de moins de 1 000 habitants raconte « quand j’ai été menacé de mort, le gendarme que je suis allé voir m’a dit : quand on devient maire, il faut s’attendre à se faire insulter et en prendre son parti, c’est les risques du métier ».
La peur des représailles aussi apparaît en filigrane, cet élu avouant par exemple « faire le dos rond et rechercher la conciliation, par crainte d’une riposte ». L’enquête du Sénat leur donne pour une bonne part raison puisque, parmi les plaintes déposées, seuls 21 % ont abouti à une condamnation pénale des fautifs.
Peur des représailles, mais aussi absence de soutien des services de l’État, méconnaissance des outils juridiques à leur disposition, ou insuffisance des moyens de contrainte en leur pouvoir pour faire respecter leurs arrêtés de police administrative. Si les maires disposent de plusieurs outils pour contraindre les contrevenants (mise en demeure, astreintes financières, exécution d’office aux frais du fautif…), sur le terrain ces outils restent souvent insuffisants pour la majorité des élus ayant répondu à la consultation.
La présence d’une police municipale semble être le levier le plus efficace pour faire respecter les décisions prises.
C’est pourquoi, à l’issue de cette enquête, le Sénat souhaite accompagner et protéger davantage les élus dans l’exercice de leur mandat. En effet, près de 85 % des répondants déclarent ne pas avoir reçu d’assistance des services de l’État après avoir subi des violences. Certains déplorent le manque de soutien des préfectures et sous-préfectures, quand d’autres révèlent même ne pas avoir pu porter plainte à la gendarmerie. De plus, seuls 32 % des répondants disent avoir bénéficié d’une protection juridique. Celle-ci semble particulièrement difficile à mettre en œuvre dans les petites communes.
Pour pallier ce manque, il faudrait élargir à l’ensemble des élus communaux le périmètre de l’assurance obligatoire de protection juridique, et attribuer systématiquement la protection juridique aux maires victimes d’agression, sans délibération préalable du conseil municipal. C’est l’une des premières préconisations du Sénat qui demande aussi une réponse pénale systématique et ferme en cas d’agression d’élus locaux et le renforcement de l’assistance des services de l’État.
En tout, c’est un plan d’action de douze mesures pour renforcer l’autorité des maires, conforter leurs moyens d’action et mieux les protéger dans l’exercice de leurs fonctions que le Sénat a proposé cet automne.
Une partie de ces propositions ont fait l’objet d’amendements à la loi « Engagement et proximité » adoptée cet hiver par le Parlement. Le texte est une prise de conscience du gouvernement de la nécessité de s’appuyer plus sur les collectivités locales et leurs élus. Et, pour ce, leur garantir les moyens d’exercer correctement et en toute sécurité leur mandat. On est donc loin aujourd’hui du hashtag #balancetonmaire, même si les relations avec l’État restent tendues, notamment au niveau financier. Le Premier ministre a néanmoins exprimé sa volonté de faire taire ce qu’il nomme les « irritants » de la loi NOTRe, votée sous François Hollande. Cette législation a été vécue très négativement par les maires, comme une perte de compétences et de moyens de leur mairie au profit des communautés de communes. Sur le terrain, les maires ont l’impression de subir des choix politiques faits sur leur territoire, sans eux.
Violences subies, pertes de compétences, moyens financiers en berne… à quelques semaines des municipales, ils sont nombreux à avoir jeté l’éponge et décidé de ne pas se représenter. En novembre 2019, soit quatre mois avant les élections municipales de mars 2020, un peu moins de la moitié (48,7 %) des maires souhaitaient se représenter, 23 % restaient indécis et 28,3 % disaient vouloir abandonner, selon l’enquête Cevipof-Association des maires de France, présentée au 102e Congrès des maires. À la même question posée un an auparavant, près d’un maire sur deux déclarait vouloir renoncer à se présenter, ce qui, conjugué à la publication de chiffres portant sur les démissions d’élus locaux en cours de mandat, avait alimenté les commentaires alarmistes sur le découragement des maires et la crainte d’une pénurie de candidats lors du prochain scrutin. En définitive, le pourcentage de maires ne se représentant pas en 2020 devrait être assez proche de celui de 2014 (27 %), ce qui correspond à un taux habituel de renouvellement. Ce sont donc plutôt les statistiques concernant les violences faites aux élus qu’il faudra désormais surveiller de plus près.
Les 12 propositions du Proposition n° 1 : Élargir à l’ensemble des élus communaux le périmètre de l’assurance obligatoire souhaitée par le Gouvernement pour couvrir les frais liés à la protection fonctionnelle. |
Perrine Tarneaud
Directrice de l’information parlementaire, Public Sénat