Au moment de prendre sa plume, tout analyste politique tend à parer la séquence électorale qui concentre son attention des atours de l’inédit et de l’exceptionnel. C’est en pleine conscience de cette pente naturelle, qu’il convient pourtant de reconnaître que le dernier cycle électoral s’inscrit en forte rupture avec ses devanciers.
À l’occasion des huit scrutins de 2016-20171 l’impensable l’a disputé au jamais vu. L’impensable, ce fut d’abord la désignation lors du scrutin matrice de la Ve République d’une personnalité inconnue des Français moins de trois ans auparavant. Le jamais vu ensuite fut matérialisé par le « double 21 avril » qui a submergé les deux principales forces politiques de ces quarante dernières années, éliminées de la course présidentielle au soir du premier tour et victimes le mois suivant d’un effondrement sans précédent du nombre de leurs députés élus au scrutin législatif2.
Plus fondamentalement, cette séquence électorale a accéléré et exacerbé le phénomène de décomposition/recomposition du champ politique, avec pour pierre angulaire la mise entre parenthèses de la bipolarisation qui structurait jusqu’alors la vie politique française. Ce mouvement avait toutefois été déjà largement entamé lors des scrutins intermédiaires du quinquennat de François Hollande. Marquées par l’émergence d’une structuration tripartite du champ politique entre le Parti socialiste, l’UMP et le Front national3, ces élections de « mid-term » avaient de surcroît révélé de réelles difficultés pour les deux forces politiques dites « de gouvernement » à faire face à la montée du Front national4 et plus largement à recréer les conditions de la bipolarité gauche-droite du champ politique.
Le résultat du dernier cycle électoral a accentué encore cette tectonique des plaques partisanes. À la tripartition a succédé un équilibre entre cinq forces politiques connaissant des dynamiques très inégales et redéfinissant largement la sociologie électorale française. Notre objet ici est d’analyser cette nouvelle structure, en distinguant d’une part les caractérisations des groupes électoraux ayant émergé à la faveur des scrutins présidentiel et législatifs, et en identifiant d’autre part les éléments de ruptures ou de continuités concernant la structuration et de la composition d’électorats plus classiques, d’ores et déjà constitués lors des élections de la séquence 2012-2015.
Le vote Macron, entre homogénéité sociodémographique et diversité politique
Esquisser un premier portrait de la nouvelle sociologie électorale française suppose de s’intéresser en premier lieu au vote en faveur d’Emmanuel Macron, qui, pour sa première expérience du suffrage universel, s’est imposé dans le scrutin cardinal de la Ve République.
Les conditions particulières de son score écrasant du second tour, de même que la confirmation « mécanique » de sa victoire lors d’élections législatives ayant – inversion du calendrier électoral oblige – perdu toute singularité, rendent plus pertinent de concentrer l’analyse sur le scrutin du 23 avril. Arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle avec 24,2 % des suffrages, Emmanuel Macron a bénéficié du soutien d’un groupe dont la structure sociodémographique se distingue par son homogénéité et sa composition équilibrée, spécificité qui avait d’ailleurs été observée lors du premier tour du scrutin présidentiel de 2012 concernant François Hollande5, candidat « attrape-tout ».
En effet, sur les douze catégories de population identifiées dans le sondage Ifop-Fiducial réalisé le jour du vote du 23 avril 20176, notamment selon les variables du sexe, de l’âge et de la profession des électeurs interrogés, la différence entre les scores observés par segments et la moyenne globale du vote Macron s’avère le plus souvent marginale. Ce point s’avère particulièrement notable s’agissant de l’âge. La structure générationnelle des électeurs du fondateur d’En marche ! oscille tout au plus de 3 points (23 % à 26 %) et apparaît identique parmi les 18-49 ans, en rupture avec la répartition archétypale des votes présidentiels, durant lesquels les candidats de gauche surperforment chez les plus jeunes et les candidats de droite capitalisent sur le vote des seniors ou des retraités.
Seule la catégorie sociale vient nuancer ce caractère homogène et équilibré du vote en faveur d’Emmanuel Macron. En effet, observe-t-on un écart de plus de 20 points entre le vote Macron parmi les cadres et les professions libérales – segment au sein duquel celui-ci rencontre la plus forte adhésion – et son score parmi les ouvriers, auprès desquels il est nettement devancé par Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Ce clivage social inscrit plus largement la sociologie du vote Macron dans la continuité de celle de la « France du oui » au referendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen. En effet, à l’issue d’une campagne au cours de laquelle Emmanuel Macron a porté un discours pro-européen à rebours de l’euroscepticisme de la plupart de ses concurrents, l’adhésion en sa faveur s’est exprimée plus intensément parmi les segments les plus épargnés par les effets de la crise et les moins inquiets quant à la capacité du pays à s’insérer dans la mondialisation7. Parmi ces catégories, « bataillons du oui » le 29 mai 2005, figurent outre les cadres supérieurs et professions libérales déjà cités, l’électorat âgé et les personnes les plus diplômées (35 % pour Emmanuel Macron chez les électeurs titulaires d’un diplôme de 2e ou 3e cycle vs 26 % en faveur de François Fillon).
La massification du vote Macron, en dépit de cette inflexion vers la « France du oui », a donc constitué la principale composante de la structuration du vote en faveur du candidat ayant compté le plus grand nombre de suffrages au soir du 23 avril.
On ne saurait en revanche aucunement décrire en termes d’homogénéité la sociologie du vote Macron par sympathie partisane ou au regard des scrutins antérieurs à l’élection présidentielle. En effet, sur ce point, celui-ci n’est pas « chimiquement pur », mais s’est construit sur une agrégation d’électeurs des deux rives, phénomène quasi inédit8 à l’échelle d’une Ve République structurée par la bipolarisation gauche-droite.
Tableau 1 – Le vote Emmanuel Macron
Ainsi, Emmanuel Macron a capté près d’un électeur sur deux de François Hollande comme de François Bayrou de la présidentielle de 2012. Dans le même temps, 17 % des électeurs sarkozystes du 22 avril 2012, voire 23 % des électeurs Les Républicains du dernier scrutin régional ont préféré exprimer un vote pour le fondateur d’En marche ! que d’inscrire leur choix électoral dans le giron de la droite. Notons que cette fuite de cet autre peuple de droite « hors des murs », s’est confirmée de manière tout aussi spectaculaire aux élections législatives. À cette occasion, 20 % de l’électorat Fillon a choisi de voter pour La République en marche, exprimant alors diverses motivations, entre le souhait de donner sa chance au nouveau président, un attentisme bienveillant à son égard et la satisfaction de constater la nomination à Matignon et Bercy de personnalités issues de leurs rangs.
Ce rassemblement d’électeurs de gauche, du centre et de droite autour de la candidature Macron, est enfin une conséquence directe des deux derniers quinquennats, considérés par une majorité de Français comme des échecs. Surtout, il a consacré le vote Macron comme un vote d’alternative, rôle précédemment dévolu au Front national, lors des scrutins intermédiaires de 2014 à 2015.
Le vote Hamon ou l’effacement de l’électorat socialiste
La véritable OPA d’Emmanuel Macron sur l’électorat présidentiel de François Hollande apparaît comme le négatif emblématique de l’échec « historique » du candidat Benoît Hamon. Avec un score de 6,3 % au premier tour, le vainqueur de la primaire de janvier 2017 a à peine fait mieux que Gaston Defferre lors de l’élection présidentielle consécutive au départ du Général de Gaulle et a atteint le plancher pour un candidat soutenu par le Parti socialiste « post Épinay ».
La question des responsabilités de Benoît Hamon mérite un débat, qu’il s’agisse de son positionnement à la fois trop modéré pour espérer attirer des électeurs de gauche radicale et venir ainsi bousculer le candidat de la France insoumise9, mais également trop frondeur pour rassembler le cœur électoral réformiste du PS de 2012, dont finalement une très faible minorité (16 %) choisira le candidat Hamon.
Pour autant, au-delà des « fautes » stratégiques ou de l’insuffisante présidentialité du candidat socialiste, ce deuxième 21 avril subi par le PS est aussi l’aboutissement d’un déclin électoral antérieur à la présidentielle. Lors de l’ensemble des scrutins du quinquennat de François Hollande, le Parti socialiste a subi des défaites qui, par leur ampleur10, sont allées bien au-delà de la sanction traditionnelle du parti au pouvoir lors des scrutins intermédiaires. L’examen de la structure de l’électorat socialiste vient confirmer le caractère exceptionnel de la séquence venant de s’achever, mais également son effet inéluctablement destructeur pour le PS.
Tableau 2 – Le vote Benoît Hamon
Ainsi, l’effondrement du vote en faveur du parti de Solferino (- 22 points comparés à avril 2012) s’accompagne d’une quasi disparition de toutes les spécificités traditionnelles de la sociologie socialiste. Seul le score de Benoît Hamon auprès des professions intermédiaires se différencie significativement de sa moyenne globale. Pour autant, même auprès de ce segment qui avait jusque-là affirmé le plus fidèlement son attachement au vote socialiste, y compris en période de basses eaux électorales, Benoît Hamon se voit devancé au soir du 23 avril par Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, voire par Marine Le Pen.
De la même manière, on observe un effacement géographique du vote socialiste. Benoît Hamon n’émerge au-dessus de 20 % dans aucune circonscription, y compris dans le quart Sud-Ouest de l’Hexagone, zone de résilience du vote socialiste lors des deux scrutins régionaux et départementaux de 2015. Plus qu’une alternance, c’est un remplacement que le Parti socialiste a vécu lors de l’élection présidentielle, largement confirmé aux élections législatives.
Le vote Mélenchon, une spectaculaire mutation depuis 2012
La déroute du Parti socialiste doit être considérée à l’aune des résultats de la deuxième candidature présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. Celle-ci a bénéficié de la plus forte dynamique enregistrée durant la campagne. Entre la première et la dernière vague d’enquête du Rolling présidentiel Ifop-Fiducial, le candidat de la France insoumise est passé de 9 %11 à 19 % des intentions de vote.
Apparaissant quasi systématiquement dans ce dispositif d’enquête comme le candidat menant la meilleure campagne, le fondateur de la France insoumise est parvenu à opérer, notamment lors des débats télévisés, une transformation profonde de son image, le prémunissant de la vague dégagiste. Le candidat de 2012 « du bruit et de la fureur, du tumulte et du fracas » a su incarner une figure « jaurésienne » que les Français ont perçu comme proche de leurs préoccupations, intègre et rassurante12.
La sociologie du vote Mélenchon s’inscrit d’ailleurs dans ce mouvement de ruptures, mais aussi de continuités, avec le vote de 2012 en faveur du candidat de feu le Front de gauche. D’une présidentielle à l’autre, Jean-Luc Mélenchon obtient, comme en 2012, ses meilleurs scores auprès des segments électoraux traditionnels de la gauche de la gauche, à savoir les personnes âgées de moins de 25 ans, mais également les 50-64 ans – segment où le vote PCF a moins reculé que dans d’autres générations – les professions intermédiaires et les ouvriers. En outre, on retrouve un clivage générationnel prononcé, observable en avril 2012 et encore plus nettement en avril 2017 par une sous performance dans l’électorat âgé au sein duquel Jean-Luc Mélenchon réalise un score de 7 points inférieur à sa moyenne globale.
En revanche, au-delà de ces invariants, le vote Mélenchon 2017 s’est nourri de la démonétisation du vote Hamon et a opéré, lui aussi, une captation d’une partie des catégories se situant traditionnellement dans le giron du vote socialiste. En attestent, d’un scrutin présidentiel à l’autre, les fortes progressions constatées parmi les électeurs âgés de 25 à 34 ans (+ 13 points au sein de cette génération de l’insertion, qui a fait payer au candidat socialiste l’échec de F. Hollande en matière d’emploi), au sein des professions intermédiaires (+ 12 points) et dans le salariat (+ 10 points qu’il s’agisse des salariés du privé ou du public).
S’agissant par ailleurs des évolutions des électorats présidentiels de 2012, le vote Jean-Luc Mélenchon, en rassemblant sur son nom 26 % des électeurs de premier tour de François Hollande (versus 12 % seulement des électeurs Royal lors du précédent scrutin) s’est avéré un réceptacle – homothétique de celui des électeurs ayant fui vers le vote Macron – d’une partie des déçus du quinquennat de François Hollande.
Tableau 3 – Le vote Jean-Luc Mélenchon
Enfin, la dynamique électorale en faveur du candidat de la France insoumise a également modifié, au-delà des équilibres à gauche, des éléments de la sociologie de l’électorat frontiste. Il est certes peu convaincant d’avancer une hypothèse de transferts d’un électorat à l’autre pour expliquer le score présidentiel en demi-teinte de Marine Le Pen. D’une part, le déplacement des électeurs « Le Pen 2012 » vers le candidat Mélenchon s’est avéré marginal (4 %). D’autre part, en dépit de la stratégie commune aux deux candidats d’affranchissement du clivage gauche-droite, l’immense majorité de leurs électeurs se positionnent clairement aux points opposés de ce même axe.
Pour autant, en compétition avec Marine Le Pen auprès de catégories sociodémographiques identiques se vivant comme perdantes dans la mondialisation13, Jean-Luc Mélenchon a contribué à une moindre progression de la candidate du FN dans des segments comme les personnes âgées de 35 à 49 ans, les employés et plus largement les salariés parmi lesquels le Front national avait percé dès 2012 et surperformé dans les quatre scrutins intermédiaires de la période 2014-201514.
Le vote Le Pen, un coup d’arrêt dans la
« France du Travail »
L’analyse de la deuxième candidature de Marine Le Pen à l’élection présidentielle conduit à des conclusions contrastées. Certes, quinze ans après le coup de tonnerre du 21 avril 2002, la présidente du Front national est parvenue, presque sans surprise à accéder au second tour de l’élection présidentielle. Toutefois, deux éléments viennent limiter la portée de cette performance électorale, au-delà même de la campagne du second tour marquée par un débat raté face à Emmanuel Macron.
D’une part, Marine Le Pen n’a pas connu de véritable dynamique électorale, le Rolling Ifop-Fiducial ayant plutôt enregistré une érosion des intentions de vote de premier tour en sa faveur, notamment après les débats télévisés.
D’autre part, le résultat obtenu par la candidate frontiste, arrivée en deuxième position et en progression d’à peine 3 points comparée au 22 avril 2012, s’inscrit en rupture avec la spectaculaire dynamique électorale du Front national aux scrutins intermédiaires précédents. Ces derniers, systématiquement caractérisés par des progressions électorales conséquentes, avaient révélé un Front national se présentant comme le premier parti de France, hégémonique dans ses segments-forces électoraux et se renforçant nettement dans les catégories de la France active.
L’analyse du vote Le Pen 2017 confirme pleinement cette rupture avec le cycle électoral entamé en 2012. Certes, le vote en faveur de la présidente du Front national se nourrit toujours de niveaux élevés, voire d’un carton plein, au sein des segments historiques du vote frontiste : les jeunes âgés de moins de 35 ans, les ouvriers et les personnes dotées d’un diplôme inférieur au baccalauréat. Toutefois, même parmi ces catégories immuables du vote frontiste, on a observé un reflux par rapport au scrutin régional de décembre 2015 (- 7 points parmi les moins de 25 ans, – 12 points chez les ouvriers).
Tableau 4 – Le vote Marine Le Pen
Surtout, Marine Le Pen a perdu son avantage parmi les catégories de la « France du travail », celle des générations intermédiaires (les 35-49 ans) et du salariat, segments constituant traditionnellement une clef majeure explicative du vote présidentiel. Au cours des dernières années, cette France active avait largement adhéré au discours sarkozyste lors de la campagne de 2007, centré sur la valeur travail et sa reconnaissance (« le travailler plus pour gagner plus »). Puis cette « France qui se lève tôt » s’était largement détournée du candidat de l’UMP en 2012, au point qu’il y fut devancé par François Hollande et Marine Le Pen au soir du premier tour (Nicolas Sarkozy obtenait ainsi, par exemple, 22 % des votes des 35-49 ans, contre 25 % pour le candidat socialiste et la candidate frontiste, le retard du candidat UMP dans le salariat étant encore plus élevé).
Cette « France du travail » s’est ensuite massivement « donnée » au Front national de Marine Le Pen à toutes les élections intermédiaires du quinquennat Hollande15, sanctionnant fortement ce dernier et délégitimant plus largement le bilan des deux derniers locataires de l’Elysée sur les plans socio-économiques. Or, le dernier scrutin présidentiel a vu cette préférence pour le Front national parmi les catégories de la « France du travail » contestée par Jean-Luc Mélenchon et par Emmanuel Macron.
Le vote d’alternative monopolisé essentiellement par le FN en 2014 et 2015 (résumé par l’antienne frontiste « UMPS ») a fait place à une compétition avec le candidat d’En marche ! et, à un degré moindre, celui de la France insoumise, laquelle a surtout contribué à l’érosion du potentiel électoral de Marine Le Pen.
En attestent la stagnation voire les reculs de cette dernière parmi les électeurs âgés de 35 à 49 ans (23 %, + 1 point par rapport à avril 2012 mais – 9 par rapport au scrutin régional), les salariés du secteur privé (+ 3, – 8 points depuis le scrutin régional) et ceux du public (- 1 point).
Enfin, en dépit des proclamations du FN quant à sa capacité à exercer à court terme le pouvoir, le vote frontiste pâtit toujours d’une grande faiblesse dans des catégories quantitativement importantes et peu abstentionnistes, constituant autant de digues à toute victoire électorale à un scrutin national.
Ainsi, Marine Le Pen n’est pas parvenue à percer dans les segments qui dessinaient les contours de la « France du oui » du 29 mai 2005. Elle y a au contraire obtenu des scores très inférieurs à sa moyenne globale et/ou en recul par rapport à 2012 que ce soit parmi les personnes âgées de plus de 65 ans (14 %)16, les cadres supérieurs et les professions libérales (10 %, – 3 points depuis 2012) ainsi qu’au sein des personnes les plus diplômées (8 %).
Toujours dominant dans les catégories historiques du FN, pâtissant d’un coup d’arrêt dans les segments de la France active, rejeté par les électeurs confiants dans la capacité du pays à s’insérer dans la mondialisation et peu impactés par les effets de la crise, le vote Marine Le Pen s’est en quelque sorte « jean-marisé », lors de cette deuxième campagne présidentielle.
Le vote Fillon, un échec indépendant du candidat ?
Au-delà de la double élimination subie par Benoît Hamon et François Fillon, on ne saurait bien évidemment assimiler la déconvenue présidentielle des Républicains à celle connue par le PS. En effet, à l’effondrement, voire l’effacement, du vote socialiste, l’électorat de droite républicaine a opposé une véritable résilience compte tenu du caractère très chaotique de la campagne de leur candidat. Finalement assez stable dans les intentions de vote mesurées quotidiennement dans le Rolling Ifop-Fiducial, le candidat François Fillon a échoué à moins de 500 000 voix de l’accès au second tour17. L’examen de sa structure électorale tend à dévoiler des facteurs de continuité avec les scrutins précédant l’élection présidentielle.
En effet, les difficultés de François Fillon au cours de sa campagne ne se sont que marginalement traduites auprès des segments traditionnels de l’électorat de droite. Au contraire, à l’instar de Nicolas Sarkozy en 2012, le candidat des Républicains surperforme et devance nettement ses concurrents dans l’électorat âgé de plus de 65 ans, parmi les retraités et les travailleurs indépendants. Tout juste peut-on relever une érosion de 2 à 3 points auprès de ces catégories comparé au vote Sarkozy 2012.
La défaite de François Fillon n’a dès lors que peu de liens avec une mobilisation insuffisante de son cœur de cible.En revanche, le candidat des Républicains a enregistré des scores très inférieurs à sa moyenne auprès des segments de la « France du travail ». Il est ainsi devancé systématiquement par Emmanuel Macron, Marine Le Pen voire Jean-Luc Mélenchon chez les personnes âgées de 25 à 49 ans et parmi les salariés du secteur public comme du privé. Les scores observés s’avèrent en net retrait par rapport à la dernière élection présidentielle, marqués par une baisse de 9 points chez les 25-34 ans et les 35-49 ans, comme dans le salariat.
Tableau 5 – Le vote François Fillon
Pour autant, ces scores médiocres auprès de ces segments de la « France du travail » ne sauraient être entièrement imputés au candidat Fillon, dans la mesure où ce phénomène s’observait déjà à droite. Cette France active avait fortement sanctionné Nicolas Sarkozy en 2012, déçue de son bilan sur les enjeux socio-économiques et s’estimant trahie sur les promesses non tenues en matière de pouvoir d’achat. Or, en dépit de ses succès aux élections intermédiaires, la droite parlementaire ne s’est qu’insuffisamment « rétablie » dans ces catégories. À titre d’exemple, lors du premier tour des élections régionales, les listes de droite et du centre ont été devancées dans le salariat comme dans les catégories générationnelles intermédiaires par celles du Front national.La permanence de ces déficits au premier tour de l’élection présidentielle s’est en outre doublée de l’attraction exercée par le candidat Macron auprès de ces segments de la France active, surreprésentés parmi les électeurs traditionnels de la droite ayant finalement choisi le fondateur d’En marche18!.
S’il faut finalement trouver des spécificités au résultat des Républicains reposant spécifiquement sur la tonalité de la campagne ou l’offre programmatique de François Fillon, sans doute résident-elles dans les scores faméliques observés dans certaines clientèles comme les moins de 35 ans, les ouvriers ou les salariés du secteur public19. Même éloignés du cœur traditionnel de l’électorat de droite, les résultats enregistrés au sein de ces catégories matérialisent l’échec « historique » à une élection présidentielle du candidat de droite.
Frédéric Dabi
Directeur général adjoint Ifop
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- Des primaires organisées par Les Républicains en novembre 2016 jusqu’aux élections législatives de juin dernier. ↩
- D’une législature à l’autre, le Parti socialiste passe de 297 à 31 députés. Les Républicains forment au lendemain du 18 juin un groupe parlementaire de 100 élus, soit un nombre encore plus bas même qu’en juin 1981. ↩
- « 2012-2015 continuités et ruptures dans la structuration des électorats PS, UMP et FN », Revue Politique et Parlementaire, n°1075, avril-juin 2015. ↩
- Scores du FN : 25 % aux élections européennes, 25,24 % aux élections départementales, 27,73 % aux élections régionales. ↩
- « 2012-2015 continuités et ruptures dans la structuration des électorats PS, UMP et FN », Revue Politique et Parlementaire, n°1075, avril-juin 2015. ↩
- Dans cet article, il sera fait référence au sondage Ifop-Fiducial « Jour du vote » pour CNews, Paris Match et Sud radio réalisé en ligne le 23 avril 2017 auprès de 3 668 personnes inscrites sur les listes électorales. ↩
- Sur 100 électeurs se vivant comme des gagnants de la mondialisation, 39 ont exprimé un vote Macron, 26 ont choisi François Fillon, respectivement 14 et 10 ont fait le choix de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. ↩
- Cf. François Bayrou lors de sa deuxième candidature présidentielle en 2007 était également parvenu à séduire une part significative d’électeurs des deux rives. ↩
- Seuls 6 % des électeurs Mélenchon 2012 ont fait le 23 avril le choix de Benoît Hamon. On peut aussi penser que la bienveillance de Benoît Hamon vis-à-vis de Jean Luc Mélenchon n’a fait que conforter les électeurs de gauche radicale dans leur volonté de choisir l’original à la copie. ↩
- Perte de 171 villes de plus de 9 000 habitants en mars 2014, score plancher de 13,9 % aux élections européennes, élimination dès le premier tour des élections départementales dans près de 500 cantons. ↩
- Rappelons que dans cette première enquête, Benoît Hamon auréolé de sa victoire à la primaire comptait un socle d’intentions de vote de 18 %. ↩
- Cf. l’enquête Ifop-Fiducial pour Paris Match et Sud radio menée entre les deux débats de premier tour : J.-L. Mélenchon, comparé à B. Hamon, E. Macron, F. Fillon et M. Le Pen, est perçu comme le plus honnête (37 %), celui comprenant le mieux le quotidien des Français (44 %) et le moins inquiétant (6 %). ↩
- C’est dans l’électorat de Jean-Luc Mélenchon que l’on compte, après l’électorat Marine Le Pen (25 % contre 34 %), le plus d’individus exprimant ce positionnement négatif face à la mondialisation. ↩
- Cf. supra le vote Marine Le Pen. ↩
- Cf. « 2012-2015 continuités et ruptures dans la structuration des électorats PS, UMP et FN », Revue Politique et Parlementaire, n°1075, avril-juin 2015. ↩
- En dépit des efforts déployés par le FN pour parler à cet électorat et le rassurer sur la question de l’euro. ↩
- Il recueille le 23 avril dernier 7 213 797 voix contre 7 679 493 pour Marine Le Pen. ↩
- Sur 100 électeurs de Nicolas Sarkozy du 22 avril 2012, 17 % ont exprimé un vote Emmanuel Macron. ↩
- En recul de plus de 10 points par rapport au score présidentiel de Nicolas Sarkozy. ↩