Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
La place des artistes, lundi 13 avril
“Chaque génération sans doute se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est encore plus grande ; elle consiste à empêcher que le monde se défasse” (Albert Camus, Discours de Stokholm). Nous sommes beaucoup, sans doute, a avoir médité ou cité cette phrase ces derniers mois. Elle résonne, aujourd’hui, avec une curieuse profondeur de sonorité. En quelques jours, un coronavirus en a produit une compilation surprenante. Voilà notre génération devant cette double tâche d’empêcher le délitement et, probablement, de refaire le monde.
Le problème que nous avons devant nous est de traquer les secrets manquants du vivant pour pacifier et exalter les relations des humains avec leurs environnements pour accéder au grand Art et à la grande Technique.
C’est le grand retour du “vivant” face aux risques d’une déshumanisation technologique et industrielle.
Cela nous ramène à un grand défi politique qui doit se nourrir de la création artistique. Revenir à l’intuition fondamentale des Lumières qui réconcilie le sujet savant et le sujet sensible en montrant comment ils sont, tous deux, mus par une même énergie créatrice.
N’est-ce pas ce défi qu’est venu rappeler le président allemand, Franck Walter Steinmeier, en déclarant que cette pandémie n’était pas une guerre mais un test de notre humanité ?
Dans cette perspective, l’enjeu n’est plus la spécialisation du scientifique ou de l’artiste, mais un même acte d’élucidation des mystères de l’univers et de l’existence.
Quels rapports faut-il entretenir avec la nature pour pouvoir la comprendre ? Quels dispositifs internes permettent que soit ouvert en permanence le dialogue des vivants avec leur environnement ? Il y a là les questions les plus importantes pour les temps à venir.
Un artiste, Johan Le Guillerm, nous confronte à ce mystère qui, dans cette période de crise, s’impose comme un cahier des charges pour projet à construire. Je restitue, ici, quelques lignes que le biologiste Jean Paul Escande, avaient écrites en sortant d’un de ses spectacles : “En regardant travailler Johan le Guillerm, on se prend à penser en scientifique. Le jour où l’on comprendra quels dispositifs, (internes à lui, mais lui permettant de reconstruire en lui le monde extérieur) Le Guillerm sollicite et utilise pour construire, faire vibrer et se mouvoir, ses machines et abris, alors ce jour nous aurons ouvert une porte à deux battants. Nous aurons démasqué des secrets de la nature encore manquants. Des secrets dont dépend le destin des humains, puisqu’ils dévoileront, au moins en partie, tant nos relations au monde des vivants et à la matière, que les mystères de la création artistique et technique. Bref : nous aurons approché toutes les facettes de l’esprit de Léonard de Vinci qui d’ailleurs il y a cinq siècles, a indiqué aux chercheurs, comment lier neurosciences au sciences physiques « Trasmutarsi nelle propria mente de la natura » En gros « transmute toi en l’esprit de la nature ». Ce que fait le Guillerm intuitivement, quand saura-t-on l’expliquer biologiquement ?… Qu’est-ce que l’on attend ? Cela ferait tellement de bien de quitter le monde quotidien des invectives, dénonciations et du profit immédiat afin de « plonger dans l’inconnu pour trouver du nouveau » Défier les profonds azurs, vierges encore à bien des égards, de la pensée humaine : c’est LA Voie”.
Le travail de cet artiste touche au fondamental. Il fait revivre les relations entretenues depuis toujours par les humains avec la nature. Il ne s’agit pas de la dominer, moins encore de la brutaliser, mais d’en utiliser les ressources de façon complice.
Partir de la prévalence du vivant, accompagner les fonctionnements, cachés ou pas, de la nature et pour cela redonner à l’artiste et à la création leur place indispensable dans la société.
Je voudrais consacrer quelques chroniques à ces sujets. Jusqu’à proposer des outils opérationnels car cette période anxiogène a autant besoin de grilles de réflexion que de traductions concrètes pour réinstaller la confiance.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste