Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Le mal français, l’épaisseur réticulaire, jeudi 30 avril
S’il est une chose que la pandémie va porter sur la place publique de l’introspection nationale, c’est bien la faiblesse accumulée de notre épaisseur réticulaire (les couches superposées de réseaux qui donnent la profondeur de l’organisation). On l’avait perçu avec la présidence actuelle, un Jupiter sans couches profondes, sans réseaux profonds. Et, d’ailleurs, n’était-ce pas ça le « nouveau monde » ? Il fallait effacer toutes ces couches intermédiaires de gêneurs. On avait confondu les « air bag » protecteurs et la bureaucratie anesthésiante.
Dans les années 1990, Jacques Pilhan (à partir des études de Jacques Anfossi), le conseiller de Mitterrand puis de Chirac, développa une analyse fine autour des « rurbains ». Cette couche sociale, d’une importance croissante, supprimait les plans moyens. Pour eux, il y avait le Maire et le Président de la République. On est au bout du chemin.
Si on évoque l’industrie, les mêmes mots pour les mêmes maux. La perte des structures économiques intermédiaires que l’on envie, aujourd’hui, à l’Allemagne.
On pourrait multiplier les exemples. Mais avec la crise sanitaire, c’est aussi une partie de l’administration qui est dans le viseur. Sa « super ou techno- structure ». Le procès ne fait que commencer.
En réalité, une épaisseur réticulaire faisait ses choux gras. Mais cette épaisseur n’était pas de la bonne graisse. C’était celles des rentes de situation. L’épaisseur réticulaire des places et non du sens.
Voilà un enjeu pour les territoires. Ils ont la légitimité pour recoudre cette société en plaie à vif.
La crise sanitaire illustre parfaitement cette question de la couture et des couturier(e)s.
Forçons ce trait. Reprendre au début. Avant de parler, ou, à tout le moins, simultanément, de relocalisation ou de réindustrialisation, il faudra se rappeler que l’on a besoin de sachant coudre. Il faut retrouver une grande politique de la formation professionnelle et de l’apprentissage.
Mais, pour que ça ne soit pas un slogan vide, il faut l’adosser à la question stratégique de la compréhension fine de la plasticité des organisations économiques et sociales.
Les données territoriales, ce que je nomme le big data patrimonial, sont, dans ce contexte, une énergie essentielle pour faire bouillir les marmites de la transformation.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste