Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Puisque tel était l’engagement de Terra Incognita, être un journal éphémère, le temps d’un confinement, il faut préparer sa fin. En définitive, me voici calé sur le calendrier gouvernemental. Je vais tenter de proposer, très synthétiquement, une synthèse de l’ensemble des chroniques en mode : guide de déconfinement.
Ensuite, à partir du 11 mai, se posera la question d’une mutation de Terra Incognita en Terra Experimenta. Mais, pour l’heure, rien n’est clair. Si, une chose, se situer du côté de la ligne de partage qui refuse la continuité et cherche les voies de la transformation.
Synchronicité, autorité, identité, vendredi 8 mai
La pandémie est venue parachever un édifice dont on percevait des bouts d’élévation sans en reconnaître nettement les formes. On commence à discerner qu’il était cul par-dessus tête, un grand œuvre de déconstruction.
C’est le réel sur lequel nous nous cognons. L’appareillage symbolique de la période n’arrive plus à l’expulser de la réalité comme c’est sa mission, pour qu’il soit pas trop angoissant.
Ce réel raconte des ressentis forts autour d’un axe structurant qui relie autorité et identité. Ces deux valeurs sont le corps du problème. Elles charrient une peur de l’avenir, un sentiment de déclassement, une perte d’estime de soi et un profond manque d’être pris en considération. La défiance partout, l’espérance nulle part.
Une énorme crise existentielle qui, pour des raisons diverses et avec des formes d’expression spécifiques, prospère sur un socle commun de crise climatique et de déshumanisation par les excès de la technologie.
La pandémie est venue dans un effet miroir opposer sa violence traumatique à une violence qui cherchait sa représentation.
Cette synchronicité est puissamment évocatrice, sans lien causal. Elle nous livre brutalement des clés de ce réel. Avec une vague de thèmes associés : dépendance, souveraineté, anthropocène, mondialisation, progrès puissance, modes de vie et de production. Cela ouvre les colonnes médiatiques à des contributions messianiques qui s’autorisent, parfois, avec une naïveté inattendue.
Ces contributions sont décomplexées, aussi, en raison d’une crise de l’autorité qui est aussi celle de la rhétorique. Déjà les appels à l’ordre et au repli commencent à poindre. C’est le résultat d’un vide. L’absence d’une perception claire de ce que l’on attend de cette autorité. Autorité autoritaire ou autorité humaine ? C’est la contradiction d’une société de la jouissance qui veut s’autoriser sans repère vertical et qui, dès lors, s’asphyxie dans ce trop profond bol d’oxygène individualiste.
La mise en cause contemporaine de l’autorité tient beaucoup du malentendu avec les nouveaux droits de l’horizontal et d’une illégitimité d’une autorité à en venir limiter l’horizon.
La première ligne de partage, post crise sanitaire, confrontera ces visions de l’autorité qui, elles-mêmes génèreront des conceptions de l’identité.
Les débats actuels sur l’identité se construisent sur les peurs et le sentiment de déclassement. Les populismes se nourrissent de cette situation. On le perçoit avec les mouvements sociaux comme autour de la question des migrants.
La crise de l’identité, dans son exploitation populiste, veut se référer à la nostalgie de l’origine et au mythe de l’ancêtre sur fond de quête d’une pureté factice.
Elle se traduit, aussi, sur un escamotage d’une perception positive du futur.
Il y a là, une crise de la référence. Mais celle-ci est la résultante d’une perte de confiance. C’est une identité de repli et non d’ambition partagée.
Le thème de l’identité recouvre, aussi bien, des problématiques individuelles que collectives.
Car l’identité est un « mot-valise » dont on rate souvent le sens, en la réduisant à tel ou tel aspect de ce qu’elle recouvre vraiment. Si, pour aller vite, on peut lui donner le nom d’un manque de repères, d’une difficulté d’individuation, d’une déshérence, la question de l’identité recouvre des attentes et des difficultés plus complexes.
La représentation tient une place centrale. Cette représentation doit être entendue dans toutes ses composantes : des process d’individuation à celle du pacte social et de la démocratie mais aussi des modèles d’analyse qui n’ont pas pris la mesure des mutations de la société algorithmique, ce que j’appelle la Société du spectacle augmenté. Les technologies du temps réel et du virtuel nous désynchronisent dans notre rapport au passé et au futur, ce qui m’a fait dire dans un article de La Célibataire que : « Le virtuel c’est le populisme » ou l’immédiateté prise comme réel.
L’individu contemporain se défend des références traditionnelles de l’individuation. Dans la confusion, simultanément il se fond dans une communauté de semblables qui partage une identification dans des objets tout en affichant une exigence de prise en compte de sa singularité constituée comme un droit et débarrassée des contraintes d’un quelconque devoir.
Cette confusion individuelle se soutient d’un manque simultané dans l’imaginaire collectif.
Cela constitue un rapport évolutif dont il n’est pas possible de distinguer une hiérarchie entre ses éléments, de force ou de calendrier.
Ceci conduit à deux axes risqués de l’identité : une « mêmeté » sans épaisseur (illusion horizontale), dont René Girard montre qu’elle conduit à la violence, un symbolique dévoyé (pureté) comme le promeuvent les tenants de l’identité nationale caricaturée.
Le sentiment d’identité est ordinairement supporté par des marques d’appartenance à une communauté et à sa nomination. Cette communauté recouvre de multiples aspects : familiale ; nationale ; linguistique ; religieuse ; sociale ; topographique ; occasionnelle, etc. et, bien sûr, sexuelle.
Mais cette solidarité communautaire se confronte aux aspirations individuelles à faire reconnaître leurs singularités.
D’où la confusion que j’évoquais et le caractère illusoire d’un sentiment d’une permanence qui s’arrime, selon les situations ou les émotions à des repères aussi divers et parfois contradictoires. C’est structurant d’une difficulté de cette place pour dessiner les contours d’un projet politique et de l’attrait de la simplification populiste.
Cette synchronicité, provoquée par la pandémie, aide à voir que l’Après s’écrira à partir d’une élaboration d’une perception acceptée de l’autorité et de l’identité.
Je plaide pour une autorité confiante et consistance qui puisse recoudre les plaies et, singulièrement, celles de l’identité. Pour cela, elle pourrait s’appuyer sur un dispositif symbolique autour de la responsabilité, en continuité de la responsabilité sanitaire à la responsabilité climatique (avec la création d’un revenu de base de responsabilité climatique) et sur un dispositif imaginaire autour de la créativité.
La responsabilité écologique agira comme un référent d’idéal du moi, c’est-à-dire une valeur pour laquelle l’individu est prêt à sacrifier une partie de ses intérêts immédiats (registre symbolique, renvoie à une valeur morale ou éthique).
La créativité correspond à un moi idéal, instance imaginaire.
La proposition politique liant responsabilité écologique (revenu de base de responsabilité écologique) et revenu contributif de créativité propose un équilibre entre idéal du moi et moi idéal.
En cela, cette proposition espère développer une « estime de soi » (ce grand écart persistant, équilibre fragile, entre le moi idéal qui nous tient et contraint, et ce que nous aimerions être : notre idéal du moi) qui pacifierait la relation d’identité et faciliterait une vision positive du futur et une espérance collective.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste