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dans N°1113

Tous démocrates, peut-être mais voulons-nous la République ou l’Empire

ParBlandine Kriegel,Arnaud Benedettiet1 autre
24 juin 2025
Tous démocrates, peut-être mais voulons-nous la République ou l’Empire
Interview

Dans le long entretien qu’elle nous a accordé, la philosophe Blandine Kriegel analyse les menaces qui pèsent sur les régimes républicains modernes : confusion des droits, dérive des mots, oubli du droit politique et retour des puissances impériales.

Revue Politique et Parlementaire – On assiste aujourd’hui à un affrontement entre « démocratie libérale et démocratie illibérale ». Cette situation n’invalide-t-elle pas la vision pacifiée, voire dépolitisée que prophétisait un penseur comme Alexis de Tocqueville ?

Blandine Kriegel – On doit au journaliste politiste, indo-américain, Fareed Zakaria, cette formulation « démocratie libérale, démocratie illibérale » qui s’est répandue comme une traînée de poudre. Son succès justifié tient à deux changements inédits. Naguère, dans les années 50, les « démocraties libérales », au nom des droits individuels et des libertés
publiques, s’opposaient aux « démocraties populaires » qui estimaient que toute la liberté se réduisait à l’émancipation sociale. Aujourd’hui, au nom du peuple et de la loi de la majorité, de nombreux régimes dictatoriaux, autoritaires ou impériaux se réclament également de la démocratie. Il ne s’agit pas de la même démocratie, tout le monde le comprend. Ensuite, on assiste dans l’Union européenne, en Hongrie et en Pologne, et aussi aux États-Unis sous la présidence Trump, bref dans le monde occidental des démocraties alliées, à une contestation des droits et libertés publiques qui relève selon les nomenclatures, du » libéralisme constitutionnel » ou de « l’État de droit ». On répond donc aux uns comme aux autres qu’ils sont « illibéraux », ce qui est parfaitement exact mais peut-être insuffisamment éclairant.

De là un trouble sur la démocratie, et un soupçon qui pèse sur la légitimité du rabat de tous les problèmes politiques sur la question démocratique. Par contagion, il ne peut manquer d’atteindre le grand et remarquable ouvrage qu’Alexis de Tocqueville lui a consacré dans De la démocratie en Amérique. On observe en effet, comme l’un de ses plus fervents admirateurs, François Furet, l’a souligné dans son éclatante préface, que la conception de Tocqueville est plus sociologique que politique : « L’Amérique… répond à du social pur, à l’exclusion du politique ».

Du coup, même si Tocqueville, après avoir annoncé le développement universel inéluctable de la démocratie, n’en avait pas moins ajouté qu’il pouvait déboucher sur le despotisme, un doute subsiste sur la valeur de la réduction du politique au démocratique.

Le libéralisme qui a défendu l’économie de marché, les libertés individuelles et publiques, et nous lui en sommes très reconnaissants, a été nécessaire, mais est- il suffisant ? Devons-nous reprendre ses seuls concepts pour comprendre le monde politique tel qu’il se défait ?

Je ne le crois pas et voici pourquoi : quand nous parlons de démocratie, – toute révérence gardée à ses illustres défenseurs, – Lincoln ou Churchill –, nous désignons, à la vérité, les républiques démocratiques. Je déploie et déroule ici, sous ce nom qui a une longue histoire ce que l’intitulé moderne, trop moderne, de démocratie a compacté et amalgamé. C’est-à-dire deux choses : un régime de lien civil et un gouvernement. Je propose inlassablement de revenir à une meilleure formulation, à un meilleur lexique, celui des penseurs de la première république démocratique antique, (Aristote et Polybe) qui utilisent deux vocables différents pour désigner la république (politeia) et le gouvernement (politeuma) que le mot démocratie cimente exagérément. Non par souci d’exactitude érudite mais parce que leurs dénominations ont été intégralement et itérativement reproduites dans toute la pensée politique moderne à laquelle on doit, avant la formation du libéralisme et l’irruption des révolutions, l’essentiel de notre droit politique et de nos libertés. Mais aussi parce que cet amalgame est pernicieux à plus d’un titre.

1°, il néglige la nature du régime républicain qui « a en vue l’intérêt général et où l’autorité s’exerce par la loi sur des individus libres et égaux » (Aristote).

2°, il méconnaît que la république peut accueillir, et qu’elle l’a fait dans sa longue histoire, plusieurs types de gouvernements : la monarchie, l’aristocratie, la démocratie.

3°, il méconnaît qu’aucune République actuelle ne connaît de véritable gouvernement démocratique pur, mais plutôt des gouvernements de type mixte et que la question de la démocratisation demeure lancinante.

« L’État de droit est notre meilleur rempart contre le despostime et l’Empire, c’est-à-dire contre une politique fondée sur le seul rapport de force ».

Enfin et c’est capital, il méconnaît l’adversaire de la république qui n’est pas la monarchie ou l’aristocratie (des gouvernements) – expliquez-nous, si cela était vrai, les monarchies constitutionnelles, l’Angleterre, la Norvège aujourd’hui ou le modèle de la république aristocratique de Venise dans l’insurrection des provinces unies au XVIe siècle – mais un régime antagoniste, le despotisme ou l ’empire, où « on a en vue l’intérêt privé où l’autorité s’exerce par la force sur des individus assujettis » (La définition est toujours d’Aristote).

Il faut donc refaire le lexique pour laisser une place aux problèmes politiques et au droit politique proprement dit. Bref, il faut attribuer, au-delà du régime civil, de la société civile ou du régime social, un lieu à la question politique, à l’apparition des États de droit qui est d’une grande actualité.

RPP-Au cœur du débat, on trouve la critique de l’État de droit dont certains font un nouveau despote. N’est-ce pas le fruit d’une profonde incompréhension de ce qu’est l’État de droit ?

Blandine Kriegel – Oui, parce que l’État de droit est notre meilleur rempart contre le despotisme et l’Empire, c’est-à-dire contre une politique fondée sur le seul rapport de force. D’où vient le rejet de l’État de droit ? Il est impossible de répondre à cette question si on ne sait pas de quoi on parle.

Rappelons que le rejet de l’État de droit vient d’abord des États totalitaires, des empires, des dictatures, bref, de tous les pouvoirs autoritaires qui souffrent péniblement de se voir opposer les règles de droit, les libertés des citoyens et les droits de l’homme, au moment même où ils les piétinent. On le voit ensuite apparaître aujourd’hui au sein même des républiques démocratiques, brandi par ceux qui récusent, légitimement à leurs yeux, le gouvernement des juges, le déferlement des libertés individuelles et des droits humains, dont des États autoritaires ou les mouvements terroristes qui ne les respectent nullement chez eux, en invoquent le manifeste pour échapper aux sanctions que méritent leurs exactions.

Là aussi, une clarification est nécessaire, et disons-le simplement : l’État de droit, c’est l’État des républiques modernes. Comment s’est-il formé ? Certainement pas dans les grandes doctrines du XXe siècle, de la Révolution sociale ou de la Révolution conservatrice, qui faisaient prévaloir la puissance sur le droit. Ni même dans le libéralisme qui préférait la société civile et souhaitait limiter l’État. La nécessité de l’État réapparaît dans les républiques de la Renaissance pour mettre fin à leur fragilité devant l’assaut des empires qui déjà, avait détruit les républiques antiques. Les empires régnaient sur de vastes territoires et dominaient d’importantes populations, au moyen d’États puissants. Comment la république pouvait-elle cesser d’appartenir « à des prophètes désarmés » pour devenir capable de se défendre ? En Europe continentale, la question est posée par Machiavel et sa réponse est de confier la puissance à une force externalisée, celle du prince ou de l’État. Mais à la vérité, c’est Jean Bodin qui, en 1576, trouve la solution avec sa doctrine de la souveraineté républicaine qui institue un pouvoir anti-seigneurial et anti-impérial. On concentrera la puissance dans les seules mains du souverain en la faisant muter. La concentration de la puissance permettra de démilitariser la société en mettant fin aux guerres féodales. La puissance ne sera pas seigneuriale et ne prendra pas la forme d’un dominium. En laissant « la propriété des biens et la liberté aux sujets », elle ne sera pas non plus impériale (imperium). Le règlement des litiges se fera non par la force et la guerre, mais par la loi. Cette conception du pouvoir souverain sera adoptée par la pensée politique classique de l’École du droit de la nature et des gens dont certains (Languet, Spinoza, Rous- seau) estimeront que la souveraineté doit être attribuée au peuple. Dans le monde anglo-saxon qui choisit la séparation des pouvoirs et l’établissement de la règle de droit, (Rule of Law), dans tout le corps politique organisé autour de l’État de justice, et les préfère à l’État centralisé et à son développement administratif, l’État de droit prend une forme différente. Pour ma part, j’attribue cet écart à l’enracinement médiéval des républiques anglaises qui avaient déjà construit leur unité tandis qu’en France et dans d’autres pays latins, l’unification n’a pu s’établir contre la féodalité, que par les forceps de l’État. Malgré cette différence incontestable, toutes les républiques démocratiques modernes sont régies par l’État ou la règle de droit qui les distinguent et les séparent des Empires.

« On amalgame les droits sociaux avec les droits de l’homme, et on ne les distingue pas des droits du citoyen. »

L’État de droit est ainsi devenu le noyau du droit politique républicain. Il a articulé successivement le droit de l’État, les droits de l’homme, le pacte social et les droits du citoyens, le droit du peuple et de la nation. Au XXe siècle, on a compris, après que Hitler et Pétain ont été élus au suffrage universel et que le lendemain de leur élection, ils ont anéanti leur République respective, que la volonté générale, c’est-à-dire la loi de la majorité « pouvait errer » et ne saurait résumer à elle seule, le code des républiques démocratiques. C’est pourquoi celles-ci ont toutes promulgué des lois fondamentales et des cours constitutionnelles chargées de veiller aux normes supérieures qui ne peuvent relever seulement d’un suffrage universel temporel. Et ce, au grand dam des empires qui en ont été grandement affectés. Ainsi, dans les républiques démocratiques, la démocratie ne se limite pas au développement anarchique de toutes les libertés ou à la seule loi statistique de majorité, mais elle comprend des institutions politiques et des règles juridiques qui constituent les États de droit et que nous devons préserver. À l’époque contemporaine, la réflexion sur l’État de droit est devenue largement récessive, mais elle s’est déployée dans le courant républicain germanique en Autriche, favorable à la France avec notamment Hans Kelsen et a été combattue brutalement par les juristes acquis au nazisme et zélateurs de la puissance impériale comme Carl Schmitt. Quand de mon côté, étudiant l’histoire de l’État français au XVIIe siècle, je l’ai redécouvert sur d’autres bases, l’idée d’État de droit avait complètement disparu. Si depuis, elle a connu un succès largement européen puis mondial, il serait aussi illusoire de penser qu’il n’a plus d’ennemis qu’absurde d’imaginer qu’il est despotique parce que le code de « la démocratie » se résumerait à la seule loi des majorités d’un jour. L’État de droit n’est ni une abstraction ni une idole qu’on peut abattre ou célébrer, mais le noyau juridique bien réel des institutions et des libertés de la République. Il est légitime de le discuter collectivement pour le réformer à la condition de le connaître.

RPP – Ne pensez-vous pas qu’en dépit de nombreuses affirmations vertueuses, les politiques n’aient en fait confondu les droits de l’homme et les droits civils et politiques ?

Blandine Kriegel – Oui c’est exact, en matière de droit, on assiste à une véritable confusion des langues : on amalgame les droits sociaux avec les droits de l’homme, et on ne les distingue pas des droits du citoyen ; on sait à peine ce que signifie « droit politique » alors que notre célèbre J.-J. Rousseau en a fait le sous-titre de son Contrat social (Principes du droit politique). Cette ignorance permet aux adversaires des libertés individuelles et publiques, si fondamentales dans les républiques démocratiques, de jeter sur elles le discrédit. Il est constant que les courants terroristes les brandissent à toute occasion alors même qu’ils ne les appliquent jamais chez eux ni à leurs prisonniers comme on l’a vu le 7 octobre 2023. Pour autant, faut-il les expulser de notre bloc de constitutionnalité au motif qu’ils « ne sont pas une politique » (Marcel Gauchet) ? Je le crois d’autant moins que pour qui a étudié, tant soit peu, leur développement du XVIe au XVIIIe siècle (Vitoria, Hobbes, Spinoza, Locke, Rousseau), des droits qui ont été transcrits, selon la recommandation de Locke, dans les grandes déclarations américaines et françaises du XVIIIe siècle, il apparaitra clairement qu’ils sont inséparables du droit politique.

« Le commencement est la moitié du tout » ; les droits humains ont été argumentés d’abord par Francisco de Vitoria et Bartholomé de Las Casas à propos du droit des Indiens, dans le cadre du droit politique moderne international dont tous les juristes reconnaissent à Vitoria, la paternité. Le théologien thomiste, proche d’Erasme et de Juan Luis Vives, en 1539, a ouvert dans ses Leçons sur les indiens, la fameuse querelle de Valladolid en affirmant que les Indiens – des naturels – jouissaient avant l’arrivée des Espagnols, de leurs biens publics et privés. Certes, comme non-chrétiens, ils n’étaient pas sujets du droit civil canon, comme non-espagnols, ils ne relevaient pas du droit civil impérial, bref ils n’appartenaient ni à l’église ni à l’empire mais, dit Vitoria, ils faisaient partie de la communauté des nations. Car l’Homme est un animal politique, un être de cité, jouissant de ses biens et de ses institutions. Les droits de l’homme sont ainsi pen- sés dans l’horizon d’un droit politique international réformé, une communauté mondiale naturelle qui rassemble tout le genre humain. Cette république universelle est régie par un Jus Gentium qui commande les droits. Ses membres sont autant les peuples (gentes) et les institutions publiques que les humains. Son droit est international, inter gentes et inter homines. Les droits humains ont ainsi été proclamés non comme des libertés purement individuelles, comme on le leur reproche abusivement, mais comme des droits politiques à l’échelle de l’humanité dans un ordre qui n’est réglé ni par la domination (dominium) ni par la puissance (imperium). Ils reposent sur l’idée selon laquelle l’Homme est un être de nature créé par Dieu ou un être de cité ; il est libre de toute éternité mais lié aux autres par des droits. Rien de moins individualiste. L’argumentation ultérieure de Hobbes, Milton, Spinoza et Locke, qui au XVIIe siècle énuméreront les autres droits tels le droit à la sureté, la liberté de penser, la propriété, ne sera pas différente bien que son contexte d’un corps politique particulier, soit plus resserré. Elle est fondée sur la loi naturelle et le droit naturel, et très éloignée d’une philosophie démiurgique du sujet.

Les droits de l’homme – l’égalité, la sûreté, la liberté, la propriété, dont la liste est close si l’on y ajoute le droit à la recherche du bonheur, affirmé au XVIIIe siècle et c’est tout ( ) ! ne sont pas séparés du droit politique moderne.


RPP – Cette confusion n’est-elle pas insidieusement le fruit d’une laïcisation aveugle du politique ?

Blandine Kriegel – La laïcisation insidieuse du politique… Parlons en effet de la laïcisation et de la laïcité. Vous savez que la laïcité est une sorte d’exception française là où les Anglo-saxons utilisent un autre terme secularism (sécularisme). Il indique nettement que beaucoup de nos principes politiques, de nos normes de valeurs civiles proviennent du mouvement de sécularisation qui, depuis la Renaissance, a profondément marqué la chrétienté et le judéo-christianisme. C’est précisément le cas des droits de l’homme que les penseurs des temps modernes que je viens d’évoquer, établissent et transcrivent, penchés sur le décalogue et les évangiles. « Dieu a créé les Hommes égaux » : droit à l’égalité, « tu ne tueras point » : droit à la sûreté, « tu ne voleras point à ton voisin » etc. ou encore « aime ton prochain comme toi- même » : idée d’un droit politique fondé sur le contrat et la pacification et plus tard d’un droit social appuyé sur un sentiment de fraternité. De Vitoria à Bossuet, en passant par Hobbes, Spinoza et Locke, toute la pensée politique des modernes est emplie de traités théologico-politiques qui empruntent aux traditions religieuses les valeurs qu’elles déclarent et inscrivent dans le droit. Il suffit de les lire pour le remarquer mais je dois reconnaître que pendant longtemps, ils sont demeurés absents de nos lectures. Il est vrai aussi que la sécularisation a pris des chemins différents : dans les pays comme l’Angleterre où s’est constituée d’emblée une forte majorité protestante, on s’est reposé sur les individus pour organiser cette sécularisation. Dans un pays comme la France, qui n’a pas connu moins de huit guerres de religions, où la division religieuse a duré plus longtemps, on a confié à l’État et non aux individus le soin de ne pas continuer à s’étriper. Bref, depuis le panache blanc d’Henri IV à Ivry la Bataille, l’édit de Nantes jusqu’à la loi de 1905, le courant républicain a voulu instituer peu à peu la neutralité de l’État en matière religieuse en confiant l’institution du culte et le respect des consciences à la sphère privée. Nous en sommes toujours là. Les deux formes de sécularisation ont chacune leur avantage et leur inconvénient. Au monde anglo-américain, on doit un plus grand respect de la liberté de conscience et des libertés individuelles.

 

Au monde français et à ses émules, on doit dans le cadre de la coexistence de multiples et importantes forces religieuses, une solution indiscutable pour établir la paix. Un peu de conscience historique éloigne de la laïcité, beaucoup en rapproche.

RPP – Beaucoup déplorent l’effrite- ment de la République. N’est-ce pas la conséquence indirecte d’une théorie selon laquelle la République commen- cerait en 1792, ce qui la priverait par conséquent d’une profondeur historico- philosophique beaucoup plus riche et plus subtile ?

Blandine Kriegel – L’effritement de la République, la méfiance, le retrait de l’adhésion, oui nous y assistons consternés. Bien que tous les partis en France se soient réclamés de la République y compris les partis extrémistes, de LFI (Mélenchon : « La République c’est moi ») au Rassemblement national (Marine Le Pen a déployé beaucoup d’effort pour redignifier le sentiment républicain dans son parti), l’intérêt pour l’histoire de la République n’a réuni dans ma génération qu’une minorité de chercheurs. À l’opposé, des bataillons d’historiens et de politologues où dominent les études de Donald Kelley, J. G. A. Pocock, Quentin Skinner ici peu ou mal connues, se sont déployées dans le monde anglo-saxon pour réfléchir à la généalogie des républiques démocratiques. Vous avez raison,
le désintérêt pour l’histoire longue de la République est lié en Europe continentale à un surinvestissement de la Révolution au XIXe et au XXe siècles, déployé par les tenants de la révolution sociale comme ceux de la révolution conservatrice qui se rejoignent dans un même désintérêt ou hostilité à la république démocratique.

C’est moins vrai aujourd’hui car beaucoup de membres de la jeune génération s’y réintéressent. Auparavant, la majorité des études concernant la république et les démocraties privilégiait l’étude du XIXe et du XXe siècles, siècles du développement de la pensée libérale, en négligeant davantage la période fondamentale du XVe au XVIIIe siècles ou a été établi le socle du droit politique et des institutions de la république démocratique dans laquelle nous vivons. Ce trop modeste investissement pour la connaissance de la généalogie des républiques démocratiques a une autre raison. Il s’agit du désintérêt et du désinvestissement du droit qui a constitué le point de rencontre des systèmes de pensée dominants aux XIXe et XXe siècles. Ils ont préféré l’économie, le social, la puissance nationale, confortés ici par le courant dominant de la philosophie allemande post-kantienne.

RPP – On assisterait à la renaissance des Empires, n’est-ce pas, du point de vue du droit
politique, le retour de ce que le monde a connu aux XVIe et XVIIe siècles ?

Blandine Kriegel – Bonne remarque comme par devant. La renaissance des Empires, c’est-à-dire de l’adversaire des républiques, se traduit aujourd’hui par l’assaut des républiques démocratiques engagé par les régimes politiques autoritaires de toute nature. Et c’est pourquoi nos concitoyens s’interrogent et que leurs réflexes collectifs vont dans le sens que vous indiquez. Je suis pour ma part très frappée par l’intérêt que montre le public actuel pour le XVIe siècle. Un exemple, à l’exposition organisée par le Musée du Louvre sur la montée des fous (XVe, XVIe siècles), il y avait foule et de même, on n’a jamais publié autant d’ouvrages sur Erasme et le premier XVIe siècle depuis longtemps. « Réflexe anthropologique » m’a soufflé subtilement Julia Kristeva. « Nous sentons dans nos os », nous percevons l’identité de notre époque, avec le temps des grandes découvertes et de la première mondialisation.

Nous pressentons aussi une différence fondamentale : si, comme l’avait annoncé Kant à partir d’une réflexion sur la rotondité de la terre, tous les peuples se sont rejoints, échangent et communiquent entre eux, si des artistes comme George Lucas dans Star Wars, ressuscitent la lutte de la République avec l’Empire, débutant dans une galaxie très lointaine, par une lutte commerciale impitoyable, (sic,) actuellement, nous ne nous affrontons pas pour la lutte des classes, le combat des nations ou le choc des civilisations mais pour le régime politique que nous choisirons. Un régime impérial fondé sur la puissance, la violence et la force ou un régime de république démocratique reposant sur les institutions de l’État de droit et/ou de la Rule of Law et des libertés individuelles ? L’humanité est certes beaucoup plus complexe et diversifiée qu’elle ne l’a été, mais dans la densité du monde unique dans lequel nous coexistons maintenant, l’actualité politique s’est terriblement simplifiée, il dépend de nous de ne pas indéfiniment détourner le regard. Tous démocrates, peut-être mais voulons-nous la Répu- blique ou l’Empire ?

Blandine Kriegel
Propos recueillis par
Arnaud Benedetti et Daniel Keller
Blandine Kriegel

Philosophe, écrivain, Blandine Kriegel a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire de la pensée politique, la généalogie de l’Etat de droit et de la République. Elle a été présidente du Haut conseil à l’Intégration et conseillère à la Présidence de la République.

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