Moi aussi, j’aurai le goût superbe de l’aventure scientifique. L’aventure dans le fait, l’hypothèse dans l’idée, voilà les deux grands procédés de découverte. Certes l’avenir est à la navigation aérienne, et le devoir du présent est de travailler à l’avenir. Ce devoir, vous l’accomplissez. Moi solitaire mais attentif, je vous suis des yeux et je vous crie : Courage !
Victor Hugo
Lettre à l’aéronaute Gaston Tissandier (1869)
L’étrange agressivité qui se manifeste contre l’aviation méconnait sa fonction véritable d’être l’un des chaînons indispensables à une mobilité durable.
Le transport en général est un secteur d’activité essentiel et spécifique ; il a un rôle économique majeur puisqu’il contribue à la fixation des prix des marchandises. Tout vendeur doit tenir compte pour calculer le prix de vente du coût d’acheminement de la marchandise sur le lieu où sont les clients intermédiaires et finaux. La détermination de la valeur étant en lien direct avec l’accessibilité du produit.
Le raisonnement s’applique aussi aux personnes ; même si le vendeur, le négociateur ou le financier peuvent agir à distance par différents moyens de communication, ils doivent aussi pouvoir à des instants clés se trouver auprès du client ou du prospect pour obtenir le déclenchement d’un acte d’achat ou la signature d’un contrat. Des ingénieurs, des techniciens, des ouvriers ou des managers doivent pouvoir se déplacer parfois à brefs délais pour être sur le lieu où ils sont nécessaires. Il en est de même pour des scientifiques ou des chercheurs car la science est universelle et internationale. Les chefs d’entreprise sont eux aussi sans cesse confrontés à des déplacements indispensables pour établir en direct des relations de confiance.
Par ailleurs dans la vie sociale familiale ou personnelle, pour s’ouvrir aussi à la diversité des cultures, à la découverte du monde, les déplacements des personnes physiques est éminemment essentiel et vectorisés par les différents modes de transport.
Pour poursuivre ces éléments introductifs il est nécessaire de rappeler que la mobilité est un droit et ressortit de la liberté d’aller et venir de la liberté d’entreprendre et du commerce.
Le droit à la mobilité est un « droit des droits » en quelque sorte. C’est un droit constitutionnel. L’aspiration à la liberté de circulation continue à gagner du terrain dans un monde où la libre circulation des marchandises, des capitaux, des idées et des images fait partie des réalités quotidiennes 1.
Enfin cette fonctionnalité que représente le transport est en soi autonome et indispensable. Ceci indépendamment du fait que l’activité de transport est concernée par les nuisances qu’elle engendre et auxquelles elle doit mettre fin dès que possible. Si le transport en France est la principale source d’émissions de gaz à effet de serre (39% des émissions totales), le transport aérien en représente 1,5% mais 6,8% après réintégration des soutes internationales, c’est- à-dire des consommations des avions assurant des liaisons internationales 2.
Ces préalables sont importants à rapporter puisque des courants d’idées interpellent légitimement le type de société désirable que l’on appelle de nos vœux : une activité économique qui respecterait l’environnement eu égard au changement climatique et à la perte de la biodiversité, un droit social bâti dans l’intérêt des travailleurs, de leur santé et de leur satisfaction professionnelle, une société plus amène, moins inégalitaire et aux rythmes de vie plus humanisés et plus lents. Ces débats sont fondamentalement politiques et ils ont à voir avec le social et le culturel. Ils sont naturellement conflictuels et inhérents à notre vie démocratique. Ce qui appelle à une évaluation régulière de l’action publique dans ce domaine 3.
De ces multiples points de vue, l’avion est le parfait bouc-émissaire.
Il représente « l’avion des riches », notamment l’aviation d’affaires, fer de lance de la vie économique, mais critiquée à outrance ; il pollue en provoquant des nuisances sonores ou en altérant la qualité de l’air, il participe d’un tourisme trop souvent désastreux pour l’environnement (le tourisme est aussi vital pour de nombreuses populations qui n’ont aucune autre source de richesse et de ressources), il constitue un facteur d’accélération parfois critiquée de la vie économique et sociale, il représente un symbole de la globalisation, de la « jet société » et du gouvernement mondial par une « caste apatride ».
Il n’est pas niable que le transport aérien doit prendre toute sa part de responsabilité dans l’altération de notre environnement mais il n’est pas moins vrai que des solutions robustes sont possibles grâce notamment à notre effort d’innovation.
Toutefois l’avion participe contre son plein gré mais incontestablement aux yeux de certains, de ces symboles négatifs et en fait donc l’ennemi public numéro 1.
Il y a donc souvent beaucoup de pusillanimités et de faux semblants à désigner quasi exclusivement à la vindicte publique ce secteur économique éminemment stratégique. Mais ce sont, répétons-le, des controverses nécessaires dont il faut tenir compte pour progresser.
Pour sortir de ces blocages il nous faudrait modifier en profondeur des facteurs endogènes et des facteurs exogènes au monde des transports.
Les facteurs endogènes
Le transport aérien est le mode de transport le plus jeune : 1890 ou 1903, soit 134 ans ou 121 ans, selon que l’on considère comme point de départ le vol non homologué de Ader ou celui des frères Wright. À moins que ce ne soit le 23 octobre 1906 (118 ans) où Alberto Santos-Dumont réalise le premier vol public d’un avion à Bagatelle près de Paris.
C’est également dans ces années-là 1886/1889 que la première voiture au monde est apparue, un prototype à trois roues de l’allemand Carl Benz tandis que Gottlieb Daimler et Wilhlelm Maybach présentent en 1889, à l’exposition universelle de Paris une automobile à quatre roues, à moteur à essence. La « jamais contente » est le nom de la première voiture électrique à atteindre le 100km/h en 1899.
Pour le train, la première locomotive à vapeur est révélée le 13 février 1804 grâce à l’ingénieur anglais Richard Trevithick, donc il y a 220 ans cette année.
Avec le train apparait aussi l’immense construction d’infrastructure à travers le monde.
Quant au transport fluvial, le grand canal de Chine est le plus ancien canal au monde, près de 2500 ans.
Avec les premiers bateaux créés au néolithique 4, le transport maritime est le plus ancien et qu’il s’est naturellement développé depuis le temps des Phéniciens.
Enfin les routes sont naturellement l’infrastructure de transport la plus antique.
Ces différents modes de transport se sont ajoutés les uns aux autres.
Dans les différents territoires, en particulier en France, s’est installé au fil du temps une concurrence modale. Cette concurrence entre les modes a d’ailleurs longtemps concerné le transport public, majoritairement, et cette situation de fait a structuré l’organisation du ministère des transports jusqu’à aujourd’hui. La DGAC 5 est assez autonome, de même le secteur maritime ; la direction des transports terrestres désormais la DGITM 6 qui inclut le transport ferroviaire (SNCF puis d’autres concurrents européens sous peu), le transport fluvial et le transport routier ont été intégrés longtemps dans l’ancien ministère de l’équipement. Il est vrai que le phénomène urbain a vu s’accumuler d’autres moyens métro, RER, tramway, bus, bicyclettes, trottinettes, motos et mobylettes et autres scooters, téléphériques et la marche !
La question est désormais de savoir si notre logique de concurrence modale est adaptée à ce nouveau contexte.
Nous pensons qu’il ne l’est plus.
Deux exemples pour illustrer cette séparation culturelle : au début des années 90 aucun grand port maritime français n’était relié au système autoroutier national. L’interconnexion à Roissy aura fait l’objet de blocages et n’aura été décidée que par un accord entre deux hommes, Philippe Rouvillois et Bernard Lathière 7 ; c’est d’ailleurs ce dernier qui suggéra ce projet visionnaire à la SNCF devenu opérationnel depuis 1999.
Il est vrai qu’il avait été pendant 10 ans le patron du GIE Airbus et qu’à ce titre il pouvait être mieux imprégné d’une cuture internationale que celle plus d’infrastructure du monde aussi bien aéroportuaire que du transport ferré, lui- même plus hexagonal à l’époque.
Quant à la liaison directe entre Roissy et le centre de la capitale, elle aura attendu des dizaines d’années faute d’avoir été conçue en même temps que l’aérogare de Charles de Gaulle, à l’instar du métro qui a relié Heathrow au centre de Londres. Pour Orly qui a pourtant l’infrastructure d’une véritable gare ferroviaire dans son sous-sol, il ne doit qu’au VAL un début de liaison ; mais la ligne 14 sera enfin ouverte en juin 2024.
Le lecteur peut d’ores et déjà comprendre davantage, bien qu’éclairé a priori par le titre de cet article, que c’est de « dernier kilomètre » dont il nous faut parler et de complémentarité modale.
Les aéroports et les avions sont des fenêtres indispensables pour relier au monde nos grandes métropoles mais également de plus petits aéroports – et c’est un avenir probable – permettront à des petits avions de dynamiser les échanges entre les différentes régions européennes, notamment pour les équipes managériales des PME et ETI industrielles.
L’aéromobilité est notre avenir et comme l’évoque souvent Augustin de Romanet, le PDG d’ADP, le transport aérien sera à terme le mode de transport le plus écologique 8.
Mais naturellement la France et l’Europe auront encore davantage besoin de réseaux optimisés dans les transports terrestres et dans nos villes.
Une planification stratégique s’impose ce qui suppose une vision globale et prospective. Ceci à la fois pour concevoir des infrastructures futures et aussi pour éviter de détruire ou de réaménager de manière inopérante des infrastructures anciennes qui se révéleraient utiles en les optimisant et les reliant aux nouvelles. Pour illustrer ce point il suffit de se référer à nombre de lignes secondaires de la SNCF détruites dans les années 80 bien qu’économiquement amorties (ce point ne présuppose pas que le train soit un mode de transport du futur ! Par ailleurs les petites lignes ferroviaires transportent parfois très peu de passagers avec des besoins d’entretien très importants et sont probablement assez mauvaises du point de vue environnemental).
Il suffit aussi de dénoncer le rétrécissement abusif du réseau des routes départementales et nationales, ce qui aboutit à la thrombose de nos rocades ou périphériques aux heures de pointe 9. Aménagement du territoire et urbanisme ne sauraient être les angles morts de notre sujet !
Dans ce contexte l’aviation a un avenir évident dès lors que l’on conçoit le transport aérien, d’abord comme une poursuite vers l’international d’un réseau de transport adapté aux mobilités de demain, et ensuite comme une possibilité de compléter les circulations dans nos villes et nos campagnes par une aéromobilité au-dessus de 100 ou 150 mètres (taxis volants et autres Vtol 10).
Nous n’en avons pas fini avec la dimension aérienne certainement la plus adaptée à un monde mobile agile et propre.
Les facteurs exogènes sont tout aussi importants.
Pour répondre aux légitimes interrogations, voire aux inquiétudes de la société, la recherche scientifique et technique est au premier rang pour trouver les bonnes solutions en réponse aux exigences environnementales et sociétales.
L’enjeu est aussi d’ordre civilisationnel et politique car il s’agit de savoir dans quel type de société nous voulons vivre demain 11. C’est là que nous devrions nous appuyer d’autres logiques.
Nous voyons au moins deux raisons de nous séparer de certaines rigidités mentales et du principe poussé jusqu’à l’extrême de compétition intermodale chère trop souvent à la classe politique et aux administrations.
D’abord de mieux répondre aux citoyens et passagers qui comme évoqué supra ont une exigence du « dernier kilomètre ».
Ensuite car on l’observe déjà, cette hyper concurrence se déplace sur le terrain de l’écologie et des technologies et procédés pour décarboniser les transports. L’exemple du SAF est patent 12.
L’excès de zèle dans les communications commerciales pour s’approprier la meilleure image de « transport le plus écologique » est néfaste et souvent trompeur. Il est en outre dangereux car il entretient au sein des entreprises et organisations un mental collectif peu propice à l’esprit de coopération 13.
Le marché concurrentiel, lui, est nécessaire pour permettre des ajustements en fonction de la demande mais la coopération devrait primer pour s’adapter aux clients. L’exemple du Paris-Bordeaux est révélateur d’une erreur de raisonnement.
D’abord les calculs précis montrent que le gain écologique est quasi nul.
Ensuite il altère la vie professionnelle et l’agilité des industriels dans leur mobilité hebdomadaire. Un A350 consomme 2,5 litres aux 100 km par passagers et a très peu de coût d’infrastructure. Le train est très coûteux en infrastructures ; même si elles sont anciennes il faut les entretenir avec de l’acier et du béton.
Si le train fonctionne au diesel il est très mauvais énergétiquement. S’il est électrique, il est bon quand l’électricité est décarbonée ce qui est principalement le cas en France.
Si l’on souhaite de la concurrence positive, ouvrons le sillon LGV à d’autres opérateurs ferroviaire européen comme ce sera bientôt le cas sur Lyon. Quid de la liaison Bordeaux Lyon ou Marseille Bordeaux ? Dans l’aérien, la vraie compétition existe entre nombre de compagnies aériennes.
Les apparents gains politiques de court terme d’aujourd’hui sont vraisemblablement des déconvenues politiques pour demain lorsque les citoyens seront confrontés aux vraies difficultés, conséquences de notre manque d’anticipation.
Les acteurs aériens sont pratiquement tous convaincus que l’avion vert et sûr est un objectif incontournable. Nous devons pousser ces acteurs à procéder à une réduction majeure et rapide des émissions polluantes et des facteurs de risque de perte de la biodiversité.
Pourquoi ne pas raisonner par étape tout secteur d’activité confondu, transport et autres activités économiques et humaines, en commençant par ce qui est possible tout de suite, puis à court, moyen et long terme ?
Nous serions ainsi plus efficaces et éviterions des culpabilisations inutiles pour construire collectivement une société meilleure et apaisée.
Francis Massé
Président de MDN Consultants
- Le droit à la mobilité s’oppose naturellement aux droits des États de choisir librement les étrangers autorisés à résider sur leur territoire. Cf. Frédéric Tiberghien, Le droit à la mobilité in Migrations Société 10091 N°121. ↩
- Source Tarmaac pour 2019. Il est néanmoins très douteux d’attribuer à la France le coût énergétique de tout le transport. On ne le fait pas pour les transports routiers ou ferroviaires. ↩
- https://www.revuepolitique.fr/parlement-evaluation-de-laction-publique-et-efficacite-de-ladministration/ ↩
- On a découvert un très ancien navire vieux de 5000 en Égypte ; la pirogue de Pesse aux Pays Bas, découverte en 1950, a été fabriquée au début de la période mésolityque vers 6315 av.J.C.. ↩
- Direction générale de l’aviation civile. ↩
- Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités. ↩
- Respectivement président de la SNCF et président d’ADP. ↩
- La question de la protection de l’environnement a deux piliers essentiels, la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. ↩
- On peut aussi citer l’abandon du canal Rhin Rhône sous l’influence de certains écologistes qui sont les premiers à regretter le flux des poids lourds. À noter cependant que les trajets de poids lourds de moins de 100 kilomètres représentent près de 90 % du trafic routier de marchandises. Paris est tributaire heureusement de la Seine pour les déchets industriels et autres matières lourdes. ↩
- Vertical take-Off and landing : avion à décollage et atterrissage vertical). Mais ce mode de transport sera un moyen très limité et réservé à des personnes riches avec un effet négligeable sur la congestion urbaine. ↩
- Lire l’excellent essai de Pierre Veltz, Bifurcations : Réinventer la société industrielle par l’écologie ; Éditions de l’aube, 2022. ↩
- Sustainable Aviation fuel. Les divers emplois de la biomasse et la question du bon emploi des terres agricoles est posée. ↩
- Francis Massé, La Logotique, Une formation inédite pur décupler la créativité des écosystèmes – Préface de Yannick Assouad et post face de Michel Saloff Coste ; L’Harmattan, 2023. ↩