Il est certes banal de dire qu’il y a à présent un « nouveau monde ». Notre environnement international, national, technologique a changé. Ce que nous appelions « l’ordre mondial » mis en place à Yalta, à Berlin ensuite, puis à San Francisco a changé, même s’il est toujours là et s’il est contesté. L’Occident, ou ce que nous appelons tel, a lui-aussi changé et beaucoup plus que « l’ordre mondial », il a été ébranlé mais vit avec et sous les mêmes règles que celles établies en 1945.
Une vingtaine d’États en 1914, une quarantaine en 1939, 51 signataires de la Charte de San Francisco créant l’ONU en 1945 : c’était l’Occident. Et il imposait ses règles, ses usages et ses « valeurs » au reste du monde. L’Occident de 2025, plus qu’un « nouvel » Occident, ce serait plutôt un Occident à la fois rétréci et contesté. Rétréci parce qu’aujourd’hui minoritaire à l’échelle du monde ; rétréci également parce que terriblement divisé ; contesté par plus de la moitié si ce n’est les deux-tiers des États de la planète : ce n’est pas tant l’Occident qui est contesté que le rôle qu’il a joué et qu’il veut continuer à jouer alors que d’autres États, qui autrefois n’appartenaient pas à cet « Occident », veulent simplement se trouver invités à sa table pour en choisir le menu.
On a, commentateurs, journalistes, analystes, hommes politiques, confondu longtemps les valeurs occidentales et les valeurs dites universelles : les valeurs (droits de l’homme, égalité des genres, etc.) étaient universelles parce qu’elles étaient ou avaient été occidentales, définies puis imposées par l’Occident. C’est l’Occident qui avait imposé au monde ses propres références et qui considérait que le reste du monde devait les appliquer. Ce n’est pas un hasard si la Déclaration universelle des droits de l’homme a été signée en 1948 à Paris. Le Comité de rédaction de ce texte était composé de dix membres représentant tous, à l’exception peut-être d’un représentant haïtien et celui de l’URSS, les pays dits « occidentaux ». La charte des Nations unies peut alors réaffirmer la « foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la per- sonne humaine », et engage tous les États membres à promouvoir le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, « sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». L’émotion créée à juste titre par les atrocités de la Seconde Guerre mondiale invitait nécessairement à une proclamation des droits inaliénables de la personne humaine, droits considérés comme normaux dans les grandes démocraties occidentales habituées elles-mêmes à rédiger des « déclarations des droits » intégrées à leurs constitutions. Affirmer enfin que ces valeurs méritaient un « respect universel » était déjà une invitation forte. Mais le « nouvel Occident » de 2025 pourrait-il aujourd’hui rédiger une telle déclaration et imposer le « respect universel » de ces droits proclamés ?
Rien n’est moins sûr : les pays qui acceptent ces droits comme universels sont aujourd’hui minoritaires et de nombreux États, si ce n’est la majorité, estiment à présent que l’égalité des races, des sexes ou des religions ne va pas nécessairement de soi. Ces valeurs ne sont donc que relatives…
Le Nouveau monde que nous connaissons interpelle de fait le « Nouvel Occident » : c’est ce dernier qui est contesté quand il n’est pas critiqué. On lui reproche facilement son double standard, la tentative de mobiliser l’ensemble des nations pour condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie et son relatif retrait face au conflit israélo-palestinien. Une guerre au Proche-Orient aurait elle moins de valeur qu’un conflit entre « blancs » ?
Disons le tout de suite : l’Occident aujourd’hui, dans ce nouveau monde, souffre de deux maux : d’une part, il ne s’adapte pas facilement et continue de vivre avec les vieilles recettes qu’il a lui-même conçues et développées, le multilatéralisme n’étant pas la moindre de ces recettes. D’autre part, l’Occident est divisé comme jamais il ne l’a été. Au-delà des divisions liées aux choix et aux alternances politiques (on le voit avec les débats sur la défense européenne ou sur le commerce mondial), il n’est même pas certain que tous les gouvernements dits « occidentaux » partagent les mêmes valeurs : les États-Unis de Donald Trump et la Hongrie de Viktor Orbán sont-ils sur la même ligne idéologique que la France ou l’Allemagne qui appartiennent également à l’Occident ? Cette absence de solidarité, ces divisions comme ces tensions amènent inévitablement à la question suivante : dans le fond, l’Occident a-t-il encore un sens en 2025 ? Faudrait-il remplacer ce terme générique auquel nous sommes habitués par des formules plus subtiles, « le Nord global », « les Occidents » pour souligner l’absence de solidarité intrinsèque entre ces pays ?
L’Occident tel que nous l’avons connu dans l’ancien monde pourrait bien ne plus exister. Ce nouvel Occident, plus divisé et fragile, est davantage un assemblage d’États qui poursuivent chacun leur intérêt dans ce qui ressemble à une fuite en avant. En ce sens, le « nouvel Occident » est à réinventer
Xavier DRIENCOURT
Diplomate Ancien Ambassadeur de France en Algérie et en Malaisie


















