Eric Cerf-Mayer revient sur le taux d’abstention record de ce Dimanche 20 juin.
21 juin 2021 : les lendemains de l’anniversaire de l’Appel du 18 juin 1940 -l’un des derniers sans doute où le pays aura pu honorer les ultimes survivants d’une page héroïque et dramatique de l’épopée nationale – s’ouvrent dans une France abîmée par la pandémie et encore anesthésiée par une gestion controversée de la crise sanitaire, après des années d’une lente érosion de son système politique, sur le terrible constat d’une abstention record au premier tour des élections départementales et régionales du dimanche 20 juin 2021. Un Français seulement sur trois, après de long mois d’atonie et de contraintes lourdes sur ses libertés de circulation, a consenti à faire l effort de se déplacer pour glisser son bulletin dans les urnes et choisir les pilotes de notre environnement politique le plus proche, après les maires des communes et villages de France !
Toutes les explications seront vaines et sujettes à caution tant que l’on ne s’interrogera pas collectivement et honnêtement sur les raisons de ce réveil sur les décombres à confirmer d’une démocratie française malmenée et en péril certain, et si les responsables politiques ne retrouvent pas un minimum de lucidité devant l’ampleur du mal qui nous taraude et des défis à relever pour sortir le pays de l’ornière dans laquelle il s’enlise inexorablement. Car ce n’est pas le faible socle sur lequel reposera leur élection qui garantira le succès de leur mandature ou l’adhésion à leur programme dans un environnement aussi délétère…
C’est un coup de semonce sans précédent pour un pays comme la France, qui aspire en Europe à donner le ton, et dont les médias, instituts de sondage et experts commentateurs en politique brillent par leur aplomb en matière de prévisions et de conclusions souvent hâtives, péremptoires et en définitive hasardeuses…
C’est malheureusement également un très mauvais présage pour la période qui s’ouvre devant nous, marquée par la violence et la recherche hédoniste de la satisfaction d’intérêts ou plaisirs individuels au détriment de la prise de conscience des dangers innombrables qui nous guettent de toute part et de l’immense tâche qui nous attend, en particulier le redémarrage et l’enclenchement d’une reprise économique durable, si se confirme bien une amélioration vers la sortie du tunnel de la pandémie… La France est en Europe un des pays où le discours politique imprime de moins en moins : l’illustration en est donnée jour après jour avec les violations des règles de protection sanitaire et les incivilités liées à de tels comportements, qui finissent par être banalisées dans le flot quotidien de l’actualité sans émouvoir plus que cela l’opinion publique…
C’est également une forme de divorce sévère entre deux sphères qui ne s’entendent plus et divergent dangereusement, celle du politique et celle de ceux qui ne sont rien que des réservoirs de voix pour accéder à l’exercice du pouvoir, en dépit de toutes les manœuvres, exercices de communication périlleuse et artifices qui contribuent à la dégradation du débat d’idées et de propositions d’actions, caractéristiques du monde nouveau que l’on voudrait nous vendre pour masquer bien souvent l’impuissance et le peu de prise des dirigeants un peu partout dans le monde face à la complexité des enjeux à relever… Les facéties de youtubeurs branchés ne suffisent visiblement pas à créer un lien ou éveiller la conscience de la nécessité d’aller voter pour plus de 80 % de la tranche des électeurs âgés de 18 à 24 ans, autre constat amer de ce lendemain de premier tour symptomatique d’un malaise profond… Mais sur leurs épaules repose notre avenir collectif et cet avenir, il se construit aussi à travers les urnes, pas seulement dans les arènes des matchs de l’Euro 2021 ou les rassemblements festifs de l’heure…
Ce n’est hélas pas le rappel des dysfonctionnements dans la distribution des professions de foi des candidats, la porte close de bureaux de vote faute d’assesseurs, l’escamotage du débat et de la confrontation des programmes au profit de la lamentable prestation de certains ministres, élus ou candidats plus proches de bateleurs de foire lors de la distribution de leurs tracts sur la voie publique, que de citoyens dignes de briguer les suffrages de leurs concitoyens, qui réconciliera le nombre impressionnant de tous ceux qui ont exprimé leur désillusion profonde, quand ce n’est pas leur dégoût et leur rejet des dérives et des faux-semblants de la pratique politique actuelle, en préférant oublier le délitement général et leurs préoccupations de survie à la terrasse d’un café ou en s’évadant au bord de la mer, à la montagne et à la campagne, tournant le dos à l’appel des urnes…
Il y a lieu de s’inquiéter profondément sur cette forme d’abdication et de refus de cautionner le cadre actuel de l’exercice de la démocratie, dans une France où n’est pas soldée la crise sociale gravissime des Gilets jaunes, où l’insécurité au quotidien ne cesse de se propager et où les cris d’alarme valent à ceux qui les lancent des sanctions injustifiables au vu de la réalité des périls, car comment ne pas craindre à terme l’expression d’une colère sourde à travers des canaux autrement plus violents que cette grève du vote, dans un pays dont l’histoire est tristement émaillée d’épisodes au cours desquels son destin a été livré aux mains d’émeutes de rues et a basculé dans des périodes d’incertitude et de recul entravant gravement son évolution ?
La réponse sera donnée dimanche prochain en confirmant ou non les leçons qu’il serait bien imprudent de tirer à ce stade du premier tour, quel que soit le camp auquel appartiennent ceux qui ont brigué la voix des électeurs et ont recueilli un écho aussi faible des profondeurs du pays. A l’instar des orages dévastateurs qui ont ravagé plusieurs communes de France, c’est au lendemain des phénomènes climatiques et du rendez-vous dominical à venir que l’on prendra la mesure des décombres sur lesquels nous nous réveillerons ou pas, chacun devant faire face à sa part de responsabilité dans la situation présente, en l’assumant en son âme et conscience.
Eric Cerf-Mayer