Michel Fize, sociologue, ancien chercheur au CNRS, plaide pour que les mesures mises en place pendant le confinement deviennent les nouvelles règles de l’organisation et du fonctionnement scolaires du futur.
Ce qui se passe depuis un mois est unique dans l’Histoire de France : les Français sont confinés, et, en premier lieu, les familles. Parents et enfants n’ont jamais été aussi proches les uns des autres. Excluons ici, faute de temps et d’espace pour traiter le sujet, la question des violences intrafamiliales pour redire que les enfants, comme leurs mamans violentées, ont droit à la protection sociale et que les comportements indignes relèvent naturellement des tribunaux.
Nous aborderons dans ce papier que les situations les plus normales qui sont aussi les plus nombreuses, celles qui mettent dans des relations paisibles parents et enfants.
Par suite du confinement, les parents sont devenus, par la force des choses, des parents-éducateurs scolaires, donnant ainsi toute sa force à l’idée de « communauté éducative », défendue par tous les ministres de l’Education nationale depuis son invention par Ségolène Royal, ministre de l’Enseignement scolaire dans le gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002). Mais qu’est-ce que la « communauté éducative » ? C’est la communauté scolaire (élèves, enseignants, autres personnels des écoles) PLUS les parents d’élèves. Le confinement est donc peut-être l’occasion d’instituer ces derniers en véritables acteurs éducatifs, de faire en sorte qu’ils ne soient pas seulement, pour leurs enfants, de simples « superviseurs de (bonnes) notes » et, pour les « profs », de simples protestataires du travail mené en classe, en toute souveraineté.
Peut-être en effet est-ce l’occasion, pour les parents, avec le concours des enseignants (selon des modalités à préciser) de devenir d’authentiques participants à l’entreprise scolaire, des « associés » en somme.
L’actuel confinement a évidemment aussi des vertus pour les enfants et les adolescents. Ne favorise-t-il pas – surtout pour ces derniers – cette autonomie dont ils disposent rarement au collège ou au lycée, en leur permettant d’organiser à leur guise leur travail scolaire avec plages de détente ?
Et, bien sûr, le confinement permet aux enseignants d’enseigner autrement, d’échapper à la dure réalité de la gestion de classe, autrement dit de télé-travailler paisiblement, sans la pression de la discipline à assurer en classe.
Venons-en aux perspectives, au retour en classe du 11 mai. Le gouvernement, par la voix d’Edouard Phillipe, l’a dit : ce sera un retour progressif. Pas tous les élèves en même temps, pas partout. Pas de la même manière. L’on parle en cette circonstance de la mise en place de petits groupes d’élèves et, pour reprendre les propos du Premier ministre dans sa conférence de presse du 19 avril, d’« utiliser des espaces plus larges que la salle de classe. » C’est une idée intéressante. L’on parle encore, afin d’assurer à chaque groupe d’élèves, un même temps d’instruction, de réaliser une rotation par la dispense des cours une semaine sur deux. C’est intéressant aussi.
Questions : pourquoi ces mesures qui, dans l’esprit de nos gouvernants, n’ont vocation qu’à n’être des mesures temporaires, ne deviendraient-elles pas au contraire les nouvelles règles de l’organisation et du fonctionnement scolaires du futur ? Déjà les élèves de CP et de CE1 des quartiers « en difficultés » profitent du travail en groupes réduits de 12. Pourquoi les autres élèves ne bénéficieraient-ils pas, partout, d’une mesure dont on voit aujourd’hui les bienfaits sur le plan de la concentration et des résultats ? Par ailleurs, s’agissant des espaces d’enseignement, pourquoi les gymnases, réfectoires et autres salles de spectacles des écoles ne deviendraient-ils pas eux-aussi – à temps partiel s’entend – des espaces d’enseignement ? En outre, pourquoi ne pas autoriser collégiens et lycéens à n’aller effectivement en classe qu’un jour sur deux et pourquoi ne pas organiser la journée non-scolaire sur le principe de la classe inversée – l’élève apprenant sur écran, avec correction de l’enseignant sur son lieu de travail ? Enfin, n’y aurait-il pas là l’occasion, comme je l’ai développé dans mon livre, d’amorcer une décentralisation (une « dé-blanquarisation » en l’espèce) de la responsabilité éducative ? Le projet du retour scolaire étant moins de remettre les élèves le nez dans leur programme (impliquant la centralisation actuelle), mais d’assurer la « continuité éducative », de remettre à niveau, de refamiliariser chacun avec le travail en classe, le moment n’était-il pas tout trouvé pour permettre aux communes, aux départements et aux régions de faire l’apprentissage de l’autonomie scolaire en décidant ce qui est bien ou pas pour les élèves de leur territoire ?
L’école « à la ramasse » comme je l’ai nommée (L’Archipel, 2019), est une école qui fait la grimace. Redonnons-lui le sourire. Innovons, innovons. C’est le moment ou jamais.
Michel Fize
Sociologue, ancien chercheur au CNRS